Témoignage. Burnout des soignants, Alissia 32 ans, ex aide-soignante à bout de souffle

Epuisés après un an de crise du Covid, les soignants sont à bout de force. Certains font le choix de tout arrêter et de se reconvertir. C'est le cas d'Alissia Lohéac qui vit à Embrun, dans les Hautes-Alpes. L'aide-soignante devenue pompier.

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Alissia Lohéac a fait partie de ces héros applaudis chaque soir à 20h pendant la première vague. La jeune aide-soignante a oeuvré en renfort en réa Covid à l’hôpital Tenon à Paris pendant près de trois mois.

A la deuxième vague, elle s’est à nouveau portée volontaire à l’hôpital Saint-Louis de l’AP-HP. Pour la 3e vague, elle est restée chez elle à Embrun dans les Hautes-Alpes. Et elle a décidé de changer de métier.

"Après la première vague, j’étais très en colère parce que je n’avais pas eu la prime, explique-t-elle. Après, la colère est passée. J’ai laissé parler mon cœur et je suis retournée aider, parce que j’ai vu que mes collègues avaient besoin de moi".

Ce deuxième épisode a eu l’effet d’un révélateur pour Alissia. "Quand j’ai commencé il y a 12 ans, j’avais trois patients en réa. À la deuxième vague je me suis retrouvée parfois avec six patients à charge, même sept ou huit patients", raconte-t-elle.

Alissia ne reconnaît plus le métier qu’elle a choisi quand elle avait 19 ans. "On nous oblige à considérer nos patients comme des numéros et non comme des personnes. On nous oblige à être maltraitants et à négliger nos patients."

Ce qui m’a fait le plus mal, c’est de voir que j’ai honte de mon travail aujourd’hui, ce n’est pas que je l’aime plus…

Alissia, aide-soignante.

Déçue de l'absence de reconnaissance envers les soignants qui ont pris des risques et sont restés loin de chez eux pour aller au front dans la guerre contre la Covid, Alissia s’est aussi sentie trompée par les autorités sanitaires.

"Je me suis rendu compte sur la deuxième vague que je ne suis pas venue en renfort pour le Covid réellement, mais pour un problème d’effectif ", déclare-t-elle amer.

"Aujourd’hui les conditions de travail en tant que soignante sont de pire en pire d’année en année... des départs à la retraite qui ne sont pas remplacés, des arrêts maladie à répétition, parce que les filles sont fatiguées ou elles ont eu le Covid, et parce qu’ils n’arrivent plus à recruter."

Le malaise est tel parmi les soignants que beaucoup font le choix d'arrêter. Comme Alissia. "Je ne peux plus continuer", lâche-t-elle. Et c'est un déchirement. 

"Ça me fait mal d’arrêter mon travail, c’est la moitié de ma vie, je suis triste de devoir l’arrêter mais je ne peux pas continuer dans des conditions qui ne sont pas acceptables."

"Un jour, on m’a dit pour ce travail il faut de l’empathie mais vous en avez trop... mais ce que je fais à mes patients, je ne pourrais pas le faire à ma famille, donc je préfère arrêter."

Prise dans la spirale du burnout

N’allez pas croire que pour la jeune femme la page soit facile à tourner. "J’ai vécu des moments très forts, j’ai accompagné des patients à la mort, j'ai été à côté d’eux quand les familles ne pouvaient pas l’être."

"Je culpabilise de ne pas venir en renfort. Quand j’ai ma mère au téléphone, je pleure, j’ai le cafard, je me sens inutile à rester ici les bras croisés alors que je sais que ça ne va pas en réanimation."

Alissia s’est investie totalement dans son travail pendant ces 12 ans, une longévité exceptionnelle quand beaucoup craquent et rendent leur blouse au bout de trois ou quatre ans. 

Elle a toujours fait passer sa passion avant tout le reste. À 32 ans, elle est célibataire et sans enfant. Elle a le sentiment de s’être assez sacrifiée.

"C’est un métier où on nous demande beaucoup, on n’est jamais soutenues et entendues, et il a aucune possibilité d’évolution, donc à un moment on décide de partir."

Je suis toujours en colère parce que j’avais un rêve de devenir infirmière et ils l’ont brisé.

"J’aimerais toujours mon travail mais à cause d’eux je suis obligée d’arrêter".

Fatiguée physiquement et psychologiquement Alissia n’a pourtant pas résisté à l’appel du devoir l'été dernier. Elle a intégré la réserve sanitaire pour partir en Guadeloupe. Au retour, elle a fait "un KO total".  

"On est beaucoup dans cette situation, et beaucoup à ne pas parler parce qu’on a peur pour notre carrière… Aujourd’hui il faut dire les choses pour que le gouvernement et nos directeurs se rendent compte qu’on ne peut plus rester comme ça."

Le sport comme bouée de sauvetage

Heureusement pour Alissia, dans sa vie, il y a aussi le sport. C’est sa bouée de sauvetage. "J’avais besoin de me retrouver toute seule, je me suis inscrite à une course en ultra-distance à vélo".

Alissia fait le tour de la Corse en solitaire sans assistance. En pédalant, elle fait le point sur le cap qu’elle veut donner à sa vie. "Je recherchais un métier où je peux continuer à aider la population, c’est une vocation."

Après la deuxième vague, Alissia renfourche son vélo pour un deuxième périple entre Embrun et La Rochelle. "Ça m’a fait du bien de penser à moi. C’est un travail où on s’oublie et on ne pense pas assez à nous…"

1.600 km plus tard Alissia sait à quoi elle aspire : une vie professionnelle où elle pourra s’épanouir au service des autres. L’évidence s’impose à elle. Depuis 2011, elle est engagée comme pompier volontaire. Dans cet univers d’hommes, elle se sent à sa place. "Je me sens soutenue et reconnue auprès de ma hiérarchie, et entendue".

Alissia aime l’action et l’esprit d’équipe. Et le sport. "C’est ma deuxième passion et c’est merveilleux d’être payée pour faire du sport", confie la jeune femme qui a couru le mythique Embrunman, un Triathlon XXL, en 2017.

En novembre, Alissia passera la première des trois étapes du concours pour devenir pompier professionnel. Sa seconde vie. 

En attendant, elle se rend utile pour sauver des vies en participant à la campagne de vaccination au sein de l’équipe mobile des pompiers des Hautes-Alpes dans les villages du département. 

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