"Tu te libères du monde dans lequel tu es" : du rugby pour sociabiliser les enfants hospitalisés en pédopsychiatrie

Tous les mois, l'association Premiers de cordée propose une activité physique adaptée à des jeunes hospitalisés en pédopsychiatrie à l'hôpital Salvator, dans le 9ème arrondissement de Marseille. À travers ces séances, l'objectif est de faire passer un temps hors du soin aux jeunes.

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Devant l’hôpital Salvator, dans le 9eme arrondissement de Marseille, sous le soleil printanier de ce mercredi 13 mars, sept jeunes hospitalisés dans un service de pédopsychiatrie, jouent au rugby. Une activité possible grâce à l’association Premiers de cordée. Julia Conti est coordinatrice au sein de l’association dont le célèbre footballeur, Kylian Mbappé, est le parrain.

Chaque mois, elle met en place des activités physiques adaptées pour "faire passer un temps hors du soin aux jeunes, peu importe leur pathologie et le lieu de pratique", développe la jeune femme de 28 ans. L’objectif est de leur faire oublier pourquoi ils sont ici. Depuis septembre, les adolescents ont déjà pratiqué du volley, du foot, du badminton, du tennis, de la danse et du karaté.

Création d'un lien social

La séance est menée par Jacques Mizzi, kinésithérapeute à la retraite, spécialiste du handicap, éducateur sportif au Rugby club Marseillais, et Abderrahim Boussadir, rugbyman et aussi éducateur sportif au RC Marseillais. Pour Jacques, ces séances de sport adapté sont très importantes pour répondre aux différents besoins des jeunes.

Il y a une éducation au sport, avec des situations d’apprentissage, la création d’un lien social avec la transmission de la passion du rugby et un besoin de santé.

Jacques Mizzi, éducateur sportif au Rugby club Marseillais

Il insiste également sur le fait que la réussite leur permettra d’avoir une meilleure estime d’eux-mêmes.

Après un premier échauffement, l’apprentissage débute. Et la phase d’apprentissage, Jacques l’adapte en fonctions des potentialités de l’individu à un instant T. L’adaptation est la clé pour réussir ces séances. Jacques prend comme référence des exercices édités par la Fédération française de rugby, et les transpose au public qu’il a en face de lui.

Le vrai défi que l’on a est d’être en adéquation avec la population. Le plus difficile est de faire corréler nos exigences avec les possibilités de notre public.

Jacques Mizzi, éducateur sportif au Rugby club Marseillais

Pour illustrer cela, il prend l'exemple du contact physique. "Ici, je suis face à des individus qui ne supportent peut-être pas le contact physique et qui ont une réticence. Donc je vais l'amener petit à petit dans la séance", détaille-t-il. Il commence à l'introduire avec le jeu du crabe, qui consiste à attraper quelqu'un, à l'aide de plot. "Cela permet d'intégrer le contact sans un contact direct, par un objet médiateur." La séance se terminera avec des placages, une réussite pour Jacques. 

Mais le maître mot de ces moments reste le plaisir : "ils se régalent, et à partir de ce moment-là on a gagné", dit-il en regardant les jeunes qui poursuivent la séance avec Abderrahim.

"Ca nous permet de créer des liens amicaux, plutôt que juste d’être à l’hôpital"

Dans l’effectif présent sur la pelouse, on compte aussi les infirmiers et infirmières du service Arthur, qui prend en charge les adolescents. Et si les soignants participent, ce n’est pas uniquement pour le plaisir. "Ça permet de les voir à l’extérieur, de les connaitre et ça participe à la création du lien de confiance. Ils nous voient moins en tant que soignants, développe Maryline Rossi, infirmière. Ces séances sont bénéfiques pour les besoins des ados. Ils en sont très demandeurs. Même s’ils ont beaucoup d’appréhension, parce que ce sont des enfants qui ne sortent pas de chez eux, il y a de l’engouement. Mais c’est aussi notre rôle, en tant que soignants, d’être moteur".

Dans ce service où la blouse est absente, le sport est inscrit dans le projet du service et totalement intégré au programme de soins. Ces adolescents sont touchés par des problèmes d’anxiété qui les empêchent d’être scolarisés, pour certains. C’est ce que l’on appelle le refus scolaire anxieux. Victimes d’attouchement, traumatisés par des disputes conjugales, chacun a son histoire

Ces adolescents, pour la plupart, ne sont pas scolarisés et sont cloîtrés chez eux. Ils n’ont plus d’interactions sociales, ni même entre eux. Ces activités leur permettent ainsi de créer un lien. Noah a 17 ans, et c’est exactement ce qu’il ressent après cette séance de rugby. "On se dépense, surtout qu’on ne va pas à l’école. Ça nous permet d’avoir davantage de contact avec les autres, on rigole plus, et il y a plus d’interactions entre nous. Ça fait du bien et ça nous permet de sociabiliser, de créer des liens amicaux, plutôt que juste d’être à l’hôpital."

"Ils arrivent anxieux et repartent avec la banane"

Les bénéfices, Maryline les constatent à chaque séance. "Ils sont plus ouverts, plus souriants et ils communiquent entre eux. Quand ils sont ensemble en salle d’ado, ils sont sur leur téléphone et ne se parle pas", détaille l’infirmière. Une situation bien différente de celle qui se déroule pourtant sous nos yeux. Sur cette pelouse, pas de différence, pas d’angoisse. Juste des sourires, du plaisir et de la cohésion. "Dans ces moments, ils osent des choses qu’ils n’oseraient pas dans un autre environnement. Ils arrivent anxieux et repartent avec la banane", poursuit Maryline.

"C’est fou de les voir comme ça, le rugby c’est magique", lâche Julia, le regard posé sur les jeunes qui s’amusent aux côtés de Jacques et Abderrahim. Avant de poursuivre : "Je vois une vraie évolution entre le début et la fin de la séance. Ils échangent tous, et ça se voit qu’on a des éléments qui se mettent en avant et qui communiquent." Et elle ne croit pas si bien dire. Pour Raphaelle*, une adolescente de 14 ans, le sport est libérateur. 

Ça fait passer d’un monde à l’autre. Tu te libères un peu du monde dans lequel tu es.

Raphaelle*, adolescente hospitalisée en hôpital pédopsychiatrique

La séance touche à sa fin, et se finit en bataille d’eau entre certains infirmiers et adolescents. Les visages sont détendus, les sourires francs, mais il est temps d’aller rejoindre les chauffeurs de taxis pour rentrer à la maison. Après une photo de groupe et un cri de guerre qui résument la cohésion de cet après-midi, les éducateurs sportifs distribuent à chacun des jeunes une médaille donnée par la Ligue de rugby. Mais la plus belle des récompenses reste pour Julia. Avant de partir, l'un des jeunes se tourne vers elle, la main tendue, en lui disant "merci madame de nous permettre de faire du sport".

*Prénom d'emprunt

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