Violences intra-familiales : Nadia témoigne "Je recevais jusqu'à 200 sms par jour de menaces de mort"

En France, chaque année, entre 100 et 150 femmes sont tuées par leur compagnon. Un constat alarmant alors que la parole se libère peu à peu et que davantage de procédures sont ouvertes. Ce mardi, à Marseille, la police nationale organisait un séminaire où France 3 a pu recueillir le témoignage de Nadia, victime de violences conjugales.

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"Je suis là pour libérer la parole et dire aux autres femmes de ne surtout rien lâcher", révèle la jeune femme, à l’allure fine et distinguée, à l'intérieur du Palais du Pharo, à Marseille.  

Le teint d’une couleur caramel, le regard charbonneux et la chevelure lisse aux reflets dorés, Nadia nous parle aujourd’hui avec une voix calme et apaisée. Il y a quelques mois pourtant, elle recevait encore près de 200 messages de menaces de mort par jour de la part de son ex-compagnon. "Je vais te faire comme Alexia Daval" (une femme tuée par son mari en 2017), lui écrivait-il.  

Des violences psychologiques surtout, des violences physiques parfois. Le calvaire de Nadia a duré des années. Le couple était séparé et ne vivait plus sous le même toit. Mais cela n’empêchait pas la jeune femme d’une trentaine d’années de "faire intervenir plusieurs fois les services de police parce qu’il débarquait à la maison". 

En juillet 2019, Nadia pousse alors la porte du commissariat près de chez elle pour faire sa première déposition. Sur son téléphone : plus de 2.000 messages de menaces et d’insultes. En face, le policier minimise la situation. 

Je me suis dit, c’est vrai alors, peut-être que ce n’est pas grave, peut-être que j’en fais trop. Donc je suis retournée chez moi, continuer ma dépression.

Nadia

Sa deuxième puis troisième tentative de déposer échoueront à nouveau, malgré une dernière audition menée par une policière.

"Je me suis dit qu’elle allait peut-être me comprendre, mais ça a été tout le contraire. Elle m’a dit que j’avais dû faire quelque chose de mon côté pour en arriver là. Elle ne voulait même pas regarder les messages, car il y en avait trop", nous confie Nadia, avec amertume.  

Pourtant, son ex-compagnon a déjà été condamné pour violence sur l’un de leurs enfants. "On ne m’écoutait pas, on ne me prenait pas en compte : 'mais vous comprenez madame, il y a plus grave que des messages'", se souvient-elle.  

"Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous laisser tomber”  

"Une perte de temps énorme" jusqu’en février 2021. Finis les allers-retours au commissariat, elle décide de se rendre sur la plateforme nationale des violences sexistes et sexuelles, sur le site du ministère de l’Intérieur.

Et là, tout s’accélère : un tchat ouvert avec des fonctionnaires de police, appuyés par des psychologues, un signalement traité dans un court délai et une plainte enfin prise en compte.  

Nadia retrouve espoir : "Enfin, une personne m’écoutait. Elle m’a dit : ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous laisser tomber, vous êtes une victime."

S’en suit alors une procédure très rapide. Son ex-compagnon est déféré en l’espace de 15 jours : placé en garde à vue le 21 février, jugé au mois de mars, puis incarcéré au mois d’avril. Sa peine ? Deux ans avec sursis dont un an ferme.  

"Si je n’avais pas rencontré cette femme, je ne serais pas là aujourd’hui pour en parler", lâche-t-elle. L’idée de se suicider lui a effleuré l’esprit.  

Ce drame familial avait des répercussions sur ses enfants : "Ma fille Sarah me disait régulièrement : Tu vois ça ne sert à rien d’aller voir la police. Et mes garçons : T’es sûr que tu es allée au commissariat ?", affirme-t-elle, soulagée que la justice ait fait son travail.  

Ce mardi à Marseille, dans l’enceinte du Pharo, un séminaire de police a lieu pour éviter d’autres histoires comme celle de Nadia. Le Major Carine Bianucci, de la Direction Zonale de la sécurité publique sud, se tient debout sur l’estrade face à des rangées de policiers assis, chemise blanche et cravate noire.  

Une prise en charge plus rapide et plus complète 

"Il y a eu des avancées en matière de justice : la loi du 9 juillet 2010 a permis de relever l’infraction du harcèlement dans le couple qui passait sous silence jusqu’alors, et bien entendu l’ordonnance de protection", explique-t-elle, micro en main. 

Depuis, la police nationale mise sur des journées de sensibilisation avec diffusion de film pédagogique et formations.  

Le 3 septembre 2019, après de nombreux féminicides, c’est la prise de conscience générale avec le grenelle des violences conjugales, un ensemble de tables rondes organisées par le gouvernement français. Le 3.9.19, d’où le numéro d’urgence 3919. S’en sont suivis de nombreux changements.  

"Aujourd’hui vous avez 83% des fonctionnaires de police sur toute la zone qui sont formés. Donc, ils sont au moins sensibilisés à la question des violences conjugales et intra-familiales", explique Major Carine Bianucci.  

C’est la réactivité qui nous a permis d’épargner 48 vies en 2020.

Major Carine Bianucci

"Nous sommes rapidement mobilisés avec l’appui des magistrats qui vont nous permettre de déclencher des enquêtes avec perquisitions", lance-t-elle.

Avant de poursuivre : "Aujourd’hui, en 2022, quand une femme appelle le 17 : c’est un opérateur professionnel qui sait comment conduire une discussion, qui sait comment extraire les informations qui vont lui permettre d’évaluer le danger pour les victimes, mais aussi pour les collègues car cela reste une intervention dangereuse."

Selon le ministère de la Justice, 90 femmes ont été tuées en 2020 contre 146 en 2019.

45 interventions suite à un signalement pour des violences intra-familiales ont lieu chaque heure en France. 

"Il faut rappeler qu'en dépit de toute l'implication des services de police, de gendarmerie et judiciaire, nous restons toujours fragiles par rapport à cette thématique. Nous traitons un contentieux de masse alors même que nous devons individualiser chaque affaire", conclut Dominique Laurens, procureure de la République de Marseille. 

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