Chaque printemps, des milliers de gitans sillonnent les routes de France pour se retrouver en Camargue et honorer Sara, leur sainte patronne. Le film "Le silence des Saintes" se penche sur les enjeux profonds de ce pèlerinage qui ne ressemble à aucun autre.
Le grand rendez-vous approche. Tous les ans, au mois de mai, plus de 10 000 fidèles, manouches, catalans, roms ou tziganes de l'est, se rassemblent aux Saintes-Maries en l’honneur de Sainte-Sara à la peau brune, patronne des gens du voyage.
Mais que viennent-ils chercher, au fond, dans ce village tout au bout de la Camargue ? Une prière. Une communion. Une reconnaissance. Le sentiment, peut-être, d'être un peuple dispersé sur les routes du monde…
C’est tout le propos du film de Jean-Louis André, tourné en 2021 en pleine épidémie de covid. Alors que le pèlerinage était annulé pour la deuxième année consécutive, le réalisateur s'est attaché à mesurer l’importance de ce qui se joue ici, bien loin du folklore.
C’est le bout du monde et le monde entier s’y retrouve.
Un ancien curé des Saintes-Maries-de-la-Mer
Pour comprendre toute la ferveur des gitans, il faut remonter le temps. C’est ici en Camargue que deux femmes chassées de Palestine ont débarqué il y a 2000 ans et porté l’Evangile en Provence. Elles s’appelaient Marie Madeleine et Marie Jacobé et leur servante était Sara.
"Sara est une sainte qui n’est pas canonique, puisqu’elle n’est pas citée dans les Evangiles, elle n’a pas été canonisée de manière officielle" explique le Père Michel Desplanches, vicaire général. Pour lui, "les gitans se sont rapprochés de Sara et l’ont choisie pour patronne parce qu’elle était un peu comme eux. C’était une inconnue, une sans-papier, une sans-logis, c’était une pauvre, elle était brune de peau, dit la tradition, et les gitans se sont reconnus en elle".
Grâce à l’appui du marquis de Baroncelli, grande figure de la Camargue, les gitans obtiendront dans les années 30 que Sainte-Sara soit célébrée officiellement par l’Eglise catholique.
Depuis, deux processions se déroulent aux Saintes-Maries chaque printemps. "Le 25 mai, ce sont les Provençaux qui perpétuent un pèlerinage dont l’origine se perd dans la nuit des temps, mais la veille le peuple gitan laisse exploser sa dévotion à Sara" rapporte le réalisateur.
Le grand départ vers le sud
Prier, communier, se retrouver dans une ambiance de fête, mais aussi renouer les fils de leur propre histoire... Le pèlerinage est attendu avec impatience. Certains viennent en voisins, d’autres de très loin. Chez les Helmstetter par exemple, famille d’origine manouche installée en Alsace, le mois de mai a toujours été celui du grand départ vers le sud.
"On ne peut pas décrire ce que l’on ressent quand on est là-bas" glisse Marie. Comme beaucoup, elle a célébré autrefois sa première communion à l'occasion du pèlerinage aux Saintes.
"Gamin, c’était une explosion de découvertes et de sensations. On va à la mer, il y a toute cette fête, cette musique, on vit sur le camp pendant deux semaines et on est totalement libre" raconte de son côté Railo Helmstetter. "Quand on est enfant, on n’a pas vraiment le recul de ce que ça peut représenter spirituellement. Plus tard c’est devenu quelque chose de plus important, de plus fort. Le fait de se déplacer, d’oublier un peu son confort et de ne pas être enfermé par tant de matériel autour de soi, ça rappelle les bases de ce qu’est l’être humain."
En Camargue, les voilà qui retrouvent les gitans catalans, chez qui la tradition du pèlerinage remonte déjà à plusieurs siècles : certains de leurs ancêtres sont arrivés de Catalogne dès la fin du Moyen-Age pour se fixer entre Perpignan et Marseille.
D’autres ont fui la dictature de Franco dans les années 30, comme la famille de Nicolas Reyes, l’âme des Gipsy Kings, qui a grandi à Arles sur les quais du Rhône. Son père José était déjà l’un des piliers du pèlerinage.
Gens du voyage, gens de pèlerinage, la coïncidence va au-delà d’une simple rime. Tant qu’à être sur la route, certains ont décidé de faire de leur vie une mission d’évangélisation.
Ainsi les membres de la Communauté de l’Emmanuel, emmenés par l'aumônier national Babatche, enchaînent les étapes, de Paray-le-Monial, où le Christ est apparu, jusqu'à Lourdes...
A chaque printemps, c’est donc tout un peuple, riche de sa diversité, qui sillonne les routes pour se rendre aux Saintes-Maries. Et au bout du bout, face à la mer, les nomades s’installent aux côtés de leurs frères qui se sont fixés en Provence mais qui n’ont pas tout à fait quitté le voyage…
Le silence des Saintes
Un film de 52 mn de Jean-Louis André.
Une coproduction Armoni Productions / Aller Retour Productions / France Télévisions.
Diffusion jeudi 20 avril 2023 à 22h45 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur (première diffusion en janvier 2022)