La pièce tirée de "Meursault, contre-enquête" de Kamel Daoud, roman miroir de "L'Etranger" de Camus, a été créée mardi au Festival d'Avignon en présence de son auteur et avant une tournée y compris en Algérie.
La pièce, donnée devant une salle archi-comble, est extrêmement fidèle au roman, mais sans grande imagination dans la mise en scène.
"C'est un effet magique", a pourtant réagi Kamel Daoud, "c'est une première pour moi, je ne suis pas un homme de théâtre...
"Voir le livre transposé à la scène et s'adresser autrement au public, c'est très enthousiasmant".
Le roman, qui a reçu de nombreux prix dont le Goncourt du Premier roman, s'est vendu à plus de 130.000 exemplaires en France et 14.000 en Algérie, "ce qui est considérable pour un roman en français", selon l'éditeur algérien Barzakh.
Le "reflet inversé" de l'Etranger de Camus
"Meursault, contre-enquête" est le reflet inversé de "L'Etranger". Son héros Haroun est le frère de Moussa, "l"Arabe" jamais nommé par Camus, tué par Meursault sur une plage écrasée par un soleil de plomb, au lendemain de la mort de sa mère.La pièce installe le récit dans la cour de l'ancienne maison des maîtres français, qu'ont récupérée Haroun et sa mère à l'indépendance. Dans la cour, un citronnier, sous lequel est enterré un Français tué par Haroun en 1962, en contrepoint du meurtre de l'Arabe par Meursault vingt ans plus tôt.
Le metteur en scène Philippe Berling, co-directeur du Théâtre Liberté de Toulon, met en scène Haroun, le narrateur du roman, mais aussi la vieille mère, presque muette, qui chantonne et réagit parfois en marmonnant aux propos du fils. Des photos projetées sur le mur évoquent la colonisation, le départ des pieds-noirs vers la France, les visages des "fantômes" évoqués par le roman.
Les correspondances entre "L'Etranger" et "Meursault" sont nombreuses: comme le héros de Camus, le narrateur de Daoud est un esprit libre, qui refuse avec la dernière énergie le secours de la religion et semble "étranger" au cours des choses, restant à l'écart de la guerre d'indépendance.
L'auteur vit "en clandestin"
En Algérie, Kamel Daoud, qui tient une célèbre chronique dans "Le quotidien d'Oran" francophone, a fait l'objet d'un sorte de "fatwa" de la part d'un imam salafiste.Il vit aujourd'hui "en clandestin", dit-il.
"J'ai reçu des menaces de mort, en France aussi".
"J'ai déposé plainte et le régime n'a pas souhaité donner suite donc la plainte est enterrée", a-t-il affirmé.
"Il y a une sorte de deal et de partage du territoire entre le régime et les islamistes: "vous prenez la rue, la morale de rue, la morale sociale, nous on prend les richesses et tout le monde est content", raille-t-il.
"Si j'émerge pour casser ce deal, demander un procès qui sera très symbolique parce que ce sera entre Kamel Daoud un opposant libéral, progressiste, et un islamiste, le régime et ses institutions devront trancher. Pour donner raison à qui ? Me donner raison les incommoderait mais donner raison à l'islamiste ce serait comme mettre à nu le deal existant donc ils préfèrent ne pas donner suite à la plainte", conclut-il.
La pièce créée à Avignon va tourner dans plusieurs villes françaises puis du 8 au 18 février dans le réseau des Centres culturels français d'Algérie, une perspective qui enchante Kamel Daoud.
"Non seulement c'est important, mais je vais y assister et là, le spectacle sera pour moi double: il sera sur scène et dans la salle."