Les garanties n'ont pas été apportées pour le moment et les syndicats attendent de rencontrer la direction pour acter une indépendance totale des journalistes au sein de la rédaction. Pour autant, à la sortie de l'Assemblée Générale de ce lundi 25 mars, la reprise du travail a été votée.
"Saadé passé les bornes", peut-on lire en lettre rouges et vertes sur un drap déployé au pied du siège de La Provence ce lundi 25 mars, ou encore "presse libre en danger". Plus d'une centaine de salariés se sont rassemblés Boulevard Roger Salengro dans le 15e arrondissement de Marseille pour marquer leur colère face aux derniers évènements. En assemblée générale, ils ont voté à une courte majorité (57%) la reprise du travail.
"Cette Une est irréprochable"
Vendredi 22 mars, le directeur des rédactions du groupe avait été mis à pied après la Une jugée "ambiguë" par Rodolphe Saadé, propriétaire du groupe La Provence et de la CMA-CGM. Cette fameuse Une avait été publiée la veille, le jeudi 21 mars.
Le vendredi 22 mars toujours, le directeur de la publication Gabriel d'Harcourt présentait ses "plus profondes excuses" aux lecteurs, qui auraient pu être "ému[s]" par le journal de la veille. "La citation de Une et la photo d'illustration qui l'accompagnait ont pu laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue décidés à narguer l'autorité publique", écrivait-il.
La rédaction de @laprovence divisée sur la poursuite ou non de la grève après la réintégration d'@aviers. Elle vient de voter à une courte majorité (57%) la reprise du travail.
— Alexandre Berteau (@aberteau_) March 25, 2024
Ce texte de l'intersyndicale sera publié en Une du prochain journal : pic.twitter.com/Yvn3r1lXRM
"Ce mot d'excuse était un véritable crachat à la figure des journalistes, non nous n'avons pas été complaisants avec les dealers, comme cela l'a été écrit", réfute Sylvain Pignol, délégué syndical SNG-CSE La Provence ce lundi matin au micro devant la centaine de salariés présents au pied du siège du groupe.
À partir de là, une assemblée générale avait acté le mouvement de grève, et plus aucun article n'était imprimé. Les rotatives du groupe ont été mises à l'arrêt jusqu'à ce lundi.
Pour les journalistes, cela reste inacceptable, : "Nous avons appris qu'Aurélien Viers était réintégré dans ses fonctions, mais la direction de La Provence persiste à dire qu'il y a eu une erreur dans cette Une, une erreur de composition, ça reste une erreur pour eux, mais pour nous, c'est inacceptable", explique Sylvain Pignol avant d'aller plus loin dans les explications.
"Cette Une est irréprochable sur le plan déontologique et journalistique. Nous n'avons fait que rapporter des faits, des informations sur une visite présidentielle d'Emmanuel Macron à la Castellane et un reportage par une journaliste 24h après, où un habitant dit que rien n'a changé et sanctionner le directeur de la rédaction car on explique que rien n'a changé, est scandaleux".
"Nos infos c'est pas du travail d'a(r)mateur! "
Les salariés présents, pour la plupart des journalistes, lèvent des pancartes avec des slogans et des punchlines exprimant leur colère et leurs revendications.
Un peu plus loin, c'est un simulacre de cercueil qui est présenté, en blanc, avec une croix rouge et la photo de la fameuse Une accrochée dessus, symbolisant la mort de la liberté de la presse.
"Journaliste en colère", porte l'un des journalistes à bout de bras sur une pancarte.
"Bienvenue Altice au pays des merveilles", peut-on lire sur une autre pancarte. Une référence au récent rachat par Rodolphe Saadé du groupe Altice qui comprend notamment BFMTV et RMC.
"Nos infos, c'est pas du travail d'a(r)mateur!", indique un autre écriteau en jouant sur une lettre en référence à l'activité principale de Rodolphe Saadé à la tête de la CMA-CGM , troisième armateur dans le monde. Comme cet autre slogan sur le même thème : "les cargos ne dictent pas d'embargo".
Une pancarte est plus explicite : "On recoupe les infos, coupez pas les têtes", renvoyant directement à la mise à pied d'Aurélien Viers.
"Il n'est plus possible que des pouvoirs locaux ou nationaux interviennent dans le contenu des journaux. Nous demandons des garanties fermes et écrites d'indépendance", annonce le syndicaliste.
Selon lui, depuis l'annonce de la mise à pied du directeur de la rédaction, les journalistes ont reçu "beaucoup de soutien des lecteurs et des confrères".
Un droit de réponse et des garanties
Même si le directeur des rédactions a été réintégré ce lundi dans ses fonctions, les syndicats veulent des garanties.
"Je suis très heureux de reprendre le travail aujourd'hui, après un week-end qui a été compliqué pour moi, j'ai une super rédaction. J'ai vraiment des journalistes talentueux, c'est un plaisir de travailler au quotidien ici et je suis très heureux de revenir", a expliqué Aurélien Viers à France 3 Provence-Alpes.
Les journalistes demandent à leur tour d'avoir un droit de réponse au mot d'excuse du directeur de la publication de vendredi "avec un texte de la part des journalistes avec leur version, on ne veut pas s'excuser d’une faute pas commise", détaille une journaliste de la rédaction.
Parmi les requêtes des journalistes, "une indépendance claire, notifiée noir sur blanc dans une charte précise signée par la direction et la rédaction".
"Il était important que j'aie des garanties suffisamment fortes pour revenir au travail, souligne Aurélien Viers. On a mis au point des protocoles, avec la signature d'une charte d'indépendance et de déontologie très novatrice qui va poser les bases entre la direction générale et la rédaction, qui va aller très loin et on souhaite la signer très vite avec les organisations syndicales".
"Si c'est flou, il y a un loup"
Si pour les journalistes, assurément, il n'y a eu aucune faute commise, le discours est plus nuancé du côté d' Aurélien Viers. Il affirme avoir cosigné le communiqué de la direction diffusé ce dimanche 24 mars, indiquant son retour en poste et reconnaît, lui, une erreur de titre, du moins une imprécision . "Il y a eu une erreur dans le fait d'écrire une citation sans savoir qui est l'auteur", et reconnaît que "cela peut créer une ambiguïté dans l'esprit de certains lecteurs" et que "quand c'est flou, il y a un loup". On fait 365 Unes par an, il peut y avoir des erreurs de commises. Selon lui, dans la presse, il faut éviter les malentendus, les ambiguïtés et il faut être très clair avec le lecteur.
Pour le directeur de la rédaction, "il faut tourner la page, aller de l'avant et continuer à faire des reportages", tout en précisant que "si c'était à refaire, je ne ferais pas exactement la même Une, mais je l'assume, je l'ai visée, je n'ai pas pensé sur le coup à cette double lecture et cette ambiguïté, je reconnais donc cette erreur".
L'assemblée générale qui s'est tenue en fin de matinée, s'est poursuivie en début d'après-midi. La reprise du travail a été votée.