Face notamment au manque de soignants, un rapport présentée à l'Académie de médecine fin février préconise de ne plus pratiquer d'accouchements dans les petites maternités et fusionner les salles de naissances avec celles de plus gros hôpitaux. Dans la région, les professionnels de santé sont sceptiques.
Les grandes lignes de ce rapport ont été dévoilées fin février, mais sa principale proposition continue de faire réagir dans le milieu de la santé.
Face à l’Académie de médecine, le professeur Yves Ville, chef du service gynécologie et obstétrique à l’hôpital Necker à Paris, a avancé l’idée de ne plus pratiquer d’accouchements dans les maternités de niveau 1 (dédiées aux grossesses ne présentant pas de risques particuliers) pour les concentrer dans les établissements de niveau 2 et 3, mieux équipées pour prendre en charge les situations difficiles.
Parmi ses principaux arguments : les petites maternités de niveau 1 ne pratiqueraient pas suffisamment d’accouchements pour garder un niveau de soin optimal des jeunes mères et de leurs nourrissons. Le médecin pointe du doigt également le manque de soignants.
Dans le Var et les Alpes-Maritimes, on dénombre en tout 14 maternités, dont 6 de niveau 1 qui pourraient donc être amenées à fermer leurs salles de naissances si ce rapport était suivi.
Un constat "juste" mais une solution pas adaptée
Michel Heisert est le chef du service maternité et gynécologie du Centre hospitalier Marie-José Treffot de Hyères depuis le mois de janvier 2022. L’an passé, 919 bébés sont nés dans son établissement.
Avec en moyenne 2.5 accouchements par jour, le praticien juge que son équipe pratique suffisamment les techniques et outils pour donner la vie : "On a un taux de délivrance qui fait qu’on ne perd pas la main."
Mais il le reconnaît, il partage le même constat que le professeur Ville quant au manque de personnel dans les services.
Une chose est vraie, on ne peut pas le nier : il y a des maternités qui ont du mal à construire une équipe et doivent recourir à de l’intérim pour assurer les gardes.
Michel Heisert, chef de service de la maternité-gynécologie à l'hôpital de Hyères
Aurélie Rochette, sage-femme libérale et présidente de l’Union régionale des professionnels de santé sages-femmes en PACA (URPS PACA), estime, elle aussi, que cette constatation est "juste". Mais tous deux ne voient pas en la fusion des maternités une solution viable.
Distance et difficultés d'accès aux maternités
Pour la sage-femme marseillaise, la proposition est même "complètement impossible" à mettre en œuvre.
C'est une proposition bureaucratique, est-ce qu'on a demandé leur avis aux femmes enceintes ?
Aurélie Rochette, sage-femme libérale et présidente de l’URPS PACA
Dans le Var par exemple, fermer les salles de naissances de niveau 1 reviendrait à fermer plus de la moitié des maternités du département. La soignante s’inquiète de la distance que cela forcerait les femmes à faire pour accoucher. "L’éloignement les amène à faire des choix, détaille-t-elle. Faire le déplacement et prendre le risque d’accoucher sur la route, ou choisir d’accoucher chez soi."
Elle met aussi en avant les caractéristiques du littoral azuréen, avec ses routes bondées en période estivale. "Si on ferme la maternité de Gassin, sortir de Saint-Tropez en plein été pour aller accoucher ailleurs c’est impossible !" Autant de sources potentielles de danger pour les parturientes.
Les patientes risquent de se tourner pour accoucher vers des alternatives non encadrées par des professionnels de santé.
Aurélie Rochette, sage-femme libérale et présidente de l'URPS PACA
Risque de décourager les soignants
La distance, source de stress pour les patientes, qui pourrait être aussi une source de découragement pour les soignants selon Michel Heisert du Centre hospitalier Marie-José Treffot de Hyères : "Prenez Brignoles par exemple. Vous pensez que l’équipe ira avec joie à Toulon tous les jours ?" Les deux communes sont à cinquante kilomètres l’une de l’autre.
Surtout que travailler dans de grosses maternités de niveau 2 et 3 est très différent selon le médecin, qui a fait une partie de sa carrière dans de grands hôpitaux à Paris.
"Moi j’ai choisi Hyères car j’en avais assez à 57 ans de faire des gardes avec des nuits blanches, raconte-t-il. En maternité de niveau 2 et niveau 3, la réalité c’est ça : on est surchargés de boulot, on fait des gardes compliquées avec des situations stressantes. »
Est-ce qu’on arrivera à constituer des équipes suffisamment étoffées sur la durée pour gérer toutes ces grossesses, qu’elles soient normales ou compliquées ?
Michel Heisert, chef de service de la maternité-gynécologie à l'hôpital de Hyères
Vers moins d'accompagnement ?
Michel Heisert s’inquiète aussi que l’accompagnement et l’écoute proposés aux jeunes mères dans les plus petites structures ne soit plus une priorité si les fusions ont lieu.
"On aura beau dire qu’il y aura plus de monde et donc qu’on pourra faire de l’accompagnement, je demande à voir. Dans une maternité de niveau 3, quand on a des patientes en pré-éclampsie (ndlr : une maladie de la grossesse qui résulte d’un dysfonctionnement du placenta) ou en hémorragie, on ne va pas aller voir celle pour qui tout va bien !"
On nous dit que ça ne sera pas des usines à bébés. J’ai travaillé assez longtemps pour savoir qu’il peut se passer plein de choses entre les vœux pieux et la réalité.
Michel Heisert, chef de service maternité-gynécologie à l'hôpital de Hyères
Augmenter le nombre de soignants plutôt que fusionner
D’après lui, la solution la plus adaptée serait donc d’augmenter le nombre de soignants dans les petites maternités, plutôt que les fusionner avec les grandes. Et pour cela, le recours aux médecins étrangers pourrait être une possibilité. "On a beaucoup de médecins étrangers en France, qui ont de l’expérience, détaille-t-il. On ne partirait pas de zéro."
Mais le rapport Ville est pour lui l’occasion de questionner plus largement notre système de santé. "La vraie question, c’est comment on veut soigner les gens ? explique-t-il. Est-ce qu’on veut des maternités très techniques ou des lieux avec davantage de proximité avec les mères et les enfants, mais pour lesquelles dans ce cas il faut plus de moyens ?"
Un modèle entier à revoir, avec les femmes
Aurélie Rochette, la sage-femme libérale et présidente de l’URPS PACA, va même plus loin. Et estime qu’il faut revoir tout notre modèle autour des naissances, fondé sur une contradiction selon elle : "on a de grosses maternités qui sont des pôles de technicité, et de petites maternités de niveau un, alors que la majorité des accouchements et des grossesses se passent bien."
D’après l’enquête nationale périnatale de 2021, 7.8 % des nourrissons nés cette année-là ont eu besoin de gestes de réanimation à la naissance.
À l’heure où les violences obstétriques sont dénoncées, miser sur le tout médical et la technicité n’est pas adaptée à ce que veulent les femmes.
Il faut impliquer les patientes. Ce n’est pas parce qu’elles sont enceintes qu’elles ne sont pas en capacité de faire des choix.
Aurélie Rochette, sage-femme libérale et présidente de l'URPS PACA
En 2021, 702 000 naissances ont été déclarées en France.