Suite à une demande de l'avocat de Maria, victime de violences policières en marge d'une manifestation en 2018, le parquet de Marseille va rouvrir l'enquête achevée par un non-lieu. La jeune femme a retrouvé un témoin de la scène, qui pourrait identifier les policiers qui l'ont rouée de coups.
La vie de Maria* a basculé le 8 décembre 2018. La jeune femme de 19 ans, qui sortait du travail et se trouvait à l'angle de la rue Saint-Ferréol, a reçu un tir de LBD dans la cuisse en marge d'une manifestation de gilets jaunes à Marseille. Projetée au sol, elle a ensuite été rouée de coups par un groupe de policiers, qui l'ont laissé au sol avec une hémorragie cérébrale et une fracture crânienne.
L'information judiciaire s'était achevée par un non-lieu en décembre 2020, aucun des agresseurs n'ayant été identifié. Mais ce jeudi, le parquet de Marseille a annoncé rouvrir l'enquête pour violences volontaires aggravées, confirmant une information du quotidien La Provence.
Il s'agit d'une information judiciaire pour "charges nouvelles", a précisé la procureure de la République Dominique Laurens.
"C'est une nouvelle extraordinaire, pour Maria et pour la manifestation de la vérité", a réagi l'avocat de la victime, Me Brice Grazzini. Selon lui, la parole d'un nouveau témoin pourrait changer la donne : il a assisté à toute la scène depuis sa fenêtre, et pourrait tenter d'identifier les officiers qui ont porté des coups dans la tête de la jeune femme.
"Maria est allée frapper à toutes les portes entre les rues de la Glace et Saint-Férréol, et quelqu'un lui a dit qu'il avait tout vu", raconte l'avocat. Comme la victime, il estime que l'enquête de voisinage n'a pas été menée à son terme par la police.
"Les voisins m'ont dit que personne n'avait toqué chez eux", dénonce Maria, âgée aujourd'hui de 21 ans et traumatisée par le souvenir de cette agression. "Pour moi, cette enquête n'a pas été faite et l'affaire a été totalement délaissée par la police", regrette-t-elle.
Un cas emblématique des violences policières
Dans l'ordonnance consultée par l'AFP lors du non-lieu, le juge d'instruction Karim Badène précisait qu'il est établi "sans l'ombre d'un doute que ces individus étaient tous des fonctionnaires de police". Les sept témoins interrogés lors de l'enquête préliminaire, cependant, n'ont pas réussi à identifier ceux qui étaient à l'origine de ces violences.
Outre les gilets jaunes, plusieurs manifestations avaient eu lieu le samedi 8 décembre, dont une marche contre le changement climatique et le logement insalubre qui avait rassemblé quelque 10.000 personnes. Des heurts avaient éclaté entre certains manifestants et les forces de l'ordre en fin de journée : une agence bancaire et la boutique de l'OM sur la Canebière avaient été pillées, et 42 personnes interpellées.
À ce moment-là, des officiers étaient en train de mettre en place un périmètre de sécurité à proximité du Vieux-Port. "C'était calme, témoignait Maria auprès de France 3 en 2019, et d'un coup, je ne sais pas ce qui s'est passé. Il y a commencé à avoir des fumigènes, tout le monde s'est mis à courir".
Ce nouveau témoin, un quadragénaire vivant à proximité, dit ensuite avoir vu la jeune fille recevoir un coup de pied dans la tête, suivis de coups de matraque de la part d'un groupe de CRS. Il n'a pas été présenté au juge pendant la phase de l'enquête préliminaire, et n'avait donc pas encore fait part de son témoignage.
En novembre, l'avocat de Maria avait déjà estimé que l'IGPN, l'inspection générale de la police nationale, n'était "pas allée au bout des choses". Selon les informations révélées au même moment par Mediapart, deux policiers identifiés sur des vidéos filmées près des lieux n'avaient toujours pas été entendus.
Séquelles physiques et psychologiques
Depuis deux ans, la jeune fille âgée de 21 ans souffre de nombreuses blessures physiques et psychologiques. Maria a subi une fracture crânienne et une hémorragie cérébrale, à cause desquelles elle a passé plusieurs mois à l'hôpital, suivis par deux années de dépression aiguë.
Traumatisée par l'agression, ses crises d'angoisse, ses douleurs et ses insomnies pèsent toujours sur sa vie personnelle et professionnelle. "J'ai tout perdu : mon travail, mes études, mon compagnon. J'ai dû interrompre mon BTS à cause de problèmes de mémoire, et aujourd'hui je n'arrive pas à passer le permis", raconte-t-elle.
Maria explique également qu'elle n'avait pas pris part à cette manifestation, et rentrait chez elle après le travail. "Après tout ça, les policiers sont partis comme si de rien n'était", se souvient-elle, racontant qu'elle fait encore de nombreux cauchemars de cette agression.
La réouverture de l'enquête permettra, comme l'espérait Me Grazzini, de poursuivre des investigations qui n'ont selon lui "jamais abouti", dans une affaire marquée par le silence des policiers présents ce jour-là. Et à la jeune femme, enfin, de commencer à se reconstruire après ce traumatisme.
*Le prénom de Maria a été modifié.