D'après les chiffres fournis par les deux préfectures, 75% des dossiers ont reçu un avis défavorable en 2020 et 87% en 2021. Cette année, les demandes pourraient être plus nombreuses encore du fait de la sécheresse de cet été.
C'est une crainte qui touche de nombreux habitants de la Côte d'Azur. Les périodes de sécheresse font apparaître, ici et là, sur les murs des maisons varoises et maralpines, des fissures plus ou moins importantes. De quoi inquiéter les propriétaires des lieux.
On contrôle un peu tous les jours, visuellement, l’élargissement de la fissure, pour voir si ça grandit ou pas.
Vincent Cascales, habitant de Vidauban
À Vidauban (Var), la maison de Vincent est construite sur un sol argileux et subit les effets de la sécheresse exceptionnelle de cet été. Les premières fissures sont apparues au mois de juin. Coût estimé : entre 180 et 190.000€. "C’est un sujet d’inquiétude au quotidien. Ma femme, mon enfant, on est tous inquiets !"
Cette commune varoise de 14.000 habitants comptabilise 27 propriétaires concernés par des fissures.
Reconnaissance en catastrophe naturelle
À 120 kilomètres de là, à Sainte-Agnès (Alpes-Maritimes), c'est la même inquiétude. Il y a six mois, Jean-Baptiste Reine, 46 ans, a observé une "tâche sur le plafond de la salle de bains".
Je suis monté sur le toit et il y avait des fissures sur les tuiles et dans les angles de la maison. J'ai fait des premiers travaux. Mais là, la maison se tasse, il y a d’autres fissures et celles réparées se sont réouvertes. Ça augmente de semaine en semaine !
Jean-Baptiste Reine, habitant de Saint-Agnès
Au total, ce papa de 4 enfants dénombre une quarantaine de fissures à l'extérieur et une dizaine à l'intérieur. Le coût des travaux est estimé à 100.000 euros.
Mais pour faire jouer l'assurance, il faut que la commune soit reconnue en catastrophe naturelle ("catnat"). Alors, Albert Filippi, le maire, a lancé un appel. "L'habitant concerné par des fissures doit le déclarer à son assurance. Il doit ensuite retourner en mairie, avant le lundi 24 octobre, le document de son assurance avec un descriptif précis des fissures, les dates d'apparition et leur évolution."
Je pense qu'une quinzaine d’habitations est concernée. C'est la première fois qu'on est confronté à des mouvements sur des habitations.
Albert Filippi, maire de Sainte-Agnès
La commune déposera ensuite une demande de reconnaissance "catnat" pour la période de juillet à septembre. L'édile ne veut "pas laisser les choses traîner" même si, officiellement, les villes ont désormais 24 mois pour déposer leur demande.
Pour l'instant, la préfecture répond avoir reçu, pour l'année 2022, des demandes de 17 communes maralpines : Cantaron, Contes, La Gaude, Grasse, Pégomas, Saint-Paul de Vence, Tourettes-Levens, La Turbie, Vence, Antibes, Bar-sur-Loup, Cagnes-sur-Mer, Falicon, Mouans-Sartoux, Opio, Vallauris et La Trinité. "Elles seront transmises au ministère en début d'année prochaine", précise la préfecture.
Pour la sécheresse, peu d'avis favorables
Une fois la demande déposée en préfecture, elle est transmise à une commission interministérielle, qui donne ensuite un avis favorable ou défavorable pour la commune.
Pour rendre son avis sur l'aspect sécheresse, la commission interministérielle ne se base pas sur le nombre ou l'importance des dégâts. Elle se base sur un rapport de Météo-France transmis en début d'année et sur la nature des sols de la commune (par exemple le taux d’argile présent dans les sols).
Préfecture du Var
Dans les Alpes-Maritimes, 6 communes ont déposé un dossier "catnat" sécheresse en 2020 et 11 en 2021. L'ensemble de ces dossiers (excepté celui de Cagnes-sur-Mer, toujours en cours d'instruction) ont reçu un avis défavorable du ministère.
Du côté du Var, 31 communes ont déposé un dossier en 2020 et 36 en 2021, soit environ une commune sur cinq du département. Sur ces 67 dossiers, 13 ont obtenu un avis favorable de la part du ministère et 53, un avis défavorable (un dossier est toujours en cours), soit un taux d'acceptation de 19,4%.
Un taux particulièrement bas, comparé aux autres catégories "catnat" (mouvement de terrain, inondations, séisme, vent cyclonique, avalanche, action de la mer et crue torrentielle). "Tous motifs confondus, deux tiers des dossiers reçoivent un avis favorable", détaille-t-on du côté de la préfecture du Var.
Le traumatisme de 1999
Pourtant, il y a quelques années, il était facile d'obtenir la reconnaissance "catnat" sécheresse. Entre 1989 et 2000, 97% des communes obtenaient la reconnaissance ; entre 2001 et 2020, ce nombre est tombé à 50%, selon les chiffres révélés par nos confrères de Cash investigation.
La cause de cette chute brutale ? Les tempêtes Lothar et Martin, qui ont balayé la France entre le 25 et le 27 décembre 1999, causant la mort de 92 personnes. Les dégâts, chiffrés à plus de 10 milliards d'euros, sont considérables.
"L’année 1999 a été un tournant majeur pour le régime", détaille Yorik Baunay, membre de la Caisse centrale de réassurance entre 1999 et 2002 dans le documentaire de Cash investigation. "Pour la première fois de son histoire, l’État a dû intervenir pour aider financièrement la Caisse centrale de réassurance parce que celle-ci n’avait quasiment plus de réserves. Le fonds n’a pas suffi. Ça a été vécu comme un traumatisme et, surtout, comme un échec, car le système avait atteint ses limites."
Une décision a alors été prise pour limiter le nombre de catastrophes naturelles.
Pour certains risques, notamment pour la sécheresse, on a créé des critères qui étaient sensiblement plus restrictifs.
Yorik Baunay, Caisse centrale de réassurance (1999-2002)
Au nord-est de Toulon, Thierry Albertini, le maire de La Valette-du-Var, a sollicité la "catnat" sécheresse à plusieurs reprises pour sa commune. En 2019, cela concernait une dizaine de propriétaires "sur un terrain très argileux dans une zone de La Valette nord". Dossier validé.
L'année d'après, il a demandé la reconnaissance pour deux périodes de l'année sur d'autres zones de la ville varoise. Refus du ministère pour les deux demandes formulées.
Lorsqu’on est propriétaire, on a plus de mal à comprendre la décision, mais elle était juste. Quand il y a des critères objectifs, on ne s’y oppose pas.
Thierry Albertini, maire de La Valette-du-Var
Mais avec des sécheresses de plus en plus intenses et fréquentes, de plus en plus d'habitants pourraient être concernés par ce phénomène climatique. Si tel est le cas, comment continuer à financer les réparations ? Mettre en place des critères encore plus restrictifs pour limiter le nombre de dossiers ou augmenter les cotisations des assurances ?
Cette année, en France, le coût des dégâts causés par la sécheresse est estimé entre 1,6 et 2,4 milliards d’euros.