L'hôpital privé Saint-Joseph, une anesthésiste et un chirurgien ont été reconnus coupables d'homicide involontaire dix ans après le décès de Mirvari Buyukispir. Elle avait été laissée seule, sans surveillance, après une opération bénigne de retrait de calculs rénaux. L'avocat de la famille de la victime raconte cette procédure particulière.
Mirvari Zaidova, épouse Buyukispir, est décédée à l'hôpital privé Saint-Joseph de Marseille, à la suite d'un acte de lithotripsie extra-corporelle le 22 janvier 2013. Elle avait 44 ans. Concrètement, il s'agit d'une opération plutôt bénigne de retrait de calculs rénaux. Moins d'une heure plus tard, la patiente avait été laissée sans surveillance de l'anesthésiste. C'est alors qu'elle a été victime d'un arrêt cardio-respiratoire. L'ordonnance fait état d'un défaut de surveillance "dans un contexte de glissement de tâches". L'hôpital et les praticiens ont été condamnés pour homicide involontaire, lundi 30 octobre 2023, par le Tribunal judiciaire de Marseille, à la 6ᵉ chambre collective correctionnelle.
Pour l'avocat de la famille de la victime, maître Thomas Hugues, il s'agit d'une problématique d'économies dans le but d'augmenter les bénéfices, propres aux hôpitaux privés.
France 3 Provence-Alpes : Que s'est-il passé ce 22 janvier 2013 ?
Me Thomas Hugues : Madame Buyukispir s'est rendu à l'hôpital privé Saint-Joseph pour des calculs rénaux. Elle devait être endormie le matin et se réveiller l'après-midi. C'est une opération qu'elle avait déjà subie par le passé. L'anesthésiste n'a pas été présente alors que la patiente perdait de l'oxygène jusqu'à l'arrêt cardiaque respiratoire. Elle avait été laissée en salle de réveil sous la surveillance d'une personne pas compétente pour cela : une manipulatrice radio.
En quoi est-ce différent d'une simple erreur médicale ? Ce procès est-il révélateur d'un défaut systémique de l'hôpital privé ?
Ce dossier est révélateur des pratiques, jusqu'en 2013, de l'hôpital privé Saint-Joseph, de glissement des tâches. Madame Buyukispir en a payé le prix de sa vie parce qu'elle n'a pas été surveillée. Il y avait une guerre entre les médecins libéraux et l'hôpital à cette époque parce que l'hôpital ne voulait pas payer d'infirmiers anesthésistes diplômés d'état (IADE). Par conséquent, les patients étaient laissés entre les mains de manipulatrices radios qui n'avaient pas les compétences requises. Saint-Joseph a été épinglé par l'ARS (l'agence régionale de santé) à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'une vie humaine soit sacrifiée sur l'autel des finances. Le principe pour les médecins était de réaliser un maximum d'opérations en simultanée avec le moins de ressources possibles au détriment d'impératifs de sécurité et de santé publique. C'est donc un dysfonctionnement total d'un service qui a concouru au décès de madame Buyukispir. Dans ce dossier, il ne s'agit pas d'un problème de moyens comme pour les hôpitaux publics par exemple. Ici, un hôpital privé voulait faire des économies pour augmenter ses bénéfices.
Comment s'est défendu l'hôpital Saint-Joseph ?
Tout le monde s'est renvoyé la balle. L'anesthésiste a pointé du doigt le chirurgien qui a dénoncé l'hôpital. Mais ce procès montre bien que les hôpitaux privés ne peuvent pas se retrancher derrière la faute médicale. Il a une responsabilité. Il y a eu de la mauvaise foi de la part de l'établissement de santé et des praticiens durant l'instruction.
Quelles sont les peines auxquelles ont été condamnés l'hôpital et le personnel ?
L'hôpital Saint-Joseph a été condamné pour homicide involontaire à 5 000 euros d'amende et 50 000 euros de sursis. Le chirurgien a été condamné à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende. L'anesthésiste a écopé de deux ans de prison avec sursis et 30 000 euros d'amende. La manipulatrice radio a été relaxée. La famille de la victime va être dédommagée à hauteur de 250 000 euros pour tous les préjudices, mais ça ne la ramènera pas, c'est un désastre humain.
Cette peine est-elle exceptionnelle ?
Ce sont des condamnations rares, mais justes. C'est très rare qu'un hôpital soit condamné. L'hôpital Saint-joseph avait demandé un non-lieu, mais c'est trop facile d'exclure la responsabilité de celui qui organisait ces pratiques. Les juges du siège ont pris la mesure de ce dossier et ont su sanctionner les auteurs de ces infractions afin de rétablir l'ordre public et restaurer la justice sociale dans l'intérêt des victimes.
Dix ans de procédure plus tard, la famille est-elle soulagée ?
C'est un long dossier. Dix ans de procédure, quatre expertises douloureuses pour la famille. Un homme a perdu son épouse et ses enfants ont perdu leur belle-mère. C'est un veuf qui ne vit plus. Il y a une grande frustration judiciaire et psychologiquement, c'est extrêmement dur. C'est une réelle maltraitance judiciaire, même si le magistrat instructeur a fait un travail remarquable. L'audience a tout de même permis à la famille de comprendre et de tourner la page même si elle ne s'en remettra jamais.
Les pratiques de l'hôpital Saint-Joseph ont-elles déjà changé ?
Après cet accident, beaucoup de choses ont changé. Une situation corrective a été déployée, mais il a fallu attendre un décès pour en arriver là. Combien de personnes ont été exposées aux mêmes risques parce qu'ils ont été surveillés ou pris en charge par du personnel pas compétent pour des actes médicaux ?