Cinq ans après, que reste-t-il de la mobilisation des Gilets jaunes ? Dans toute la France, la fronde qui a surgi des campagnes et des villes en 2018 voit en la date du 17 novembre un anniversaire. Ce jour-là, la mobilisation battait son plein. Cinq ans ont passé.
Céline Chatelard travaille dans le médico-social. La quinquagénaire rejoint les rangs d'un des ronds-points les plus actifs du sud de la France, le rond-point du Gargalon.
Situé au nord de Fréjus (Var) l'endroit est rejoint au plus fort de la contestation par plus de 600 Gilets jaunes. Une occupation pacifique. Les Gilets jaunes de cette partie du Var connaîtront leur heure de gloire, recevront le soutien de Brigitte Bardot, mais verront réduite en cendres leur "maison des citoyens du Gargalon", une habitation de fortune pour certains qui ont dormi sur place de très nombreuses nuits.
Céline Chatelard a été l'une des figures départementales du mouvement. En cette date du 17 novembre - qui avait marqué la plus forte mobilisation du mouvement en 2018 avec plus de 2 000 rassemblements -, elle se remémore cette année d'occupation.
J'étais au rond-point de Gargalan, à Fréjus, et on l'a occupé presque un an, H24.
Céline Chatelard
Son engagement est toujours intact, il s'est prolongé bien au-delà. Céline Chatelard se sent plus que jamais concernée. Les Gilets jaunes ont agi pour elle comme un catalyseur. Il a surtout été un révélateur de toutes les colères sourdes que certains et certaines ressentaient. En cause, déjà à l'époque, le prix de l'essence (environ 1,40 euro le litre contre près de 2 euros aujourd'hui), et le sentiment prégnant de ne pas être entendus par l'ensemble de la classe politique.
Qu'est-ce qui vous a décidé à rejoindre la mobilisation des Gilets jaunes en 2018 ?
"Je suis assistante de vie à domicile, spécialisée dans la maladie d'Alzheimer et le handicap. J'ai les difficultés de la monoparentalité, dans le sens où j'étais seule avec mon enfant et avec un père absent, totalement, et financièrement. Je me suis retrouvée dans des difficultés financières pas possibles, à cause de la défaillance de la justice notamment et des systèmes étatiques qui tiennent compte de vos revenus, mais pas de votre reste à vivre. J'étais très énervée".
On a fait passer les Gilets jaunes pour des gens qui ne travaillaient pas, mais moi je faisais mes 60 heures par semaine.
Céline Chatelard
"Je ne suis pas quelqu'un qui revendique [...], j'ai manifesté dans ma vie à 16 ans, et à 53 ans. Je me suis intégrée à ce mouvement, j'ai continué à travailler. J'y allais le soir, le week-end. Il y avait dans ce mouvement une vraie représentation de la société. Il y avait de tout. Des gens qui étaient indépendants, des fonctionnaires... de tous les horizons professionnels."
Quels souvenirs gardez-vous de la mobilisation des Gilets jaunes ?
"On a été très très réprimés. On a eu 13 personnes qui ont été attaquées en justice, à qui il a fallu payer les avocats, pour des choses anodines. On a été poursuivis, car des Gilets jaunes étaient allés ouvrir les barrières de l'hôpital de Fréjus. Ils les ont démontées, elles n'ont pas été cassées. C'est tout bête. Maintenant, vous y allez, il y a deux heures de gratuité, parce qu'il y a eu un procès qui leur a coûté 1 500 euros de frais d'avocats à chacun, alors qu'en fait, après, les politiques ont estimé que payer le parking pour aller aider son conjoint ou sa famille à l'hôpital, ça aurait dû être gratuit".
Les gens, malgré tout, en ce moment, sont en train de se dire : "les Gilets jaunes n'étaient pas si fous que ça."
Céline Chatelard
"Ça s'appelle de la répression. À force de se faire verbaliser quand vous allez sur le rond-point, et que la police passe pour chaque voiture, c'était des amendes de 135 euros, alors qu'on était déjà en difficulté. Il faut être motivé, je vous le dis. Après, les gens nous ont dit 'vous êtes partis'. Oui, mais venez vous faire réprimer avec nous, vous allez voir !"
"Cette stratégie a été mise en place au niveau gouvernemental. On a demandé aux forces de l'ordre de procéder de cette façon. Il ne faut pas croire que les policiers qui sont dans la rue font ces choses de leur propre chef. Ils ont des ordres. [...] Dans les manifestations, on en a croisé plein des gendarmes, des CRS, dans leur majeure partie ils nous disaient 'manifestez, on vous soutient".
Dans quel état d'esprit se sentent les Gilets jaunes aujourd'hui ?
"Le premier jour, c'était le 17 novembre (2018, NDLR), mais on n'a jamais lâché. Moi, ma voiture est remplie de gilets jaunes encore. La plage arrière, elle est Gilet jaune. Il ne faut pas croire que ce mouvement s'est arrêté, il s'est amplifié. Il y a cinq ans, les gens n'ont pas compris que l'on sorte et que l'on soit aussi tenaces. Si vous regardez bien, au niveau économique, en ce moment, vous avez le litre de carburant à 2 euros. Quand on est sortis, il était à 1,45 euro. Les gens sont de plus en plus révoltés. Ils n'osent plus sortir, car ils ont peur de la répression. Regardez le pouvoir d'achat il y a cinq ans, et maintenant, le coût de l'énergie, c'est colossal. Les gens n'ont pas le gilet, mais ils deviennent Gilets jaunes, intellectuellement j'entends, car la vie est bien plus compliquée maintenant qu'elle ne l'était avant."
Personnellement, j'ai eu un redressement fiscal à la même période. Je ne comprends pas pourquoi.
Céline Chatelard
"Suite à ça, je me suis présentée aux élections municipales, départementales. Ce n'est pas parce que l'on n'entend plus parler de nous que l'on ne fait plus rien. Jusqu'à l'année dernière, j'étais invitée par France Télévisions à participer à des émissions politiques. Ce n'est pas parce que l'on est plus sur le rond-point que l'on a arrêté. Le mouvement s'amplifie, en latence, comme des braises. Il suffit d'un élément, et je vous le garantis, ce sera encore plus fort. Les gens, là, sont saturés."
"Le mouvement des Gilets jaunes, ça a provoqué une chose. Les gens n'étaient pas intéressés par la politique, ni les syndicats, mais cela a provoqué un réveil chez eux, et ils s'informent. Vous croyez que lorsqu'ils voient des 49.3, ça ne révolte par les gens ? Pour la réforme des retraites, vous avez vu le monde qu'il y avait ? Ce sont des signes qu'il faut observer. Les Gilets jaunes ne l'ont plus sur eux, car ils ont peur de se faire réprimander, mais ce n'est pas pour cela qu'on ne continue pas à travailler derrière. Y compris des gens qui ont dénigré le mouvement au début, et qui l'ont rejoint depuis."
Pourquoi le mouvement des Gilets jaunes ne s'est pas traduit en mouvement politique ?
"On ne peut pas se structurer et élire quelqu'un si on est contre ce système-là. Comment voulez-vous que l'on se 'structure' en disant 'lui' c'est le chef ? Le respect de la parole de chacun est essentielle dans ce mouvement-là. Je vais vous répondre de cette façon-là, d'autres Gilets jaunes vous répondront différemment. Il faut arrêter de nous accuser de ne pas être structurés, parce que chacun, à notre niveau, on a réussi à apporter une pierre à l'édifice avec les moyens que nous avions. [...] De l'extrême gauche à l'extrême droite, tous sont venus nous solliciter, les syndicats, c'était pareil, car on les intéressait."
"Il faut trouver d'autres systèmes pour fonctionner. On a proposé le référendum (le RIC, le référendum d'initiative populaire, qui visait à faciliter la consultation du peuple, sans associer le Parlement en amont, ndlr), mais on nous a dit que ce n'était pas possible, mais ils ne veulent pas changer la Constitution".
Dans le Var, des Gilets jaunes continuent de se rassembler chaque mercredi sur l'emblématique rond-point du péage de Bandol :
Ces 17 et 18 novembre, une centaine de rassemblements en France sont annoncés, en ligne, notamment sur X - anciennement Twitter. Dans le Var, c'est à la mairie de Toulon que les Gilets jaunes doivent se rassembler, à 20 heures.
Reste à savoir si cinq ans après, les braises seront ravivées par une mobilisation d'ampleur.