Méditerranée : "il fallait pêcher peu", comment les pêcheurs ont tenté d'échapper au coronavirus

Les pêcheurs professionnels ont continué à travailler pendant la période de confinement, pour sauver leur activité. Il a fallu pour beaucoup se "réinventer" et trouver de nouveaux réseaux pour écouler leur production. En Méditerranée, la pêche a été moins touchée qu'en Atlantique.

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En Méditerranée, la pêche se pratique artisanalement, sur des petits bateaux, souvent polyvalents. La vente directe est la pratique habituelle. C'est la raison pour laquelle le prix du poisson est resté stable dans notre région, durant ces mois de crise Covid.

Sur la façade atlantique, où naviguent de gros bateaux de pêche, les prix sont fixés par les criées. Il y a eu trop de production pour une faible vente. Les cours ont chuté, ramenant le prix de la sole certains jours à 7 euros au lieu de 20 euros.

"Ici, la situation est très variée, selon le type de navire, de pêche pratiquée", explique Chritian Molinero, président du Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CRPMEM) de Provence-Alpes-Côte d'Azur. "Dans l’absolu, on devrait avoir moins de dégâts que sur les autres façades".

Tout tient à la situation économique de chaque pêcheur.

"Celui âgé, qui a remboursé tous ses prêts et qui fait de la vente directe a peu ressenti les effets de la crise", poursuit Christian Molinero.

"Le problème se pose plus pour les gros bateaux avec plusieurs matelots. Et qui vivent principalement de la vente aux grandes surfaces, mareyeurs ou restaurateurs. Et pour eux, tout s’est arrêté début mars".

Magali Laurent est de cette catégorie de famille de pêcheurs. Elle et son mari, tous deux trentenaires, ont refusé de sombrer durant les mois difficiles du confinement. Et ils ont trouvé des solutions.

Les gens ne venaient pas, ça marchait au ralenti

Poissonnière, comme beaucoup dans cette profession, Magali est aussi femme de pêcheur. Son compagnon, Jérôme Vernier, possède un petit chalutier de 18 mètres, et travaille avec deux marins.

Le poisson est vendu aux mareyeurs, qui revendent en général aux restaurants et aux grandes surfaces.

"Mais durant la crise Covid-19, les grandes surfaces ont arrêté d’acheter des denrées périssables. Et les restaurants ont fermé", raconte magali.

Il restait ce petit banc que tient la trentenaire au marché aux poissons de Carro, sur la commune de Martigues.

Mais dans la crainte de la contamination, les clients ont boudé la place. Et le marché s’est vidé de ses poissonniers. Sur sept, il n’en est resté que deux.

"Les gens ne venaient pas. Soit ils avaient peur, soit ils n’osaient pas dépasser le kilomètre autorisé. Ca marchait au ralenti .

Magali elle-même, mère d’un petit garçon d’un an et demi, a préféré garder son enfant et délaisser la nounou.
Il lui fallait donc repenser l’organisation.

"Au début, on a arrêté le bateau. On ne sortait plus. Puis on a recommencé un peu. On faisait au jour le jour. Notre mareyeur nous avertissait des commandes de quelques poissonniers. Nous n’avions pas plus de deux jours de visibilité".

Magali met alors en place un système de livraisons aux particuliers. Elle livre son poisson jusqu'à Saint-Rémy de Provence, Trets, elle fait "le tour de l'Etang" (de Berre).

"J'ai activé mes réseaux sociaux. Et nous avons gagné des clients. A l'arrivage du bateau, je préparais le poisson pour nos commandes directes, le reste partait au mareyeur".

Au fil des semaines, le bateau a commencé à sortir un peu plus, même si les journées "restaient réduites".

En tout est pour tout, le bateau n'est resté à quai que 12 jours.

Il ne fallait pas que ça reste, ni qu'on jette

Jérôme Bargas, artisan pêcheur de la Seyne-sur-Mer s'est également lancé dans la livraison pour s'en sortir.

Il possède deux bateaux, l’un pour le filet où il travaille seul. L’autre, pour la pêche au palangre, embarcation plus grande qui nécessite de travailler à deux. Durant le confinement, il n’a utilisé que le petit bateau.

Habituellement, il vend aux restaurants, aux poissonniers, et à un point de vente au port de Saint-Elme.

"On commençait la saison, mais il fallait pêcher peu. En février, mars, c’est la saison des soles et des mulets. Il ne fallait pas que ça reste, ni qu’on jette".

Ses clients l'appellent. Par le bouche à oreille, il en gagne d'autres. Il décide d'aller les livrer directement.

Levé à 6 heures, la journée se terminait parfois à 21 heures.

"Chaque jour, nous contactions une douzaine de clients, à tour de rôle. On les appelait un par un jusqu’à ce que nous ayons écoulé notre pêche", explique le pêcheur.

"En temps normal, on pose plusieurs filets pour chaque variété : sars, daurades, poisson pour la soupe. Là, on faisait des journées réduites. L’une des difficultés était d'annoncer le seul poisson du jour".

Mais la clientèle de Jérôme joue le jeu, et "fait l’effort de prendre des poissons qu’elle ne connaissait pas", comme les saupes, les mulets, les sévereaux, et même des petits barracudas.

Jérôme Bargas a ainsi assuré les livraisons de la Seyne à Toulon.

"En temps normal, il nous faut deux heures pour vendre deux caisses de poissons à l’étal, là il nous fallait la journée entière", poursuit le pêcheur.

"Le matin, on retirait les filets à 6h, on triait à partir de 10h30. On appelait nos clients jusqu’à 13h. On préparait les glaces, on pesait les poissons, on notait les montants. Puis on partait livrer. Levé à 6h, la journée se terminait parfois à 21h".

Jérôme Bargas n'a pas répercuté sur les prix du poisson ce surcoût de la livraison. Il a travaillé ainsi jusqu'au bout du confinement, et a rouvert son banc au petit marché de Saint Helme.

"Nous avons enregistré 70% de perte durant cette période là. Mais grâce aux livraisons, nous avons pu conserver notre clientèle. C’était le plus important. C’était une sacrée expérience".

Magali et son compagnon à Carro n'ont pas répercuté les prix non plus sur leurs ventes de poissons. "La vente directe est valorisante pour notre produit, c’est important et nécessaire", précise Magali.

Elle ressort de cette crise avec une clientèle élargie, même si le Covid a fragilisé sa jeune entreprise.

Comme de nombreux jeunes du secteur de la pêche, Magali et Jérôme ont contracté des crédits importants. "Plus de 5000 euros de crédits, sans compter les autres frais et crédits personnels..."

Les mois à venir sont encore incertains pour le secteur de la pêche méditerranéenne, lié de près à l'activité de la restauration. Mais la jeune poissonnière préfère rester positive.

"Avec ce confinement, l’avantage c’est que les gens se sont rendus compte qu’il est important de faire travailler les producteurs locaux".

Changer les mentalités... C'est le combat le plus encourageant.

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