Pendant le confinement, des résidents de Cabrières d’Avignon n’ont pas supporté le cri des pintades de l’exploitation agricole voisine. Un courrier proposant d’organiser un dépôt de plainte collectif a même circulé. La mairie espère résoudre le conflit et organise une médiation.
"Dommage cette société où l’on signe des pétitions avant d’aller parler aux personnes concernées". Samantha Chauvin est un peu désabusée.
La cohabitation à la campagne n'est pas toujours simple. L'éleveuse de volailles explique avoir elle-même subi les nuisances sonores de la piste d'ULM voisine sur ses volailles, qui en avaient cessé de pondre. "Nous avions réglé le problème autour d'un café".
Cette fois c'est son exploitation agricole qui pose problème à des voisins: Poules&Co, un élevage installé en agriculture biologique depuis 2016.
La ferme compte 4.000 volailles sur 2,5 hectares. Des poules pondeuses, des chapons et entre 400 à 700 pintades, qui cacabent ou criaillent plus ou moins en fonction des saisons. "Nous, on dit qu'elles braillent", admet Samantha.
Elle et son associée ont su qu'une plainte avait été déposée en mairie par des riverains en janvier dernier. Puis durant le confinement, une lettre proposant de lancer une action collective à l'encontre de son exploitation a circulé.
C'est ce qui a décidé l'exploitante agricole à mettre les pieds dans le plat. Histoire de poser publiquement le problème, elle a publié le courrier des voisins sur les réseaux sociaux.
On recommence : C'est un Hollandais, un Allemand et un Belge qui achètent de somptueuses résidences (secondaire ou pas)...
Publiée par Poules & Co. sur Samedi 18 avril 2020
"Elles font du bruit. Mais « incessant » est de trop"
On l'aura compris, les pintades de Poules&Co ne sont donc pas les habitantes les plus discrètes de la commune.
"Elles crient le matin quand on vient les nourrir et dès que quelque chose d’inhabituel se produit dans leur environnement. Un piéton qui passe sur le chemin peu fréquenté, ou un renard la nuit : leur alerte a quand même permis de sauver l’élevage à deux reprises".
Poules&Co défend un modèle agricole militant, label agriculture biologique et circuit courts dans une région, le Lubéron, où le foncier connaît de vives tensions.
Les maisons voisines de l’élevage de volaille, établi en zone agricole, ont été construites il y a longtemps. A une époque où la loi et les usages toléraient des constructions résidentielles éparses, le fameux mitage." Dans ce secteur aujourd’hui, aucune maison ne sortirait de terre", argumente Samantha.
Delphine Cresp, élue en mars dernier maire de Cabrières-d'Avignon confirme : "Dans les zones agricoles protégées, la construction de logements n'est plus possible. Même pour les exploitants agricoles, c'est compliqué d'habiter sur place".
Définir le patrimoine sonore et olfactif des campagnes
Compliqué d'installer son exploitation agricole, et parfois de cohabiter avec les voisins.
Les litiges concernant les nuisances entre touristes ou riverains d'exploitation agricoles sont en hausse en France, à tel point qu'une proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes a été adoptée à l'Assemblée Nationale le 30 janvier dernier.
Examinée en première lecture par le Sénat, elle doit permettre d'établir une base juridique aux émissions olfactives et sonores qui font partie de la vie à la campagne : odeur de fumier, cri du coq ou même... chant des cigales. Et de mieux définir la notion de trouble anormal du voisinage.
?️Les députés ont adopté à l'unanimité la PPL protégeant le patrimoine sensoriel des campagnes
— Assemblée nationale (@AssembleeNat) January 30, 2020
➡️ Introduire la notion de patrimoine sensoriel dans le code du patrimoine
➡️ Étudier la possibilité d'introduire la notion de trouble anormal de voisinage dans le code civil#DirectAN pic.twitter.com/CSqTmeA5tO
En attendant la loi, la mairie de Cabrières-d'Avignon qui a pris les choses en main. Une médiation entre les riverains et l'élevage de volailles a démarré.
"Pour le moment, c'est statut quo. Mais le contact a été établi et les riverains ont visité l'exploitation" explique la maire de la commune.
Le déplacement des volailles n'est pas possible compte tenu des contraintes. Et actuellement les pintades qui vivent sur l'exploitation sont jeunes et moins bruyantes, nous ne les avons pas entendues". Delphine Cresp souhaite résoudre le litige et espère rétablir le dialogue.
Les résidents n'ont pas souhaité nous parler pour le moment, préférant "résoudre le problème entre eux", loin de toute cacophonie médiatique.
Le calme est de retour, mais comme pour le coq ou les cigales, la nature vit par cycles. Avant le retour du cri des pintades au printemps prochain, une loi aura peut-être permis d'établir si leurs nuisances sonores ont droit de cité à Cabrières-les Avignon.