Erosion du littoral : on en rêve tous, mais les plages seront-elles encore là dans dix ans ?

Menacées par l'urbanisation et le tourisme, un quart des côtes de Méditerranée est en mauvaise santé. Des plages pourraient même disparaître d'ici quelques années, s'alarme l’Union internationale pour la conservation de la nature.

A l'heure du déconfinement, c'est l'espoir de beaucoup : fouler à nouveau le sable, au bord de l'eau. Mais pour combien de temps encore ?

"Les petites plages sableuses françaises de Méditerranée sont de plus en plus menacées", indique Aurélien Carré, chargé de mission du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Ce constat ressort de la dernière évaluation du comité français de l’UICN dans le cadre de "La Liste rouge des écosystèmes en France". La publication du rapport, rendu public cette semaine, conclut plus de trois ans de travaux.

"L'objectif est que le résultat puisse parler, alimenter les discussions avec les régions et les conservateurs des littoraux et peut-être faire changer les mentalités des décideurs", explique Aurélien Carré.

Outre l'UICN, le Muséum national d’histoire naturelle et une quarantaine d'experts de structures, comme le Parc national des Calanques, EID Méditerranée ou encore l'Office français de la biodiversité, ont pris part à cette classification.

26 % des côtes méditerranéennes menacées

En France, les côtes méditerranéennes comprennent la Camargue, les Bouches-du-Rhône, le Var, les Alpes-Maritimes et la Corse. Elles sont classées en trois catégories : les côtes rocheuses (falaises, rochers...), les marais côtés et les côtes sableuses.

Ces dernières représentent 26 % du linéaire côtier méditerranéen français et sont directement menacées par l'urbanisation et l'importante fréquentation touristique, notamment l'été.

"100 petites plages de poches, c'est-à-dire des petites baies, sont menacées en Provence. C'est aussi le cas du cordon dunaire de la Presqu'île de Giens et de la Camargue. Leurs écosystèmes sont en danger", explique Aurélien Carré.

Les dunes "blanches" écosystème le plus menacé

Les écosystèmes évalués par l'UICN sont classés en huit catégories allant de ceux où les données sont insuffisantes à ceux qui risquent de s'effondrer en passant par les écosystèmes menacés. 

Un écosystème est l'interaction entre le milieu physique, c'est-à-dire l'habitat, et les espèces, souvent la végétation qui lui correspond.
Selon la classification de l'UICN, sept des neuf écosystèmes constituant les littoraux sableux méditerranéens en France sont "en danger" ou "vulnérable".

Parmi eux, les dunes "blanches" constituent l’écosystème le plus menacé. Ces zones de forte accumulation sableuse, grâce au vent notamment, constituent un obstacle naturel entre la plage et l’arrière-dune. Sa végétation est composée majoritairement d'Ammophila arenaria, une espèce de plante vivace.

"Dans de nombreuses zones en Méditerranée, des mesures sont prises pour les protéger avec des barrières. C'est primordial pour cet écosystème", explique Aurélien Carré.

Les plages de sables "vulnérables"

Sur le littoral méditerranéen, les plages se réduisent d'environ "1 à 2 mètres tous les 10 ans", confesse Aurélien Carré. "Dans 10, 20 ou 30 ans certaines petites plages pourraient disparaître", selon le spécialiste.

Les étendues de sables de Provence sont "en danger" notamment dans le Var et en Camargue. La forte fréquentation, l'urbanisation terrestre mais également maritime contribuent à cette "lente destruction".

"Les digues construites ne permettent pas de réduire le phénomène, il l'aggrave. Il faut éviter de construire à proximité même des parkings et favoriser le fonctionnement naturel", soutient Aurélien Carré.

Par exemple, depuis le début du XXe siècle, le niveau moyen de la plage a baissé de sept mètres aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône).

Le prélèvement du sable dans les cours d'eaux, notamment dans le Var, où cinq millions de mètres cubes de sédiments ont été retirés, n'aide pas les plages.

"Les sources de sables ne peuvent pas être renouvelés, ni s'évacuer vers la mer, alors comme l'endiguement du Rhône, ça se répercute sur les plages", souligne le chargé de mission de l'UICN.

Les bienfaits du confinement pour les plages

Parmi les autres écosystèmes "vulnérables", il y a les laisses de mer végétalisées, notamment composées par les posidonies. Ces herbiers abritent de nombreuses espèces.
Le nettoyage des plages de la Méditerranée, pour accueillir les baigneurs comme à Bandol (Var), n'a pas un impact positif pour l'écosystème.

"Il faudrait éviter ce type de nettoyage ou remettre les algues en fin de journée pour permettre à l'écosystème de survivre. Les tractopelles sur les plages, cela fait disparaître une tonne de sable et ça tue la végétation. Certaines pratiques n'ont pas lieu d'être", selon Aurélien Carré.

Avec le confinement, les provençaux sont interdits de plages. Aucun nettoyage, aucune fréquentation, chaque écosystème respire.

"C'est vrai que le confinement permet aux insectes de se développer, donc à certains oiseaux de venir plus souvent. Un impact positif pour le littoral mais également pour les autres espèces qui y vivent comme dans le Parc National des Calanques", reconnaît le chargé de mission.

Mais avec le déconfinement, les habitants des communes des Alpes-Maritimes, du Var et des Bouches-du-Rhône vont réinvestir les plages, si leur maire en fait la demande au préfet.

Le sable et la végétation risquent alors à nouveau d'en subir les conséquences comme le Cakile Maritima, première espèce que l'on trouve fréquemment sur la plage.

Pour permettre aux écosystèmes de sortir de la "zone rouge", les conservatoires des littoraux mais également les maires doivent encore s'adapter pour l'UICN. 

"Des bonnes pratiques sont réalisées mais il y a encore une réflexion à mener autour des pratiques et de la fréquentation de certains lieux, comme en Camargue", explique Aurélien Carré.

La vulnérabilité des dunes boisées

Les dunes "embryonnaires", présentes essentiellement en Camargue ainsi que les dunes "grises" où le sable est fixé et le sol couvert de végétation, sont également des écosystèmes "vulnérables".

C'est aussi le cas des formations à genévriers, comme le bois des Rièges en Camargue, grand site en France menacé avec ses arbres de 7 à 8 mètres, âgé de 700 ans parfois.

Enfin les dunes boisées sont le dernier écosystème présent dans la "Liste rouge des écosystèmes" classé "vulnérable".

Il s'agit de zones où se trouvent généralement des pins plus loin vers l'intérieur des terres, comme c'est aussi le cas en Camargue. Indispensables, ils servent principalement à fixer le sable. Avec l'artificialisation, c'est-à-dire la construction de parking ou de routes, ce milieu s'affaiblit.

"Les pins sont là, car les hommes les ont favorisés. Maintenant, il faut qu'il reste car ils sont primordiaux".

Un combat permanent

La "Liste rouge des écosystèmes" est consultable sur le site de l'UICN. La mer continue elle de grignoter du terrain sur les côtes sableuses jour après jour, centimètre après centimètre.

Des initiatives se mettent en place sur les territoires grâce à des associations ou des fondations, comme Luma à Arles, pour lutter contre l'érosion du littoral et favoriser la gestion de son sable.

La fondation propose des ateliers notamment le cordage et le tressage de la paille de riz, pour ensuite aller le déposer sur les plages, comme sur la plage de Piémanson."Au fil du temps, l'érosion des plages sera plus forte. Mais il faut continuer à se battre, ne pas prendre le pas sur la terre".

Après le 11 mai, de nombreux provençaux devraient retrouver l'accès à leurs plages avec on l'espère "la conscience que tout pourrait bientôt prendre fin dans quelques années", avertit Aurélien Carré.
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