Alors que le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, effectue une visite de deux jours dans les Bouches-du-Rhône, placée sous le signe de la lutte contre les trafics de stupéfiants, Jean-Baptiste Perrier, professeur de sciences criminelles, dresse une analyse de cette criminalité.
Comment lutter contre les réseaux de stupéfiants qui gangrènent la Cité Phocéenne ?
Après avoir promis le renfort de 300 policiers pour les Bouches-du-Rhône, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin effectue un déplacement de deux jours dans le département, jeudi 25 et vendredi 26 février, pour aborder la stratégie de lutte contre la délinquence, et notamment les trafics de drogue.
Jean-Baptiste Perrier, directeur de l'Institut de sciences pénales et de criminologie à l'Université Aix-Marseille, souligne l'inefficacité d'une politique uniquement centrée sur les sanctions.
- Comment analysez-vous l'évolution à Marseille de cette criminalité liée aux stupéfiants ?
"Sur la décennie écoulée, on constate que les trafics de drogues se professionnalisent. L'organisation est plus structurée, on n'hésite pas à recruter par le biais de Pôle emploi voire même en publiant des petites annonces sur Leboncoin. C'est le signe d'un enracinement du trafic .
Autre signe caractéristique, le rajeunissement des traficants. Ils apparaissent bien plus jeunes que par le passé. Sur les dix dernières années, il n'est plus rare de voir des mineurs impliqués dans les trafics de stups. Et dans la hiérarchie de la criminalité, un jeune majeur peut se retrouver à la tête d'un réseau.
L'âge moyen des auteurs et des victimes (souvent liées aux règlements de compte) est de 16 à 25 ans. Aujourd'hui, on ne parle plus de l'image de la French connection des années 70's avec l'inébranlable "Parrain" mais plus d'un "phénomène de Bande".
Toutefois, il reste très compliqué de dire si les trafics sont plus violents que ce qu'ils ne l'étaient dans les années 70-80 à Marseille.
En 2019 par exemple, il y a eu une diminution des règlements de compte. Entre 2010 et 2020, il y a plus de faits violents liés aux trafics de stupéfiants mais on ne peut pas dire qu'ils étaient plus violents qu'il y a quarante ans.
- Le ministre de l'Intérieur insiste sur l'idée d'installer des caméras de surveillance, leur implantation peut-il être un moyen de lutte efficace contre ces réseaux de stupéfiants qui gangrènent la ville de Marseille ?
Non, je ne le pense pas. Ces caméras ont un "effet plumeau" : elles ne font que déplacer la criminalité, elles ne la font pas baisser. Les délinquants ne commettent pas l'infraction là où la caméra filme, mais là où il n'y a pas de caméra.
Par ailleurs, les caméras de surveillance retirent de la présence policière qui se retrouve derrière ces écrans, alors que sur le terrain, cette présence policière a un effet préventif mais aussi rassurant auprès de la population.
Enfin, une fois installées, l'entretien de ces caméras coûte cher aux collectivités. Elles sont souvent dégradées, et de fait, beaucoup ne fonctionnent pas.
- Gérald Darmanin a annoncé le renfort de 300 policiers dans le département : poursuivre une politique repressive, est ce la bonne stratégie à adopter pour combattre cette criminalité ?
Je ne dis pas que la politique repressive n'est pas utile, je dis qu'elle ne suffit pas à enrayer cette criminalité. Il faut aussi prendre des mesures préventives, sociales et économiques pour éviter que le système ne revienne. Il faut se poser la question de la misère sociale qui existe dans ces quartiers.
Quand on a entre 15 et 18 ans, il est parfois beaucoup simple de trouver un emploi dans le trafic qu'un emploi légal où l'on gagne beaucoup moins d'argent qu'un emploi illégal. Un "guetteur" peut gagner de 150 jusqu'à 300 euros par jour "pour les meilleurs". Des gains qui peuvent atteindre jusqu'à 3000 euros par mois, le tout net d'impôts.
Il faut aussi se demander si la pénalisation des consommateurs de stupéfiants est efficace : est-ce que cela fait diminuer sensiblement la consommation de drogues ?
Je pense qu'il faut abandonner l'idée qu'on arriverait à atteindre un taux de criminalité zéro, il faut juste faire en sorte que ce taux soit le plus bas possible. On sait qu'un trafic remplace toujours un autre trafic même dans les Etats qui ont dépénalisé les stupéfiants. Les gens qui cherchent à faire de l'argent par des méthodes criminelles trouvent toujours une solution.