Après 20 000 ans d'existence, il aura suffi de deux décennies pour mettre en péril le trésor inestimable de la grotte de Lascaux. 60 ans après sa fermeture au public, le site guérit lentement et commence à retrouver son apparence originelle
Les visiteurs pouvant se vanter d'avoir visité la grotte originelle sont de moins en moins nombreux. Les derniers ayant pu accéder à cette merveille et la contempler de leurs propres yeux l'ont fait il y a 60 ans. Le 17 avril 1963, le ministre de la Culture André Malraux décide de sa fermeture. Il était temps. Le millier de visiteurs qui se pressait chaque jour pour admirer le site entraînait en même temps sa destruction. La chaleur, l'éclairage, les 2 500 litres de dioxyde de carbone dégagés par les respirations altéraient impitoyablement les précieuses peintures préhistoriques.
Une belle endormie
Depuis cette date, seuls quelques très rares privilégiés sont autorisés à pénétrer dans la grotte aux 1 900 représentations, et toujours à des périodes qui limitent l'impact et les risques de perturbation à l'intérieur de la grotte. Des "gardiens du temple" dont le rôle consiste notamment à surveiller la convalescence de Lascaux.
Très peu de personnes rentrent, essentiellement ceux qui ont besoin d'y travailler dans le cadre de programmes de recherche, donc des chercheurs en tant que tel, l'équipe de la conservation dont je fais partie, et puis une équipe de conservateurs-restaurateurs qui intervient très ponctuellement, que ce soit pour réaliser des suivis des états de paroi, s'assurer que les choses sont stables et puis ponctuellement, en tant que de besoin venir avec des scalpels enlever les résidus de matière organique sur le sol ou dans des remplissages argileux. [...] On ne compte pas en nombre de personnes, mais plutôt en nombre d'heures. On est à moins de 200 heures/homme par an lissées sur certaines périodes de l'année.
Muriel Mauriac, conservatrice de la grotte de Lascaux
Dérogation présidentielle
Une exception notable, lors d'une visite présidentielle. En septembre 2010, à l'occasion des 70 ans de la découverte de Lascaux, Nicolas Sarkozy, son épouse Carla Bruni, son fils et l'un de ses amis bénéficient d'une dérogation et pénètrent dans le saint des saints en compagnie du paléontologue Yves Coppens. Et d'un journaliste privilégié de France 3 Périgords, Pascal Tinon, chargé de prendre les images pour les autres chaînes de télévision. Il en garde aujourd'hui encore le souvenir ému. Il aura été le dernier à tenir une caméra publique dans la grotte de Lascaux.
Aujourd'hui, jusqu'à 200 capteurs scrutent l'état de santé de Lascaux, humidité, température, oxygène ou Co2 sont enregistrés minute après minute. Le maintien de la grotte dans son état original passe aussi par l'environnement extérieur. La grotte est peu profonde. Une étude minutieuse du couvert végétal, sol, végétation, hygrométrie et du climat (incluant le dérèglement climatique) a été réalisée pour déterminer quel type de végétation doit recouvrir le site, maintenant et dans les décennies à venir. Les arbres ont été étudiés spécialement par l'école nationale supérieure des sciences agronomiques Bordeaux-Science Agro, afin de savoir quelles espèces menacent le moins l'hygrométrie du sol et participeront le mieux à l'équilibre géologique dans le temps.
Harmonie en sous-sol
Sol débroussaillé, arbres entretenus et replantés, utilisation d'appareils électriques pour éviter les éventuelles fuites d'hydrocarbures, rien n'a été laissé au hasard. Une parcelle expérimentale comportant des espèces résistantes au réchauffement climatique (pins noirs, chênes-lièges) a même été implantée à proximité pour étudier son évolution.
Écosystème stable
La crainte de Muriel Mauriac, conservatrice de la grotte de Lascaux, c'est que le dérèglement climatique soit trop brusque pour que la grotte puisse le supporter. Un brusque coup de chaud, une sécheresse intense alternant avec des pluies abondantes, et c'est toute la stabilité de la couverture qui est menacée. L'objectif est qu'au fil du temps la grotte puisse retrouver un écosystème semblable à celui qu'elle a connu jusqu'à sa découverte en 1940. Un écosystème qui lui avait permis de rester dans un incroyable état de conservation pendant 20 000 ans.