Dans le cadre de la commission d'enquête sur le narcotrafic, trois magistrats marseillais ont été entendus, dont Isabelle Couderc, vice-présidente chargée de l'instruction à la juridiction interrégionale spécialisée dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée (JIRS) de Marseille. Les propos qu'elle a tenu n'ont pas été appréciés par la corporation des avocats.
Des associations d'avocats marseillais sont vent debout contre les déclarations d'une magistrate faites pendant les auditions de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Ils ont réagi dans un communiqué le vendredi 8 mars.
"Une certaine défense qui n’est pas constructive"
Dans le cadre de la commission d’enquête sur le narcotrafic, qui a pour objectif de "déterminer la véritable ampleur de ce phénomène, la place du narcotrafic dans l'écosystème de la criminalité, et de proposer un ensemble de mesures destiné à lutter contre ces trafics”, trois magistrats marseillais ont été entendus.
Parmi eux, Isabelle Couderc, vice-présidente chargée de l'instruction à la juridiction interrégionale spécialisée dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée (JIRS) de Marseille. Lors de cette audition au Sénat, la magistrate avait notamment déploré "la remise en cause permanente et dilatoire des actes accomplis par une certaine défense qui n’est pas constructive".
Les avocats pointés du doigt
De quoi mettre en colère les associations d'avocats de Marseille. En effet, après avoir assuré que Marseille était "la seule ville de France gangrenée à ce point par le trafic de drogue", elle soulève "la grande aisance financière de ces délinquants du haut du spectre […] lorsqu’ils apparaissent en capacité de rémunérer plusieurs avocats, et non des moindres, pour leur défense".
Dans ces propos, elle dénonce "la remise en cause permanente et dilatoire des actes accomplis par une certaine défense qui n’est pas constructive", en soulignant que "les délinquants paient très cher une défense qui ne va pas se battre sur le fond du dossier – et pour cause, il est souvent accablant – mais sur la procédure, avec en ligne de mire la détention, en multipliant des remises en causes systématiques de certains actes d’enquêtes, ou bien utilisent carrément des stratagèmes pour au final obtenir des remises en liberté des délinquants".
"Le droit à une justice équitable pour tous les individus"
Des propos qui ne manquent pas de faire réagir la sphère des avocats marseillais. Michael Amas-Forcioli, président de l’Uja Marseille, regrette "la manière dont ont été tenus les propos, qui interrogent sur la place des avocats dans la procédure". "Le problème sur le trafic de stupéfiants est réel, on ne le remet pas en cause. Mais c’est dérangeant d’entendre ces propos, car le rôle des avocats est de s’assurer que la procédure est menée selon les règles établies par la loi et de veiller au respect des droits de la défense, qui doivent demeurer identiques pour tous. Remettre en cause la place des avocats, c’est remettre en cause le droit à une justice équitable pour tous les individus, quel que soit leur statut ou leurs circonstances."
⚠ Communiqué de l'UJA MARSEILLE suite à l'audition de Madame la Vice-Présidente chargée de l'instruction près le Tribunal Judiciaire de MARSEILLE du 5 mars dernier. pic.twitter.com/pcgbt8CNV7
— UJA MARSEILLE (@UjaMars) March 7, 2024
Selon le président de l’Union des jeunes avocats de Marseille, il est nécessaire d’avoir un débat sur les solutions qui pourraient être apportées, et de le faire "de manière raisonnée", en interrogeant l’ensemble des interlocuteurs. "L’idée est de pointer personne, mais plutôt de travailler ensemble. Des récents travaux sur la confiance des justiciables en la justice – et l’avocat – montre qu’ils ont moins confiance. Les propos qui ont été tenus ne font que renforcer cette méfiance, et ce n’est pas un bon signal à donner", conclu Michael Amas-Forcioli.
Réfléchir aux solutions en concertation
Le Barreau de Marseille n’est pas resté sans réaction, qui juge que ces propos constituent "une attaque inacceptable à la profession d’avocats et aux Droits de la défense". Dans un communiqué, le Barreau "déplore qu’un magistrat du siège […] ait pu tenir de tels propos, recueillis à l’occasion d’une audition portant sur un sujet dont chacun mesure l’importance, puissent laisser penser que notre pratique professionnelle puisse être l’une des causes d’existence de ce narcotrafic".
Que ce soit du côté de l’Uja ou bien du Barreau de Marseille, les avocats se disent prêts à réfléchir, en concertation, aux solutions envisageables pour l’amélioration du fonctionnement de la Justice.