Deux cents ans après la bataille de Waterloo, les Britanniques font toujours la guerre à Napoléon: admiré ou redouté pour son génie militaire, il reste largement à leurs yeux un tyran sanguinaire, volontiers comparé à Hitler ou à Staline.
L'empereur des Français révolutionnaires et régicides a continué de terrifier nos voisins d'outre-Manche longtemps après sa mort à Sainte-Hélène, relève l'historien Andrew Roberts. "Tiens toi tranquille ou "Napo" va s'occuper de toi" lançaient encore à leurs rejetons des mères exaspérées, au sortir de la Seconde guerre mondiale, souligne l'historien. Sa dernière biographie de 900 pages au titre iconoclaste a fait lever plus d'un sourcil britannique : "Napoléon, le Grand". Le Grand? Depuis deux siècles "Little Boney" (un diminutif traduisible par "petit Napo") est moqué en raison de sa taille. Pour faire bonne mesure, Channel 4 cité par The Times, a assuré que le rapport d'autopsie décrivait un pénis impérial de 1,5 pouce, soit 3,8cm...
"L'homme a eu la grande malchance de voir son règne coïncider avec celui des plus grands caricaturistes britanniques", explique Andrew Roberts à l'AFP. "Ils l'ont toujours représenté sous les traits d'un nain assoiffé de sang". A preuve l'exposition début 2015 de leurs dessins au British Museum de Londres, attaquant "le lilliputien", "la peste corse" ou "Belzébuth". "A mon sens, personne dans l'histoire n'a été autant calomnié et ridiculisé que Napoléon", avait déclaré à cette occasion l'historien Tim Clayton. "Parce qu'il faisait peur, il fallait le rabaisser", avait confirmé Sheila O'Connel, conservatrice du musée.
Propagande
Selon M. Roberts, les conservateurs ont perpétué le mythe "du monstre et dictateur diabolique". A l'exception notable du Premier ministre Winston Churchill, qui voyait en Bonaparte "le plus grand homme d'action depuis Jules César". "C'était un conquérant. D'évidence, il était sans pitié... Il convient cependant de replacer tout cela dans le contexte d'une guerre totale, qui a duré 22 ans. D'un strict point de vue historique, il est tout simplement faux de l'accuser de tous les maux". On ne peut en faire l'unique responsable de quelque 6 millions de morts militaires et civils en Europe, insiste M. Roberts.Face à des confrères comme Adam Zamoyski, pour qui Napoléon était "un mégalomane" incompétent et "usurpateur", il rappelle que son héros a été plus souvent agressé qu'agresseur. Les premières guerres lancées en 1792 ont été le fait des Anglais, des Autrichiens et des Prussiens, "à une époque où Napoléon n'était encore qu'un lieutenant d'artillerie". En revanche, on peut lui reprocher "les attaques d'un opportunisme déplorable contre l'Espagne et le Portugal, en 1807 et 1808, et bien sûr l'invasion de la Russie en 1812". Quant à son bilan militaire, certes il y a eu la défaite fatale de Waterloo, mais sur 60 batailles livrées, il en a gagné 47 tandis que 7 ont été indécises.
Réécriture française de l'histoire
Tyran ou héros ? La question a alimenté des milliers d'ouvrages qui encombrent les rayons des bibliothèques britanniques et les sites de vente en ligne. Andrew Roberts s'étonne qu'en dépit de sources académiques pléthoriques on puisse encore comparer Napoléon à Saddam Hussein ou au colonel Kadhafi. Ou à l'instar de la BBC, l'inclure dans un triptyque des plus grands dictateurs aux côtés d'Hitler et Staline. "En réalité, ces hommes n'ont rien en commun si ce n'est que Napoléon a envahi la Russie, comme Hitler", souligne l'historien. "Ce n'était pas seulement un grand soldat et un brillant stratège. Bien entendu, c'était aussi un homme d'État et au final une figure autrement plus imposante que Wellington", confirme à l'AFP Sir Evelyn Webb-Carter, le président de Waterloo 200, comité organisateur du bicentenaire, côté britannique.Et M. Roberts d'ajouter: "Les visiteurs du champ de bataille (de Waterloo) sont frappés que les boutiques, restaurants et cafés soient essentiellement dédiés à Napoléon, qui a perdu, plutôt qu'à Wellington, le vainqueur. Et cela a le don d'irriter les touristes anglais". Des médias londoniens soufflant sur les braises soupçonnent les vaincus de réécrire l'histoire. Ainsi, le Times s'est récrié quand Franck Samson - l'avocat français qui incarne Napoléon lors de la reconstitution du carnage du 18 juin 1815 dans la plaine bruxelloise - a assuré: "Le public applaudira l'empereur, et oubliera que nous avons perdu". L'un des figurants anglais enrôlé pour le spectacle, Michael Haynes, en habit de général anglais de l'époque, confesse: "On a tous un peu d'affection pour Napoléon. Il a beau avoir été tyrannique sur les bords, c'était un grand général, charismatique, énergique. Il a façonné l'Europe".