[Enquête] Marc Gauché, l’énigmatique et intrigant socialiste du Tarn

La liste des candidats PS tarnais aux régionales est désormais connue. Mais la bataille fait rage au sein du PS 81. Inconnu du grand public, Marc Gauché est au cœur de la vie politique depuis 20 ans et suscite la polémique. Enquête sur un homme d’influence, entre ombre et lumière.

Au sein de la fédération du parti socialiste du Tarn, la simple évocation de son nom provoque la crispation ou un sourire en coin. Lorsqu'ils acceptent d'en parler, élus comme militants le reconnaissent volontiers, Marc Gauché inspire de la crainte, de la défiance voir du mépris. "Il me fait penser à Voldemort" s'amuse un adhérent tarnais qui préfère conserver l'anonymat. Marc Gauché, militant de 65 ans, sans mandat, inconnu du grand public, homme de l'ombre et de réseaux, membre des instances nationales du Parti socialiste, devenu un apparatchik incontournable de la fédération locale tarnaise. 

"Marc Gauché a une influence néfaste sur le PS"
Le député Jacques Valax


Cette place, aujourd’hui, beaucoup la lui contestent. Le député PS de la 2ème circonscription du Tarn, Jacques Valax ne s'en cache pas et s’avère d’ailleurs être le seul à en parler à visage découvert. Il se veut son plus fervent opposant "Marc Gauché a une influence néfaste sur le PS. Rôle et influence qui vont en diminuant, je l'espère, en tout cas je m'y emploie."

20 ans aux côtés de Thierry Carcenac


Cette carrière sur les terres de Jaurès, Marc Gauché l’a construite toujours en retrait, loin du regard des médias. L’intéressé n’a d’ailleurs jamais répondu à nos multiples sollicitations arguant ne pas souhaiter que l’on mêle ses "activités professionnelles" et ses "convictions  personnelles".
Et pourtant. Son histoire est indissociable de cette alliance. Thierry Carcenac, président du département depuis maintenant 24 ans, est celui qui lui a ouvert la porte du Tarn en 1995 en l’embauchant comme directeur de cabinet. Le politique et le professionnel.
Carcenac et Gauché, deux hommes que tout oppose. Autant l’un est qualifié de timide et d'austère, autant l’autre est décrit comme beau parleur et sachant séduire ses interlocuteurs. Le premier est l’archétype du rad-soc, le second s’affirme comme un frondeur, un partisan de l’aile gauche du PS.
En 20 ans, Marc Gauché s’est imposé comme un personnage-clé aux côtés du sénateur socialiste ; mais aussi comme le bras droit et "l’éminence grise" de Linda Gourjade (députée socialiste de la troisième circonscription du Tarn) comme le directeur de campagne de Christian Cayal (conseiller municipal PS de Lavaur) lors des municipales en 2014 à Lavaur et aussi de Dominique Rondi Sarrat à Saint-Sulpice, (maire PS de Saint-Sulpice) avant que cette dernière décide de s’en séparer rapidement.

Un homme ambigu dont "il faut se méfier"


Ceux qui le connaissent bien, commeThierry Carcenac ou la députée Linda Gourjade, n’ont pas répondu à nos demandes d’entretien pour parler de cet homme avec qui ils travaillent. De leur côté, ses adversaires le décrivent comme un homme ambigu dont il faut se méfier. Un personnage "redoutable", "déloyal", agissant toujours en coulisse et de façon opaque, prêt à toutes les concessions pour arriver à ses fins.

Pour ma part, j'ai toujours fait passer les valeurs et les convictions avant les arrangements. Je ne suis pas sûr que Monsieur Gauché ait cette conception."
Paul Quilès


Un point de vue partagé par un ancien ministre de François Mitterrand. Paul Quilès a beaucoup à raconter mais préfère rester prudent "Tout ce que je peux dire c'est que, pour ma part, j'ai toujours fait passer les valeurs et les convictions avant les arrangements. Je ne suis pas sûr que Monsieur Gauché ait cette conception."
Ces critiques n’empêchent pas Marc Gauché d’avoir des soutiens de poids au sein de l’appareil du PS, comme Henri Emmanuelli et Benoît Hamon. Des soutiens qu’il n’hésite pas à mettre en avant lors de ses rares rencontres avec la presse. Ainsi, l’an dernier, quand, désigné candidat titulaire du Tarn sur la liste PS de la circonscription du Grand Sud-Ouest aux élections européennes, il marquait alors clairement son positionnement en fustigeant les politiques d’austérité gouvernementales : " L’austérité généralisée est intolérable. Il y a un choix possible. Il est nécessaire d’impulser une politique nouvelle. "

Directeur de société, attaché parlementaire et retraité


L’austérité n’est d’ailleurs pas pour lui. A 65 ans, Marc Gauché cumule deux emplois rémunérés par de l’argent public et semi-public auxquels il faut ajouter sa pension de fonctionnaire. Depuis 2000, Thierry Carcenac lui a confié le poste de directeur de la société d’économie mixte en charge des infrastructures numériques du département, la Sem E-Téra (lire l'encadré ci-dessous). En 2014, c’est Linda Gourjade, député de la troisième circonscription du Tarn, qui lui offre un poste d’attaché parlementaire.
Jacques Valax ne rate pas l’occasion de donner son point de vue.

"Il semblerait que Monsieur Gauché soit en effet attaché parlementaire de madame Gourjade. J'en conclus simplement qu'il est très souvent à Paris au moins le mardi, le mercredi et le jeudi matin. Je me demande quelle peut être la mission qui est la sienne puisqu'il est également directeur de la Sem E-Tera. " Et Philippe Folliot, député UDI de la 1ère circonscription du Tarn et nouveau membre du conseil d'administration de la Société d'économie mixte, de "s'interroger sur le cumul de ces fonctions et de ces salaires."

Une première vie politique dans le Var


En se penchant plus attentivement sur son parcours, un aspect interpelle immédiatement. Avant 1995 et son poste au sein du cabinet de Thierry Carcenac, nulle indication de son passé. A son arrivée dans le Tarn, il a déjà 46 ans. Personne ne sait d’où il vient, ni ce qu’il faisait avant cette date. Un mystère bien entretenu. En cherchant un peu, ses traces nous mènent dans le Var, sur la petite commune de Saint-Maximin. Là où Marc Gauché a connu sa première vie politique.
Lunette, mèche sur le côté. Il n’y a pas de doutes. Malgré les années, le visage n’a quasiment pas changé. Sous la photo cette légende : "Marc Gauché, administrateur territorial". Nous en sommes en 1989. Il est alors candidat aux élections municipales à Saint-Maximin. Cette liste socialiste est tirée par un homme d’influence. Lucien Ginot est le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur de l’époque : Pierre Joxe.
Gauché ?  Alain Decanis, élu socialiste de Saint-Maximin, se souvient très bien de lui. Après la victoire de Ginot, tous deux furent nommés adjoints au maire. "Gauché était administrateur public. J’étais très heureux de sa présence. C'est quelqu'un de très intelligent et compétent. Il venait du parti communiste où il s'occupait de former les nouveaux militants sur la région parisienne. Il a suivi l'élu communiste Guy Hermier, qui fut de nombreuses années député des Bouches du Rhône, avant de devenir le collaborateur d'un autre député, PS, cette fois-ci, Michel Pezet."
Michel Pezet, ancien président et député socialiste des Bouches-du-Rhône se souvient : "J'ai connu Marc Gauché lorsque je présidai le groupe socialiste à la mairie de Marseille. en 1986. Je l'ai connu comme technicien Il s'occupait des collaborateurs du groupe. C'était un bon chef d'équipe, un bon organisateur. J'en garde un bon souvenir." Pas Alain Decanis : "J'ai très vite déchanté" explique le professeur de mathématiques.

Condamné pour corruption


Des suspicions apparaissent sur certains marchés publics passés par la mairie. Une enquête judiciaire est ouverte. En 1995, Marc Gauché comparait devant la 6ème chambre correctionnelle de Marseille pour corruption. L’élu a accepté 10 000 francs (1 500 euros) de la part d’une société du bâtiment habituée à travailler avec la petite commune du Var. Il sera condamné à un an de prison avec sursis. Une peine légère à la lecture des réquisitions du parquet de l’époque qui fait dire, aujourd’hui, à Maître Michel Amas avocat de l’un des prévenus : "On s’en est bien sortis. Je pensais que mon client passerait quelque temps derrière les barreaux. Il n’y a pas eu de prison ferme alors que cela aurait pu taper fort. Dans ces conditions, on ne s’est pas posé la question de faire appel."
L'année de sa condamnation, Marc Gauché arrive dans le Tarn auprès de Thierry Carcenac. Cette information sucite de nombreuses interrogations : qui a présenté Marc Gauché au président du conseil général à l’époque ? Ce dernier connaissait-il les ennuis rencontrés par son directeur de cabinet avec la justice ou lorsqu’il l’a nommé à la tête de la SEM E-Tera (voir encadré) ? Des questions sans réponses. Le sénateur socialiste Thierry Carcenac, tout comme la députée Linda Gourjade et Marc Gauché, lui même, refusent d’aborder le sujet.

Fragilisé mais toujours en piste


Les dernières élections en interne au PS 81 semblent avoir fragilisé sa position. Représentant dans le Tarn avec Linda Gourjade des "frondeurs" du parti socialiste - au nez et à la barbe de Paul Quilès proche de Marie-Noëlle Lienneman - sa motion, la B, n’est arrivée que troisième sur le département derrière la motion A, pro-Hollande et politique du gouvernement, et la motion D, de la député Karine Berger.
L’alliance avec l’ancien premier fédéral du Tarn n’a pas non plus donné les fruits escomptés. Trois candidats se sont présentés pour l’élection du patron de la fédération du Tarn : Samuel Cèbe, premier fédéral sortant et mandataire de la motion A ; Patrick Vieu, ancien conseiller du président Hollande et lui aussi soutien de la motion A ; et enfin François Collignon, candidat de Paul Quilès et de la motion D. En revanche, pas de candidat de la motion B portée par Marc Gauché. Une alliance aurait été scellée avec Cèbe afin de permettre à ce dernier d’être réélu sans difficulté en échange d’une bonne place sur la liste départementale pour Linda Gourjade aux élections régionales.

Manque de chance, Samuel Cèbe a été éliminé dès le premier tour. C’est Patrick Vieu qui a été élu premier fédéral, comme le montrent les résultats officiels (voir ci-dessus une des réactions de la twittosphère socialiste tarnaise). De nombreux militants se prennent à rêver avec cette élection d’un renouveau au sein de la fédération. Mais l’influence de Marc Gauché ne semble pas encore totalement entamée. Il a réussi à obtenir pour Linda Gourjade une place éligible lors des prochaines élections régionales. Marc Gauché n’a pas encore rendu les armes.
L’opacité de la SEM E-Téra
Marc Gauché a beau se présenter de la sorte face à la presse, officiellement il n'est plus à la tête de la société d’économie mixte, E-Téra. Le directeur général de la SEM se nomme Thierry Carcenac, également président du conseil d'administration. Malgré les apparences, dans les faits, c’est Gauché qui, en tant que directeur délégué, a encore et toujours la main sur la bonne marche de la société.

Sa gestion est aujourd’hui critiquée de toutes parts. En début d’année, la petite société AZA Télécom a déposé un recours devant le tribunal administratif de Toulouse pour dénoncer l’abus de position dominante de la SEM, considérant qu’elle fausse la concurrence du secteur. Au sein même du conseil départemental et dans les rangs du PS tarnais, la politique de l’opérateur de télécommunications ne fait plus consensus.  "La Sem E-Téra c'est un gouffre financier s’emporte le député PS, Jacques Valax. Je le dis à l'attention de Thierry Carcenac qui le sait puisque je lui ai exprimé mon point de vue en face. C'est une structure qui, lorsqu'elle a été créée, il y a une dizaine d'années, était en avance sur son temps. Aujourd'hui elle pénalise le département et ne rend pas les services que l'on est en droit d'attendre d’elle. Et ce malgré tous les moyens financiers qui lui sont donnés."

Et le coupable est tout trouvé : "Si E-Téra est dans cette situation c’est tout simplement parce qu'elle a à sa tête, encore aujourd'hui, et alors même qu'il est retraité, un homme qui s'appelle monsieur Gauché. Il y a un manque d'honnêteté, un manque d'efficacité, un manque de transparence de cette structure. Elle  pénalise les petites communes tarnaises qui ne sont en rien équipées par de la fibre optique."

Depuis 2008, le Tarn n’est plus le seul terrain de jeu de E-Téra. Avec sa marque Kiwi, elle offre, selon  la communication de son site internet, des services tripleplay à plus de 250 000 foyers et se veut un "acteur du développement du FTTH (fibre optique) en France". Et il est vrai que l’opérateur numérique est présent presque partout dans l’hexagone : Ain, Calvados, Eure-et-Loire, Landes, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Pyrénées-Atlantiques, Haute-Savoie, Yvelines, Tarn et Tarn-et-Garonne.
De quoi lui donner de l’ambition en signant un accord de coopération stratégique à hauteur de 50 millions d’euros, sur cinq ans, avec ZTE France, filiale à 100% du groupe chinois ZTE Corporation, un des leaders mondiaux des équipements de télécommunications et d’investir 10 millions d’euros dans la construction d’un data center de 10 000 m2 à Albi.

L’objectif avancé par Marc Gauché est "d’offrir aux entreprises et aux collectivités la possibilité de réaliser des économies sur les coûts de fonctionnement."
Comme par exemple aux collèges tarnais : " Le Département dépense 400 000 euros par an pour remettre à niveau ses équipements sur les 32 collèges. Les collèges ont tous aujourd'hui quatre à cinq serveurs où sont branchés une centaine de PC, voire un peu plus. L'idée, c'est de diminuer de moitié les coûts de fonctionnement en supprimant les serveurs et en centralisant les données sur un cloud " poursuit-il.

Faire passer les collèges du Tarn au Cloud ? Quelle chance ! C’est exactement l’une des orientations du schéma d'aménagement numérique présenté par le Conseil général du Tarn, en début d’année.
Le député Philippe Folliot s'inquiète : "Le conseil départemental s'est appuyé sur E-Téra pour le cahier des charges et c'est E-Téra qui a récupéré le contrat de mise en application et la surveillance du schéma d'aménagement numérique. Ce n'est pas normal."  

Un procédé qui rappelle étrangement celui adopté par une autre société d’économie mixte, la Compagnie générale des côteaux de Gascogne dans le dossier du barrage de Sivens.
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