TEMOIGNAGES. Présidentielle 2022 : comment maintenir son pouvoir d'achat entre solidarité et seconde main

Le pouvoir d’achat est au cœur de tous les programmes des candidats. Cette question essentielle pour les citoyens ressort régulièrement des propositions sur make.org : "il faudrait revaloriser les salaires", "un minimum vieillesse", "instaurer un revenu universel pour les étudiants". Avec un objectif : préserver le pouvoir d'achat.

Obligés de se serrer la ceinture pour boucler les fins de mois, renoncer aux loisirs, faire l’impasse sur certains soins médicaux. À Marseille, la débrouille et la solidarité permettent à certains de garder la tête hors de l'eau.

Le pouvoir d'achat représente plus d'un sujet sur dix cité par les internautes lors de la consultation citoyenne organisée sur la plateforme make.org à l'occasion de l'élection présidentielle. C'est le deuxième thème de la consultation avec des revendications sur les salaires, les retraites et les aides sociales.

Parmi les postes de dépense, et c'est plus que jamais d'actualité, la voiture, entre essence, assurance et réparations. 

Stéphanie, 35 ans, est assistante d’éducation. Elle ne peut pas se permettre d’avoir son propre véhicule. Alors avec un ami, ils ont instauré une sorte de garde alternée de l’utilitaire gris qui leur sert de voiture.

"Il ne pouvait plus assurer les frais et voulait vendre sa voiture, et moi je n’avais pas les moyens de l’acheter", explique Stéphanie.  

L’idée est venue naturellement de partager les frais et de pouvoir avoir quand même une voiture.

"On s’arrange pour le planning et comme on n’a pas de garage, on a mis en place une organisation pour se tenir au courant de l’endroit où l’on gare la voiture", précise la jeune femme.

Aujourd’hui, Stéphanie a rendez-vous chez "les Mécanos du cœur", dans le 3e arrondissement de Marseille.

Cette association existe depuis 1998 et a pour but de réparer les voitures des personnes aux faibles revenus.  

"On ne fait pas cela pour l’argent ou le salaire, nous on est heureux quand les personnes repartent avec le sourire et le soulagement de pouvoir continuer à rouler sans avoir trop dépensé. Ce sont des personnes qui n’auraient pas pu aller dans un garage classique", explique Nasro, garagiste de père en fils depuis trois générations.

Chez les Mécanos du Cœur, on retrouve les odeurs des garages à l’ancienne, mélange d’huile, de café et de cigarettes.

Pas facile de trouver ce garage d’ailleurs au fin fond du 3e arrondissement de Marseille, dans le quartier de Saint-Mauront, l'un des plus pauvres d’Europe.

Ce garage associatif est niché au fond d’une cour et sur le site des Moulins Storione, moulins emblématiques du passé industriel et céréalier marseillais. Le blé y était transformé et stocké pour les grandes enseignes céréalières comme Banette, Francine, Panzani, etc.).

Le lieu se mérite. À droite, un labrador noir monte la garde; à gauche au fond de cette impasse, deux portes battantes vertes invitent à rentrer.

Une radio en fond, le bruit des outils qui résonnent et des bribes de discussions nous accueille, notamment entre Stéphanie et les mécanos.

Stéphanie est venue avec son filtre à huile acheté sur internet, pour le faire changer et limiter les coûts.

Mais problème, la pièce commandée n’est pas la bonne. Nasro est ennuyé pour elle.

Il lui propose de faire appel au vendeur de pièces détachées du coin qui pratique aussi des prix très abordables et de voir si elle peut renvoyer la pièce inutile.

"Ce qui est bien ici, c’est que l’on sait qu’en tant que femme, on ne se fera pas arnaquer par le garagiste, et qu’on va nous changer que ce qui est important. On n’est pas poussé à la consommation ", précise Stéphanie qui n’en est pas à sa première visite.

Trois salariés exercent dans ce garage associatif, dont une femme. Ils forment aussi les clients à l’entretien de leur véhicule. Aujourd’hui, Stéphanie apprend à faire sa vidange justement.

"L’ambiance est familiale, conviviale, c’est unique un garage comme ça sur Marseille. On prend soin des voitures et des gens, et les clients apportent les croissants le matin, on échange… il y a vraiment de la confiance", explique Nasro.

"Je n'y connais pas grand-chose, mais je crois que c’est cinq fois moins cher qu’ailleurs ", estime Stéphanie.

Et elle n’est pas loin du compte. C’est ce que nous précise Josette, secrétaire bénévole à l’accueil depuis plus de dix ans.

"La main-d’œuvre est à 15 euros de l’heure. Et des forfaits sont proposés comme pour l’embrayage, la courroie de distribution".

Lorsqu'elle énumère les prestations, nous sommes obligés de lui faire répéter les tarifs. Ils sont imbattables.

"Le forfait vidange avec changement de filtre c’est 20 euros par exemple", ajoute Josette.

Lorsque Stéphanie se penche sur ce que lui coûte cette voiture, "entre l’assurance, l’entretien et l’essence, c’est environ 60 euros par mois."

Mais elle précise qu’elle n’en a pas un usage quotidien pour aller au travail. Habitant et travaillant en centre-ville, elle se déplace "plutôt à pied et à trottinette".

Le bouche à oreilles fonctionne bien dans le quartier à propos de ce garage associatif, et pour une réparation si elle n’est pas urgente, elle peut être programmée. Ici l’attente est d’environ 20 jours. "Mais les clients savent que l'attente en vaut la chandelle", précise Nasro.

Bien manger, pas si simple …

Autre dépense conséquente pour les foyers, l’alimentation. Chacun de nous souhaite bien manger, de façon équilibrée sans se ruiner. Pas facile de s’y retrouver entre les grandes surfaces ou les primeurs.

À Marseille, le marché des Capucins, dans le 1er arrondissement, est réputé pour ses prix bas toute l’année.

Ouvert du lundi au samedi toute la journée, il draine de nombreux clients de passage, ou des habitués.

Ce lundi, nous avons croisé des étrangers, des touristes et beaucoup de retraités. Comme Franca, "mais je ne me plains pas", insiste-t-elle.

"Je touche 124 euros de retraite, et 264 euros de complémentaire, donc je ne vais pas très loin avec ça, je ne suis pas à plaindre, mais je regarde les prix".  Et le comparatif est sans appel.

"Par exemple, les pommes chez moi, les Golden sont à 2,40 euros le kilo, ici elles sont à 99 centimes, du coup je fais mes compotes moi-même à ce prix-là… ", détaille cette habitante de la rue Breteuil, en centre-ville, situé un peu plus haut que le marché.

Et comme pour nous convaincre, elle détaille ce qu’elle a dans ses sacs à bout de bras.

"J’ai acheté deux artichauts, deux concombres, cinq courgettes, une salade, des oranges, des bananes et j’en ai pour 7,10 euros et j’en ai pour quatre jours, vous vous rendez-compte ? Je ne mange que des fruits et légumes, à ce prix-là, on peut vivre,  on peut vraiment faire des économies, et bien manger " conclut Franca.

Les bonnes affaires des bonnes affaires

Sur le Marché des Capucins, il y a l’artère principale où les prix sont déjà bas, et sur les artères des côtés, c’est ce que l’on peut appeler les bonnes affaires.

Les habitués comme Philippine guettent ces bonnes affaires, sur les conseils des commerçants. Retraitée du médico-social, elle doit faire attention à son budget, et sait faire des économies.

À 80 ans, sa retraite n’atteint pas les 2.000 euros, elle a plus de 600 euros de loyer. Le reste passe dans les factures, eau, électricité, médecin, médicaments, mutuelle, et elle avoue avoir froid chez elle.

"Cela me permet d’améliorer mes repas, d’avoir un peu plus de fruits et de légumes, surtout pour mes petits-enfants".

À la retraite, elle a vu son niveau de vie baisser par rapport à la période où elle était salariée.

 "Entre toutes mes factures, le loyer, j’ai du mal à boucler les fins de mois, je ne vais plus au restaurant, je n’ai plus de voiture, je ne voyage plus, je fais du 'blabla car", nous explique-t-elle. 

"J’utilise les transports en communs, et je bénéficie de réductions sur les TER. Je m’habille très rarement en vêtements neufs, je vais à la Croix Rouge, pour m'habiller. C’est toute une réorganisation qui doit se mettre en place pour ne pas être à découvert à la fin du mois".

Et les mois peuvent être très difficiles pour Philippine, notamment ceux des anniversaires, de Noël, qui l’obligent à faire plus dépenses.

"Je ne fais plus de cadeaux à mon fils depuis des années, pour privilégier mes petits-enfants, et même pour eux, ce sont des livres et des jouets d’occasion, principalement à la Croix rouge et dans les brocantes ".

Des économies qui touchent aussi à tous les domaines de sa vie quotidienne.

"Je ne vais plus chez le coiffeur, je me coupe les cheveux moi-même". Et pourtant son carré poivre et sel impeccable, ne laisse rien transparaitre de sa vie minutieusement calculée et de ses privations.

"Parfois je fais à manger pour mes voisins, pour les remercier de certains services. C’est difficile de bien se nourrir dans les grands magasins ", avoue la retraitée.

 Autre symbole de la précarité de son existence, la vie seule, sans animaux de compagnie, car c’est trop de dépense.

Il y a six mois encore, Philippine vivait avec son animal de compagnie, mais sa chienne est tombée malade. Un gouffre financier pour la retraitée qui a dû payer de nombreux frais de vétérinaire.

"Je me suis fait étrangler financièrement, il n’y a pas de sécurité sociale pour les chiens, et je peux vous dire que c’est très cher, je me suis ruinée, avec les opérations, les traitements, les radios".

"Mais je ne suis pas à plaindre", nous répète Philippine. Ce qui l’a réconforte, c’est de ne pas avoir recours aux aides sociales. Elle ne souhaite pas pour autant qu’on la filme, ni qu’on la prenne en photo, par pudeur.

Acheter de la seconde main, c’est économique et écologique 

Comme Philippine nous a parlé de la Croix-Rouge, nous nous rendons à la boutique située près de la place Castellane dans le 6e arrondissement de Marseille.

Ici, les vêtements sont sur des portants pour les adultes et dans des bacs pour les minuscules vêtements.

Il y a aussi des étagères avec des chaussures pour toutes les tailles et des objets du quotidien, des livres et des jouets.  

Nous sommes accueillis par les sourires bienveillants des bénévoles.

Ce matin-là, il y a peu de clients, nous rencontrons Véronique, la cinquantaine. Elle fouille les bacs, regarde les étiquettes.

Après son cancer, cette coiffeuse de métier ne peut plus travailler et touche une pension d’invalidité. 

Depuis, elle doit faire attention à ses dépenses et fait son shopping à la Croix-Rouge. "Je regarde la qualité, et j’achète ce qui parait neuf, et ce sont vraiment des prix très bas".

Chiner des vêtements prend du temps et Véronique reconnait que lorsqu'elle travaillait, elle n'en avait pas.

"Je ne viens pas exprès, mais comme je suis suivie par un kiné et qu’il est près de cette boutique, j’en profite à chaque rendez-vous pour venir faire un tour, donc je fouille, sans chercher quelque chose en particulier".

Et parfois, la surprise vient du fond d'un bac, il n'y a pas que de la seconde main.

"J'ai déjà trouvé des lots de vêtements neufs, encore emballés, avec des étiquettes, ce doit être des surplus des invendus des magasins, c’est donc très avantageux", constate Véronique.

Un peu plus loin, Kadija est avec ses trois enfants. Le petit dernier est en poussette, les deux grands, des jumeaux de huit ans, sont passionnés de lecture. Ils sont au rayon livres et jouets d’occasion.

La pile des livres est bien fournie.

Ici, Kadija les laisse choisir des livres de la bibliothèque verte par exemple à 50 centimes l’exemplaire alors qu’à l’état neuf, on les trouve à près de 9 euros l’unité.

"Ils dévorent les livres, on va à la bibliothèque aussi, mais ils aiment avoir leur propre collection, et comme cela, ils peuvent lire et relire leurs livres ", explique cette mère de famille.

Pour elle, c’est essentiel de pouvoir faire plaisir à ses enfants avec des petits prix.

"Et puis quand ils n’en veulent plus, on les donne autour de nous aux amis, cela fait toujours des heureux".

Un peu plus loin, on retrouve Mélanie qui doit accoucher dans deux jours d’une petite fille. Elle est en train de prospecter les vêtements de naissance.

"Quand on pense qu’un body c’est 20 euros, on en utilise plusieurs par jour, par mois ça revient vite cher, ici j’en ai 20 pour le même prix".

Sa valise est déjà prête, mais elle regarde au cas où elle tombe sur une belle pièce. D’autant qu’à cet âge, les nouveau-nés grandissent vite, les vêtements sont peu utilisés au final.

"Il faut fouiller, regarder l’état, chercher la perle rare, je le fais déjà pour moi, entre la Croix rouge et les vide-greniers, et puis c’est bien de recycler".

Tout au long de notre journée entre le garagiste, le marché et la Croix rouge, nous avons aussi rencontré des personnes qui par choix plus que par nécessité achètent en seconde main.

Et lorsque l'on aborde la présidentielle, c’est donc surtout l’ajustement des salaires ou des retraites au coût de la vie qui revient.

Pas de propositions miracles, mais pouvoir vivre dignement sans avoir à tout calculer pour s’en sortir.

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