“C’est comme si on parlait du loup” : dans la forêt de Boscodon, des disparitions plongent la région dans la peur

En 25 ans, six personnes ont été portées disparues dans ce massif iconique des Hautes-Alpes. Une série d’événements malheureux qui, liés à la riche histoire de cette forêt d’exception renforce l'aura du mystère.

Une étendue verte à perte de vue. La Forêt du Boscodon qui recouvre le massif du même nom dans les Hautes-Alpes sur près de 900 hectares, offre un cadre à l'apparente sérénité.

Mais derrière ces troncs, au cœur de la futaie, toujours aucune nouvelle de Laurence Klamm. Cette marcheuse émérite a quitté son domicile le 26 novembre 2020 en direction des bois, sur la commune de Crots. Pour ne plus jamais revenir.

Des disparitions inexpliquées

Sa disparition s'ajoute à celle d’autres personnes dans cette même zone. En 1995, 2015, 2016, 2018 puis deux en 2020. Au total, depuis 25 ans, six personnes ont été portées disparues. Quatre n’ont jamais été retrouvées.

Deux affaires ont marqué la région. Le Gapençais Cédric Delahaie a disparu en octobre 2020, ne laissant derrière lui que sa voiture et son sac de couchage. Et, la disparition d'une habitante du village de Beauvillard, Laurence Klamm (Bouilly de son nom de jeune fille), qui a généré un vif émoi à l’échelle locale.

Une semaine de recherches menées par la gendarmerie n'a pas permis de retrouver la moindre trace de la sexagénaire. Et ce, malgré la mobilisation d'une équipe cynophile, de 20 pompiers accompagnés de 40 gendarmes. Même le peloton de gendarmerie de haute montagne de Briançon, qui a quadrillé le secteur en hélicoptère, est rentré bredouille.

Le mari de la disparue a également mobilisé près de 60 bénévoles pour participer aux recherches. Mais depuis qu’il  l'a vu quitter le domicile, rien, aucune nouvelle, aucune piste, malgré les lourds moyens engagés pour la retrouver.

Le procureur indique alors à DICI TV qu'il n’y a pas de grands résultats, si ce n'est le constat que les deux dernières victimes "étaient plus ou moins dépressives". Peu ou pas de procédures engagées et pour le parquet seulement des hypothèse s: des accidents, une série suicides ou l’intervention d’un tiers. 

Pour le capitaine Zeisser, de la compagnie de gendarmerie de Briançon, "rien ne porte à croire à la thèse criminelle".

"Une enquête est ouverte pour la dernière victime, on ne ferme aucune porte. Peut-être qu’elle est partie ailleurs, pour couper les ponts. Deux cents personnes ont été dépêchées sur place, si elle avait été là on l'aurait retrouvée".

La forêt du Boscodon est un terrain de montagne, relativement accidenté, et cela, le capitaine le reconnaît. "Boscodon ca reste accessible, mais quand on commence à grimper il a des coins risqués. Dans les gorges du Verdon on a retrouvé un randonneur belge 17 ans après !" Mais la neige, tombée en abondance il y a 15 jours, a mis en suspens les recherches en cours.

Des événements malheureux, que le maire de la commune de Crots, Jean-Pierre Gandois, ne parvient pas à expliquer. "Plusieurs hypothèses sont possibles, ca peut être un accident, un suicide mais aussi la possibilité un enlèvement. Et c’est vrai que dans le coin les gens s’interrogent sur le fait qu’on ne retrouve aucun corps surtout avec les moyens modernes de recherche".

Et c’est pour lui le cœur du problème."C’est difficile de rassurer les gens tant qu’on a pas trouvé de corps, c’est un peu délicat", soupire-t-il. Une analyse criminelle a été ouverte par le procureur de la République de Gap pour chercher d'éventuels liens entre toutes ces affaires. 

Pour le moment, le seul point commun entre les victimes est leur âge. Toutes avaient environ la soixantaine. Même si pour le responsable de l’association assistance et recherche des personnes disparues 05, la forêt du Boscodon représente une "randonnée faussement sécurisante", le maire de la commune reste sceptique sur une cause accidentelle.

"La forêt du Boscodon en elle même ce n’est pas des promenades très difficiles, c’est de la petite/moyenne montagne". Pour Jean-Pierre Gandois, ces évènements ont "un côté anxiogène. Mon rôle c’est aussi de rassurer les gens et d’éviter qu’il y ait une psychose qui s’installe. Mais j’ai quand même conseillé aux gens d’éviter de se promener dans la forêt, seul, surtout en cette période, on ne sait jamais".”

L’inquiétude des habitants

Se promener à plusieurs donc, par mesure de précaution, et si possible avec un chien. Si l’hypothèse de suicides reste probable, ce n’est pas celle qui alimente la crainte générale.

"Les habitants en parlent beaucoup parce que ça les a touchés, Laurence Klamm était du village, et comme c’est une répétition de mêmes événements, ça leur fait se poser des questions. La crainte, c’est qu’il y ait une intervention de quelqu’un de malfaisant", explique le maire de Crots.

Une inquiétude pour les habitants de Crots et des villages alentours qui s’explique par la proximité directe avec la forêt. Ici, les dernières habitations se perdent dans la lisière des premiers arbres. Dans le cas de Beauvillard, d'où Laurence Klamm, la dernière victime, était originaire, ce hameau situé en hauteur, est au cœur du massif du Boscodon, un endroit reculé qui surplombe le reste de la commune du Crots.

Cette crainte de ce que peuvent cacher les bois, est présente dans de nombreuses conversations. A Crots, village central de cette commune d’un peu plus d’un millier d’habitants, les suppositions vont bon train.

Roger Cézanne, en est le parfait témoin. Cet historien originaire du village, parle d’un sujet "sensible". "Quand on parle de ça, c’est comme si on parlait du loup, quoique le loup y est mais il fait beaucoup moins peur". 

Pour les habitants, le plus inquiétant, reste que ces événements inexpliqués se répètent. "Ça les traumatise tout simplement, un ça passe, mais cinq ou six ça suffit ! Les gens n’osent plus se promener seul dans la forêt". 

Nerveux, il manipule ses lunettes. Pour lui, c’est une affaire qui touche largement la vie du village. "Avant, les gens allaient y chercher des champignons ou se promenaient dans la forêt mais maintenant plus personne n’y va, à commencer par mon épouse ! Les gens y allaient à titre individuel, nous même plusieurs fois avec des amis on allait pique-niquer dans la forêt du Boscodon. Maintenant je crois que ce ne se fera plus".

Michel Merle, maire de Crots de 1979 à 1985, se souvient, accoudé à sa barrière. "Il y avait déjà eu des disparitions, déjà avant tout ces trucs sur la forêt de Boscodon. Certaines ont été identifiées et d’autres qui sont restées à jamais disparues".

D’autres se veulent plus rassurants, comme Yves Ducreux qui habite le village depuis 38 ans. Pour lui, il n’y a "pas de psychose". "C’est un peu bizarre, mais bon la forêt est tellement grande... On peut passer à quelques mètres sans voir personne". 

Pour lui, pas de crainte. "Dès que les beaux jours reviendront, j'irai aux champignons". Chacun y va de son hypothèse. Roger Cézanne évite de répondre à la question, qui le met mal à l’aise. "Moi maintenant mon hypothèse, ma certitude, c’est qu’il ne sagit ni d’un accident, ni d’un suicide… donc vous avez tout compris".

Pour l’historien du village, la dernière disparition a touché les esprits car Laurence Klamm était "du pays". Désormais, nombreux sont ceux qui évitent d’aller dans la forêt.

Une tristesse pour Jean-Pierre Gandois, pour qui cette forêt et surtout le monument en son sein, l’Abbaye Notre-Dame de Boscodon, sont des lieux "chargés d’histoire, emblématiques du département. Pour le territoire, l'abbaye de Boscodon représente beaucoup". Et pour cause, c’est une étape d’importance sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. 

Une forêt "emblématique", chargée d’histoire

Né à Crots, Roger Cézanne connaît l’histoire de ce monument sur le bout des doigts depuis sa fondation en 1132. A cette époque un groupe de moines ruraux se voit offrir des terres par le seigneur local, Guillaume de Montmirail. Peu à peu, il vont planter une sapinière et bâtir une abbaye en son cœur.

"Pendant des siècles cette forêt va être le jardin secret des moines de boscodon", qui vont "jardiner la forêt", explique l’historien. "Elle fournissait des bois bien meilleur que précédemment qui n’était que du bricolage, là il était vendu et utilisé par la marine royale puis impériale".

Et c’est selon lui ce qui explique qu’encore aujourd’hui cette sapinière soit si particulière notamment "au pays du mélèze". "Les moines exploitaient la forêt. C’est aujourd’hui la seule forêt jardinée des Hautes-Alpes".

Christophe Bernard, responsable ONF à Embrun, constate aujourd’hui le résultat de cette histoire particulière. "Depuis le moyen-âge, forêt et abbaye ont fonctionné ensemble", explique-t-il.

"Les moines ont tiré parti de la forêt, et la forêt a aussi bénéficié de l’action des moines qui ont contribué à faire en sorte que la forêt soit celle qu’on voit aujourd’hui".

Une forêt qui assurait la survie des moines de l’abbaye qui vivait de la vente de son bois. Un bois de qualité donc, valorisé encore aujourd’hui. Mais ce n’est pas là, la seule richesse de la forêt du Boscodon.

"On a ici une biodiversité qui est remarquable. Plus de 700 espèces de plantes et des espèces, au niveau de la faune, emblématiques". Cette alliance, de l’héritage de la gestion monastique et cette incroyable biodiversité, a notamment permis à la forêt de Boscodon de devenir l’une des 14 forêts françaises labellisées “forêt d'exception” en 2018.

Un clin d'œil à cette histoire riche, encore très présente aujourd’hui. "Dans ces 900 hectares, il y a 400 hectares au cœur de la forêt autour de l’abbaye, qu’on a continué à appeler la forêt monastique".

Pour Roger Cézanne c’est ce passé qui alimente l’aura dont bénéficie déjà la forêt. "Du fait de cette longue occupation monastique, toute sorte de légendes se sont greffées dessus. Moi qui suis du pays, j’ai entendu dans ma jeunesse : untel là il est allé dans la forêt, il y a cherché et il a trouvé ce qu'on appelait une toupine".

Une toupine ? "C’est que les moines à chaque fois qu’il y avait un pépin, qu’il y avait une invasion ou qu’ils étaient obligés de partir, n'emmenaient pas toute leur fortune avec eux. Alors ils la planquaient souvent dans la forêt. et bien plus tard des bûcherons qui travaillaient dans la forêt avaient trouvé la toupine, c'est-à-dire le petit magot de tel ou tel moine. A savoir qui c’était ou si c’était vrai…"

Une forêt à l’atmosphère particulière appréciée des visiteurs, qui avoisinent les 50.000 chaque année.

Le responsable de l'ONF, amusé, tente de mettre des mots sur cette "ambiance un peu particulière" que certains "ressentent très fortement".

"On a des gens qui viennent faire de la méditation ici, qui viennent faire de la sylvothérapie, on a plein de pratique qui se développent à Boscodon. Apparemment certains vous diront qu’il y a un caractère vibratoire très fort ici. Il y a aussi ces parcelles avec de très grands arbres, qui dépassent parfois les 50 mètres de haut, on appelle ça les forêts cathédrales, et on s’y sent tout petit. Et tout cela ça ramène à des ambiances et à des ressentis que certaines personnes viennent chercher ici".

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