Les pêcheurs français s'inquiètent de l'interdiction de rejeter certaines de leurs prises en mer, qui entre en vigueur le 1er janvier, craignant des conséquences économiques et un difficile travail de tri.
Cette réglementation européenne, prise dans le cadre de la nouvelle Politique commune des pêches (PCP), vise à éviter le "gaspillage" que constitue le rejet à la mer de poissons trop petits pour être commercialisés, ou bien d'une espèce différente de celle pêchée par un bateau en particulier.L'objectif est d'inciter les pêcheurs à améliorer la sélectivité de leurs techniques de travail pour ne pas capturer de poissons inutiles. Peu d'études ont été menées sur le taux de survie des poissons rejetés en mer, mais il semble "assez faible sauf pour certaines espèces", expliquait fin novembre Laurence Fauconnet, chercheuse à l'Ifremer de Nantes, lors d'un forum à Paris.
En 2015, le "zéro rejet" entre en vigueur seulement pour les poissons pélagiques (thon, sardines, anchois...), le cabillaud et le saumon de la Baltique, et les bateaux de pêche industrielle, avec sûrement quelques exceptions dans certains cas.
Une fausse bonne idée, selon les professionnels du secteur
L'interdiction doit ensuite être étendue à toutes les espèces d'ici à 2019. Mais pour les pêcheurs français, il s'agit d'une "fausse bonne idée, très compliquée à mettre en pratique", explique Hubert Carré, directeur général du Comité national des pêches. Car les pêcheurs vont être obligés de trier et de stocker à bord ces poissons, qui seront décomptés de leurs quotas de capture. "Les structures ne sont pas adaptées pour réduire les rejets : dans les cales du bateau, la sole et le merlu doivent être séparés, par exemple. Ce sera difficile de séparer en plus les rejets", craint Thierry Evain, patron pêcheur au Croisic. Ce poisson sans valeur marchande risque de prendre la place sur le navire, au détriment des prises commercialisables, augmentant au passage les dépenses en carburant.A terre, pas de solutions
Pourtant, une meilleure sélectivité "peut entraîner une baisse de rentabilité à court terme, puis une hausse à moyen terme", en pêchant des poissons plus gros, donc plus chers, souligne Pascal Larnaud, chercheur à l'Ifremer de Lorient. D'ailleurs, "les pêcheurs n'ont pas attendu les décisions de la Commission européenne pour faire évoluer leurs engins", rappelle Thierry Guigue, ingénieur halieutique de l'organisation Pêcheurs de Bretagne.Plusieurs programmes de recherches existent pour mettre au point des filets permettant aux juvéniles ou aux espèces non désirées de s'échapper, ou sur des techniques de sondage des fonds pour anticiper le type de captures. "Des plans de gestion ont été mis en place pour éviter de capturer des juvéniles de cabillauds et d'églefins", en évitant certaines zones, rappelle Hubert Carré.
A terre, rien n'est vraiment prévu pour utiliser les poissons rejetés, surtout ceux qui sont trop petits et donc interdits à la vente, l'objectif primordial étant de dissuader les pêcheurs de les capturer. Le produit pourrait éventuellement intéresser des fabricants de nourriture pour animaux "mais il y a un problème de rentabilité économique car ce ne sont pas des tonnages réguliers qui arriveront", explique M. Carré, qui souligne aussi que rien n'est prévu en termes de plateformes logistiques ou de chaîne du froid.
Surtout, "aucun investisseur ne va mettre en place une filière pour une matière première dont la vocation est de disparaître" lorsque la pêche sera plus sélective, remarque Max Palladin, directeur des criées de La Turballe et du Croisic. Autre problème selon lui : "aucun port n'est en mesure d'accueillir tous les rejets. Demain, il y aura des dizaines de kilos de poissons hors taille dans les criées". Et peut-être des problèmes juridiques en vue, car "on peut se retrouver au pénal pour n'avoir pas respecté la taille des poissons", avec des amendes à la clé. Un grand flou règne aussi sur l'application de la nouvelle règle: un temps envisagée, l'installation de caméras pour vérifier qu'aucun poisson n'est rejeté en mer a été abandonnée. "On ne sait pas quelles modalités de contrôle seront mises en place", regrette Hubert Carré.