"J'étais considérée comme une VIP, et offerte en cadeau à des chefs d'entreprises ou des hommes politiques": Carole, ancienne prostituée, confirme une pratique fréquente dans les milieux d'affaires, alors que le procès de Dominique Strauss-Kahn s'ouvre lundi. Témoignage (VIDÉO).
L'ancien patron du Fonds Monétaire International comparaît avec 13 autres personnes devant un tribunal de Lille, dans le nord de la France, pour une affaire de proxénétisme dans laquelle sont impliqués des chefs d'entreprise.Carole, qui témoigne auprès de l'AFP sous un prénom d'emprunt, assure qu'il est courant dans les milieux d'affaires d'offrir une prostituée en gratification ou pour mettre les clients dans de bonnes dispositions, afin de favoriser certains contrats.
Business, sexe et politique
Cette femme de 41 ans a quitté la prostitution en 2013 après trois années dans des bars à champagne et des maisons closes de Belgique. En tant qu'ex-chef d'entreprise, explique-t-elle, "j'étais réservée à une clientèle huppée" d'hommes d'affaires ou politiques locaux du nord de la France.Carole était payée par le tenancier. "Des entreprises, parfois de grandes structures internationales, venaient le voir pour demander qu'une fille soit offerte en cadeau" à quelqu'un. Elle se souvient d'une société automobile "qui voulait signer un contrat pour la vente de trois camions" avec le responsable d'une boîte locale.
"Je devais faire le nécessaire pour qu'il signe."
"C'est une pratique taboue mais qui existe, pour entretenir 'un certain climat de bonhomie'", confirme Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, qui lutte contre la prostitution. Il cite l'exemple du styliste italien Francesco Smalto, condamné en 1995 pour proxénétisme pour avoir livré des costumes au président gabonais Omar Bongo avec des call-girls.
"Chambre avec oreiller" ou "chambre garnie" sont les expressions pour désigner ces "escorts", prostituées des milieux aisés.
S. Colaone / S. Rosenstrauch / A. Da Fonseca
'Une affaire de mecs'
Qui sont-elles? "Il ne s'agit évidemment pas de la malheureuse jeune Roumaine", admet Yves Charpenel. "La plupart travaillent pour des réseaux de maisons closes ou d'escorting sur internet, et même si le prix est élevé, 75% revient au trafiquant".Eric Dupond-Moretti, avocat d'un des prévenus dans le procès de Lille, David Roquet, ex-patron d'une filiale du groupe de BTP Eiffage, confirme que "les
calls-girls sont 80%, peut-être 70% du temps sollicitées" lorsqu'il s'agit de conclure des affaires.
"Il est largement admis dans les milieux d'affaires de conclure un contrat par une offre prostitutionnelle (...)", remarque Grégoire Théry, du Mouvement du Nid, qui aide les prostituées.
Un obstacle de plus à l'égalité homme-femme en entreprise. "Quand on conclut l'affaire dans un bordel ou une chambre d'hôtel", "c'est une affaire de mecs", dit-il. C'est surtout "fréquent" là "où il y a de la corruption et des pots de vins", précise Jean-Sébastien Mallet, expert européen de la prostitution, citant "le BTP, l'import-export, le secteur pétrolier...".
Faire plaisir, ou faire pression
Et à l'étranger: "dans certains pays arabes, un homme d'affaires qui n'aura pas un 'oreiller' dans sa chambre refusera de signer un contrat".Mais le sexe est aussi utilisé pour faire pression. Ainsi, ce dirigeant d'une multinationale française avait trouvé une fille dans sa chambre d'hôtel en Roumanie. "Il l'avait faite sortir. 'Comment voulez vous négocier après? Si vous avez accepté, ils vous tiennent', m'avait-il dit", raconte M. Mallet.
Carole confirme que des hommes se font "piéger". "On nous envoyait dans un bar, un restaurant, où la cible était seule ou avec des collègues. Il nous fallait la séduire, pour qu'elle fasse une erreur" et qu'un éventuel chantage soit possible.
Impunité, ou presque ?
"Les entreprises qui ont recours à ces 'escorts' sont très peu poursuivies", déplore M. Charpenel, car c'est "difficile à identifier" sauf, cas très rare, "lorsqu'une fille porte plainte ou accepte de témoigner".Pour le procès de lundi, où le mouvement du Nid accompagne certaines de ces femmes, Grégoire Théry a relevé "une véritable pression pour qu'elles ne témoignent pas".