Le gouvernement a annoncé la probable fermeture de mosquées radicales, après les attentats de vendredi: la mesure pourrait être "très ciblée", selon des experts, car l'essor du salafisme ne signifie pas que les prêches appelant à la violence sont plus nombreux aujourd'hui qu'hier.
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé dès dimanche avoir "engagé des démarches" en vue de la "dissolution des mosquées dans lesquelles des acteurs profèrent la haine".
Et Manuel Valls a confirmé la détermination du gouvernement à "fermer les mosquées, les associations, qui aujourd'hui s'en prennent aux valeurs de la République".
L'intention n'est pas nouvelle. Fin juin, après l'attaque jihadiste dans une usine de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), Bernard Cazeneuve avait dit que deux dossiers de dissolution d'associations gestionnaires de mosquées (non identifiées) étaient "en cours d'examen".
"Depuis plusieurs mois", l'Intérieur "rassemble les éléments nécessaires", a-t-il précisé lundi, sans dire si d'autres lieux de culte étaient visés depuis l'été.
Ces procédures "arrivent à leur terme et elles feront l'objet d'un examen par le Conseil des ministres", a-t-il ajouté.
"Avec les événements de vendredi le calendrier va sans doute s'accélérer"
confie le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech.
Mais les mesures de dissolution "risquent d'être très ciblées et très limitées", prévoit-il.
"Il y a des mosquées qui peuvent être tenues par de jeunes prédicateurs à tendance salafiste, d'autres qui font l'objet de déstabilisations, mais des mosquées pro-Daech (acronyme arabe de l'organisation jihadiste Etat islamique), nous n'en avons jamais entendu parler"
assure le responsable de l'instance représentative des quelque 2.500 lieux de culte musulmans de France.
Selon des sources du renseignement interrogées ces derniers mois, une centaine de mosquées et salles de prière françaises sont sous influence salafiste. Ces lieux, bien connus et surveillés des services, se trouvent principalement dans les grandes agglomérations: en région parisienne, à Marseille, Lyon, Lille..
"Logique réactionnaire"
Mais gare aux amalgames, préviennent des sociologues: le jihadisme est très minoritaire dans la mouvance salafiste implantée en France
qui est essentiellement de type piétiste ou quiétiste, ultraconservatrice mais hostile à la violence armée, qui est condamnée sans ambiguïté. L'un des prédicateurs quiétistes les plus suivis sur la Toile (près de 180.000 "amis" sur Facebook), l'imam brestois Rachid Abou Houdeyfa, a qualifié dans une vidéo les attentats de vendredi d'actes "barbares" commis par des "égarés".
Sans doute une dizaine de mosquées concernées
Quels sont les lieux de culte dans le collimateur gouvernemental? Le kamikaze du Bataclan Omar Ismaïl Mostefaï fréquentait une petite mosquée-pavillon de Lucé, dans la banlieue de Chartres (Eure-et-Loir), mais rien n'indique à ce stade que ses gestionnaires, qui ont affirmé ne pas connaître le jihadiste, soient dans le viseur des autorités.Dans certains lieux, "il peut y avoir des propos non pas clairement en faveur du jihad, mais ambigus, où l'on défend ceux qui se battent contre Bachar al-Assad", explique Bernard Godard, qui a longtemps été le "Monsieur islam" de Beauvau.
"A Marseille, je suis sûr qu'il y a deux ou trois mosquées qui sont dans des discours assez hard"
poursuit-il. Ce bon connaisseur de la machine administrative laisse toutefois entendre que le nombre de fermetures de mosquées n'excèdera pas, dans les prochaines semaines, une dizaine de cas. "S'il n'y a pas de preuves" de discours haineux, "cela risque d'être retoqué en justice", fait-il valoir.
"Des prédicateurs ultraorthodoxes"
Le sociologue Samir Amghar, spécialiste du salafisme, voit surtout dans ces dissolutions annoncées "de l'affichage" de la part d'un gouvernement "au pied du mur après les attaques les plus meurtrières qu'ait connues la France"."On peut s'inscrire dans une logique réactionnaire et refuser la violence"
remarque l'universitaire, qui estime même que la France, comme certains pays arabes l'ont fait à l'instar du Maroc, devrait "s'appuyer sur des prédicateurs ultraorthodoxes" ayant "une audience certaine auprès des jeunes". "Un Houdeyfa a bien plus de crédit qu'un (Hassen) Chalghoumi", l'imam libéral de Drancy (Seine-Saint-Denis), affirme cet expert.
Le reportage de Mariella Coste et Henri Seurin :