Pénurie de médicaments : "J’ai peur de ne pas pouvoir assurer les soins à nos patients", s'inquiète un pharmacien

Antibiotiques, anti-infectieux, antiarythmiques, antidiabétiques… Les ruptures d’approvisionnement sont devenues monnaie courante qui touchent toutes les gammes de médicaments. Entretien avec Stéphane Pichon, président du Conseil régional de l'ordre des pharmaciens en Paca.

Difficultés d'approvisionnement en matière première, marché mondial, concurrence, prix... La pénurie de médicaments est multifactorielle. Comment y faire face, quand les médicaments manquent, avant même que la période hivernale n'ait débuté ? Entretien avec Stéphane Pichon, président du Conseil régional de l'ordre des pharmaciens en Paca. 

France 3 Provence-Alpes : Dans quelle situation se trouvent les pharmacies en Provence-Alpes-Côte d'Azur ?

Stéphane Pichon : La situation est très préoccupante. On est le 6 octobre et on a des températures qui sont encore hautes. Dès que la température va tomber, on va avoir des pathologies, mais pas les traitements pour les soigner. Et je ne parle que des pathologies aiguës, je ne vous parle pas des pathologies chroniques. Le traitement de la spondylarthrite : introuvable. Les antiarythmiques : introuvables. Pareil pour les corticoïdes et les antibiotiques. On devrait plutôt se demander qu’est-ce qu’on a ? Le pharmacien d’officine n’est pas le responsable de ne pas avoir le traitement demandé. On est désespérés de ne pas satisfaire les patients.

Comment appréhendez-vous la période hivernale ?

Notre mission, c’est de subvenir à la santé de la population et aujourd’hui, on ne va pas y arriver. Pour l’instant, les pharmaciens ont su réagir et ont trouvé des solutions alternatives, ainsi, personne n’est parti sans traitement. Mais nous ne sommes pas en période d’épidémie.

En 35 ans de métier, je n’ai jamais vu ça. Je passe ma journée au téléphone, on fait le marché pour trouver des médicaments. J’ai été pharmacien humanitaire à Haïti, et je ne pensais jamais que notre pays soit dans une situation de crise d’approvisionnement de médicaments, de par la grandeur de notre pays. Notre souveraineté thérapeutique est aussi importante que la souveraineté militaire.

La vente de médicaments à l’unité peut-elle être une solution ?

Absolument pas. Même si je délivre les comprimés à l’unité, je garderais le même nombre de médicaments. Je n’en aurais pas plus, que je vende les boites ou à l’unité. Pour les antibiotiques, les boites sont déjà adaptées à la durée du traitement. Et comment faire pour les sirops ?

Cette pénurie est-elle nouvelle ?

Ça a commencé avec les Sartan [principalement utilisés pour traiter les patients souffrant d'hypertension artérielle, d'insuffisance cardiaque et en post infarctus du myocarde récent] qui venaient de Chine. Ensuite cela a concerné le sirop pour enfants à cause du manque d'adjuvants. Puis le paracétamol durant la période Covid. Aujourd’hui, on a des quotas sur presque tous les médicaments. Résultat, on crée des insatisfaits et les infections bénignes deviennent plus importantes.

Quelles sont les solutions possibles ?

Depuis septembre 2019, j’ai souligné le problème qu’on aurait besoin d’une souveraineté thérapeutique, en construisant des usines en France. Nous sommes trop dépendants d’usines internationales. Nous n’avons la main ni sur la fabrication, ni sur la logistique et sur l’approvisionnement en matière première. On est sur un marché concurrentiel, où l’industrie pharmaceutique est composée de groupes internationaux économiques.

Si vous avez des pays qui proposent un prix supérieur à ce que nous nous proposons pour un médicament, ils vont passer avant nous en termes d’approvisionnement. Et là, c'est un choix politique à faire, d’avoir un arbitrage entre le prix d’un médicament et sa disponibilité pour les patients. Ça, c’est aux politiques de le faire.

Il faut aussi nous donner la possibilité de nous approvisionner où on veut et comme on peut, avec une uniformité des autorisations de mise sur le marché.

Attendez-vous une réaction des institutions politiques ?

Nos autorités de santé locales sont à notre écoute et ils nous ont beaucoup aidés. Mais ils ne sont pas magiciens et ce n’est pas eux qui fabriquent les médicaments.

Il faut impérativement qu’on importe en masse, il faut avoir une réponse instantanée de nos instances sanitaires. On ne va pas tenir le choc cet hiver. Fut un temps, les masques se négociaient sur le tarmac… Je ne critique pas l’État, je lui demande de nous aider. Ils doivent prendre les décisions en tapant du poing sur la table. J’implore le ministre de la Santé de nous obtenir des médicaments, quels que soient les moyens.

La production locale peut-elle être une solution à cette pénurie ?

Si on veut garder des prix bas pour soigner tout le monde, il faut fabriquer en France. C’est une question de politique générale, mais est-ce qu’il ne faut pas se poser toutes ces questions et prendre des décisions singulières, face à cette situation ?

Les usines de production de médicaments sont peut-être moins polluantes maintenant. Il faut faire la différence entre le gain thérapeutique et les difficultés. À mon sens, c’est plus important d’avoir une pollution maitrisée, mais d’avoir des médicaments. Il faut secouer le monde. J’ai peur de ne pas pouvoir assurer les soins à nos patients.

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