Des tortues brisées, martyrisées par les flammes. Mais des tortues libérées. Vendredi 1er octobre, 30 victimes à carapace de l’incendie qui a ravagé plus de 7100 hectares au départ de Gonfaron, en août 2021, ont recouvré la liberté.
Les stigmates de l’incendie, parti d’une aire d’autoroute le 16 août dernier, ne sont pas visibles exclusivement sur la flore. Les discrètes tortues d’Hermann, spécifiques au département varois, ont payé un lourd tribu lors de cet épisode estival.
Telle une mauvaise série, les saisons 2003, 2017 et 2021 ont été marquées par le ravage des flammes dans cette partie du Var, au prix de nombreuses vies animales. Un épilogue heureux s’est pourtant joué ce vendredi 1er octobre, celui de la remise en liberté d’animaux soignés depuis des semaines. Une fierté pour le vétérinaire Franck Bonin et ses collègues du Village des Tortues de Carnoules qui accueillaient pour l’occasion le vice–président de la région Sud, François de Canson, des maires varois, ainsi que des conseillers départementaux et des élus des communes voisines.
30 tortues d’Hermann soignées
« Toutes ces tortues ont été retrouvées sur le site du massif des Maures qui ont été impactées par l’incendie du mois d’août » débute Franck Bonin, qui se souvient des premières interventions sur ce terrain noirci par les flammes. « Nous avons secouru 200 à 250 tortues sur place, et 30 ont été rapportées dans notre centre pour avoir des soins. Toutes les tortues y ont été abreuvées car elles étaient déshydratées, mais toutes celles qui ont été laissées là-bas n’avaient pas besoin d’être transportées » explique-t-il.
Pour remettre sur pattes ces animaux à carapace, des semaines d’attention ont été nécessaires, suivant un protocole de soin précis. « Quand les tortues sont arrivées, elles ont été d’abord savonnées avec un produit spécial et désinfectant. Ensuite, elles ont été rincées et mises en observation après une injection d’antibiotiques, et une réhydratation. Par solutés, mais aussi chaque jour, sous un filet d’eau dans un évier très propre, une à une, pendant une vingtaine de minutes. »
Un travail hors norme pour Franck Bonin et ses équipes qui nécessitait pas moins de 600 minutes d’attention au quotidien, pour cette seule étape.
Une réintroduction au millimètre près
Vendredi 1er octobre, ces tortues d’Hermann ont enfin pu retrouver leur habitat naturel. Elles ont toutes été relâchées en fin de journée au point GPS où elles avaient été trouvées. Elles ont été équipées d’un petit émetteur capable de les suivre en temps réel pour une durée allant de 6 mois à 1 an. L’association Soptom – hébergée au Village des Tortues - s’occupe du tracking GPS pour cette phase de réhabilitation.
« Je n’ai pas d’exemple en Europe, ou dans le monde, d'un travail aussi gigantesque autour de tortues brûlées. C’est vraiment la première fois que l’on part aussi nombreux pour aider autant d’animaux blessés, c’est quand même colossal » insiste Franck Bonin, qui a oeuvré aux côtés de dizaines de personnes, depuis le prélèvement après l’incendie, jusqu’à cette journée du 1er octobre.
« C’était totalement une opération de sauvetage. On sait que si nous n’avions rien fait, une immense majorité d’entre elles serait mortes à cause de leurs lésions qui sont sujettes à la ponte de mouches et au développement d’asticots. Très rapidement, les infections se seraient multipliées, les prédateurs auraient pu les sentir et les consommer. Elles ont très peu de chances de survie dans ces cas-là. »
Un emblème pour le Var
La tortue d’Hermann reste un animal emblématique du Var et a besoin de poursuivre son vécu sur place. Cette espèce protégée, et endémique, est présente depuis « 2 millions d’années, et ce serait absolument triste de voir que l’être humain est capable de la faire disparaitre à cause de ses activités » précise le docteur de 55 ans.
La régénération des populations se fait à condition qu’il n’y ait plus d’incendies aussi fréquents. Il faudra bien 20 à 30 ans pour retrouver une situation normale.
Leur population actuelle est très difficile à évaluer. Dans la plaine des Maures, il y a 2 à 10 individus par hectare. Une vie animale que côtoie chaque jour Franck Bonin : « au tortupôle de Carnoules, nous avons une zone naturelle accolée au Village des Tortues où nous avons 10 à 15 animaux de cette espèce qui y vivent naturellement. Il y a des poches de population qui sont relativement conséquentes ».
L’opportunité d’expérimentations
« Avec les scientifiques, nous avons fait beaucoup de traitements différents. Certaines tortues ont des résines d’époxy, certaines sont camouflées, et nous allons faire un suivi spécial pour voir ce qui marche le mieux à l’avenir, ce qui est le plus abouti pour assurer un maximum de succès quand elles retrouvent leur milieu naturel. Nous n’avons pas un recul pareil sur un si grand nombre d’animaux blessés et réintroduits. » conclut Franck Bonin.
Passionné, ce vétérinaire va continuer d’œuvrer au Village des Tortues, y compris pour des espèces méconnues ou plus discrètes. « Le centre où je travaille est un refuge, on y accueille les tortues abandonnées ou celles saisies par l’administration. On en a 50 espèces, soit entre 1600 et 1700 animaux. Cela augmente sans arrêt car nous sommes un centre de récupération des tortues aquatiques et exotiques. On les retire de l’écosystème français, c’est une grosse mission, ce sont des animaux qui n’ont strictement rien à faire dans nos cours d’eau où elles consomment toute notre biodiversité. »