"Pauvres vieux" : la formule choc des Petits frères des pauvres rappelle que l’on estime à deux millions, le nombre de plus 60 ans qui vivent dans une grande précarité en France. L'association lance une pétition pour réclamer une hausse du minimum vieillesse. À Marseille, des bénéficiaires témoignent.
Dans ce local des Petits frères des pauvres, dans une ruelle du quartier Belsunce à Marseille, une dizaine d'habitués se retrouvent au loto du lundi après-midi. Zahra, 69 ans, décroche un sourire malicieux en brandissant un petit paquet de chips. Elle fait partie des heureux gagnants du jour et dans son filet garni des produits alimentaires, du chocolat et des échantillons de shampoing. "Le lait, c'est super, je vais pouvoir faire de la purée avec, ce soir" se réjouit-elle. Mère au foyer, elle vit aujourd'hui seule dans un petit appartement et perçoit l'ASPA (l'allocation de solidarité pour les personnes âgées), soit 1100 euros de pension par mois. Le minimum vieillesse, dont elle se satisfait "parce qu'il y a pire qu'elle", mais lorsque toutes les factures sont payées, il lui reste 300 euros pour se nourrir. Il n'est pas rare que Zahra saute le repas de midi.
Du superflu à l'essentiel
"C’est compliqué," explique Joëlle, responsable de cette antenne de l'association des Petits frères des pauvres, "avec l'âge, il est recommandé de manger de la viande, ou du moins des protéines, deux fois par jour, mais financièrement, nos bénéficiaires ne peuvent pas se le permettre". Alors, le loto qui offrait autrefois des friandises, a revu ses modalités, rattrapé par une inflation galopante et une augmentation de la précarité : "on est passé du superflu à l'essentiel", confie Joëlle avec dépit, "on leur offre des produits alimentaires et de première nécessité, ils préfèrent."
Zahra revendique sa coquetterie et avoue s'offrir parfois un petit bijou, "fantaisie bien sûr, on ne va pas s'acheter de l'or !", s'amuse-t-elle en penchant légèrement la tête sur le côté. Mais il y a longtemps qu'elle ne s'autorise plus d'envie, qu'elle sait ne pas pouvoir se payer : " je n'ai pas de rêve parce que je n'en ai pas les moyens... je n'ai pas de sou, c'est comme ça !".
Renée, assise un peu plus loin, fait bande à part. Elle aura 80 ans dans quelques jours. Ici tout le monde l'appelle Jade, elle trouve "ça, plus joli". Cette ancienne secrétaire fait les comptes : en vingt années, elle a vu sa retraite augmenter de 800 à 1000 euros, mais elle ne se plaint pas : elle débourse chaque mois 850 euros de pension dans sa résidence senior, repas compris, "ce n'est pas cuisiné, mais c'est équilibré". Renée achète toujours ses vêtements en solde, s'offre quelques fruits et légumes au marché pour le plaisir et s'en contente " j'ai toujours vécu comme ça, alors je continue".
L'octogénaire dégaine fièrement un smartphone de son petit sac à main, cadeau d'occasion de "son" infirmier. "Je dépense dix euros d'abonnement et je passe mon temps sur l’ordinateur de la résidence, où le wifi est gratuit, donc, c'est parfait ! " La télévision de Renée vient de tomber en panne, et si elle doit " en acheter une à 300 euros", c'est entendu, elle réglera "en trois ou quatre fois". Son seul objectif est d'économiser sou par sou pour "partir en voyage" avec les Petits frères des pauvres, "c'est tellement bien de partir quelques jours, on est vraiment gâtés", conclut-elle dans l'allégresse, à la perspective d’une sortie pour Noël. Avant de glisser sur le ton de la confidence : "Ce sera mon cadeau d'anniversaire, on n'a pas 80 ans tous les jours !"
"Je m'achèterais bien une belle paire de basket"
Jean-Claude, autrefois peintre en bâtiment, âgé aujourd'hui de 73 ans, vit, lui aussi, avec le minimum vieillesse et s'estime heureux. Une fois payés sa pension dans un établissement senior, dix euros d'abonnement téléphonique et 30 euros de mutuelle, il lui reste 260 euros pour vivre. "Là où je suis, les repas ne sont pas bons du tout, les pâtes, tu les jettes au mur, elles collent les affiches", raconte-t-il en riant. Alors, il serre la ceinture. Parfois s'autorise bien un petit plaisir et s'achète "des pâtes et de la sauce, parce que ce n’est pas cher" et au moins il se "régale". S'il en avait les moyens, pour faire de la marche rapide le dimanche et aller "jouer aux boules" le mercredi, le retraité aimerait bien s'acheter "une belle paire de baskets, de marque", et peut-être qu’il y arrivera, s'il trouve un appartement grâce aux Petits frères des pauvres, il pourra gérer son budget autrement.
"Pauvres vieux"
"Pauvres vieux" : la formule choc des Petits frères des pauvres rappelle que l’on estime à deux millions le nombre de plus 60 ans qui vivent dans une grande précarité, en France, en 2024. Les deux tiers des personnes âgées pauvres ont connu au moins une privation ces douze derniers mois : lien social, chauffage, alimentation, santé.
L’association appelle à une mobilisation citoyenne d'ampleur "pour une vieillesse digne" au travers une pétition qui réclame la revalorisation du minimum vieillesse "aujourd'hui 200 euros en dessous du seuil de pauvreté", déplore Yann Lasnier, président des Petits Frères des pauvres. L'association demande notamment un “Plan Marshall” pour la rénovation des Résidences Autonomie et favoriser le maintien à domicile dans de bonnes conditions.