Angers : Pascal Rabaté et Sébastien Gnaedig lavent le linge sale en famille

Entre le cinéma et la bande dessinée, son coeur balance. Mais c'est bien sur le papier que Pascal Rabaté a esquissé son univers. Il fait sa rentrée avec un scénario écrit à l'origine pour le cinéma, finalement adapté en BD sous le pinceau de son complice Sébastien Gnaedig. Rencontre...

Avec une trentaine d'albums à son actif, parmi lesquelles "Ibicus", Alph'art du meilleur album au festival d'Angoulême 2000, "La Marie en plastique", "Crève saucisse" ou encore "Les Petits ruisseaux", grand prix de la critique 2007, Pascal Rabaté s'est imposé comme l'un des auteurs majeurs du Neuvième art en France.

En 2010, Pascal Rabaté passe du Neuvième au septième art en adaptant lui-même son livre "Les Petits ruisseaux". Il réalise dans la foulée deux autres longs métrages, "Ni à vendre, ni à louer" et "Du Goudron et des plumes" en salles cet été.

Pas question pour autant d'abandonner la bande dessinée. Bien au contraire, l'auteur a toujours des projets dans le domaine, on le retrouve en ce début sptembre avec "Le Linge sale", une histoire qui transpire l'humanité comme il dit si bien, cette humanité qui est un peu une marque de fabrique et qu'on retrouve chez des gens comme Etienne Davodeau dans l'univers de la BD ou les frères Dardenne au cinéma.

Si Pascal Rabaté signe le scénario de ce nouvel album, c'est Sébastien Gnaedig, natif d'Angers, qui se charge du dessin. Dessinateur de quelques ouvrages en compagnie notamment du scénariste Philippe Thirault,  Sébastien Gnaedig est avant tout éditeur chez Futuropolis où a été publié "Les Petits ruisseaux". Interview...

Photo: Pierre Martino, les Verron, Pascal Rabaté et Sébastien Gnaedig


Pour commencer, peut-on savoir à quand remonte votre première rencontre et comment est née cette collaboration autour du Linge sale ?

Sébastien Gnaedig. Nous  nous sommes rencontrés en tant qu’auteur- éditeur. Pascal m’a proposé Les petits ruisseaux lorsque j’étais en partance des éditions Dupuis où j’étais éditeur de la collection Aire Libre et je lui ai proposé de participer à la relance de Futuropolis, ce qu’il a accepté.
Pascal m’avait fait lire le scénario du Linge sale, écrit pour le cinéma, en me proposant que l’on trouve un dessinateur avec qui il pourrait faire l’adaptation en bande dessinée. Puis, Pascal a travaillé à l’adaptation de son propre livre, Les Petits ruisseaux, au cinéma et ne souhaitait plus s’occuper lui-même de faire l’inverse avec Le Linge sale. Je lui ai proposé alors de faire cette adaptation moi-même…

Pascal, quel a été le déclic pour ce livre ? Comment vous est venue l'idée de cette vengeance implacable ?

Pascal Rabaté. Ce livre est une suite à peine déguisée de la série « Les Pieds dedans», série de trois albums parue chez Vents d’ouest il y a 20 ans.
L’idée de la série était née de l’envie de parler du quart monde de manière non misérabiliste, mais non cynique non plus. J’ai été élevé à la comédie italienne, cinéma du social et de l’humour. Au début des années 2000, un producteur de cinéma m’avait approché, il aimait mon travail et m’a demandé de lui proposer une histoire. Je lui ai proposé le scénario du Linge sale… le projet n’a pas accroché et le scénario est allé dans un tiroir.

Dans une interview en 2010, Sébastien, vous faisiez déjà état de ce projet. 4-5 ans pour sortir un album, ce n'est pas un peu long ?

S.G. Ben si, mais j’ai un « vrai » travail à côté ! Et 120 pages de bande dessinée c’est long !

Vous avez un "vrai travail" comme vous dites, très chronophage, celui d'éditeur à Futuropolis. Le dessin pour vous, c'est quoi ? Une récréation ?

S.G. C’est une autre façon de faire de la bande dessinée. Se confronter à la réalisation d’une histoire, à ses limites de dessinateur… cela me change du suivi des projets. Et avoir l’occasion de travailler avec Pascal, c’était pour moi une occasion unique !

Est-ce que cette activité est utile à votre métier d'éditeur, ne serait-ce que par la compréhension des problématiques qui peuvent se poser aux auteurs ?

S.G. Oui. Je ne pense pas que l’on a besoin d’être dessinateur soi-même pour juger la travail des autres. Simplement, je pense avoir plus d’empathie pour les problèmes que peuvent rencontrer les auteurs lors de la réalisation de leur livre, car ce processus est loin d’être un long fleuve tranquille !

Pascal, depuis quelques années vous êtes également réalisateur, vous avez notamment signé "Les Petits ruisseaux", "Ni à vendre ni à louer" ou très récemment "Du Goudron et des plumes". Que peut apporter le réalisateur à l'auteur de BD et inversement ?

P.R. Je n’en sais fichtre rien, les deux supports sont tellement différents. On me parle de mes cadres au cinéma qui font penser à de la bd… personnellement je ne vois pas, la composition au cinéma touche plus à la composition en peinture ou en photo. En effet les deux supports sont narratifs… à part ça.

Qu'est ce qui vous attire dans chacun de ces médiums ?

P.R. Le cinéma est formidable parce que vous travaillez en équipe, vous devez tout à tout le monde, au décorateur au chef op, à l’accessoiriste, aux ingénieurs du son, aux acteurs qui vous emmènent sur des terrains sensibles que vous n’imaginiez pas. Le cinéma est formidable car c’est la vie, c’est formidable parce que vous devez tout au groupe.
La bande dessinée est formidable car vous êtes seul, un crayon de bois et du papier et vous créez un monde. Les deux supports me plaisent pour leur différences, ils participent à mon déséquilibre.

Pourriez-vous tous les deux échanger vos métiers, Pascal devenir éditeur, Sébastien devenir auteur à part entière ?

S.G. Mon métier me plait beaucoup , je ne me vois pas l’arrêter…

P.R. Recevoir les projets, les lire, découvrir des nouveaux talents, oui! Mais les à-cotés, gestion et tout le tremblement, non. Donc, comme l’un ne se fait pas sans l’autre…

Le Linge sale se déroule dans le Maine et Loire, plus précisément du côté de Cholet. Pourquoi ce choix ? Vengeance ou hommage ?

P.R. Ce n’est pas une vengeance, j’aime cette région, c’est un cadre que je connais, que j’aime. Quand j’écris une histoire j’ai besoin de la situer géographiquement pour y croire.

On retrouve l'ambiance de la trilogie "Les Pieds dedans", réalisée dans les années 90. Faut-il y voir un retour aux racines, à l'essentiel, à ce qui fait la vraie vie avec des vrais morceaux de gens dedans ?

P.R. Retour aux sources, je ne sais pas, je n’ai jamais quitté le lit de la rivière en tous cas. L’humain avec ses défauts et ses qualités a toujours été au cœur de mes récits, c’est vrai qu’ils ont des défauts assez importants ou voyants mais derrière tout ça, il y a de la vie et pourquoi pas de l’amour.

Pascal et Sébastien, existe-t-il un point commun entre tous vos albums ?

S.G. Je crois que pour ma part, si je relis les livres que j’ai fait avec Philippe Thirault, il y a ce côté drôle et sombre à la fois ! Mais j’espère sans cynisme… Je pense qu’un dessin humoristique peut faire passer des choses qui auraient du mal à passer avec un dessin réaliste.

P.R. Je crois oui, toutes mes histoire parlent de survie, d’hommes à terre qui se relèvent, après selon l’humeur le projet prend une orientation plus ou moins humoristique.

On a l'impression que vous aimez vos personnages, y compris les membres de la famille Verron qui sont plus des branquignols que de véritables méchants. Est-ce nécessaire d'aimer les gens pour faire dans la comédie sociale ?

S.G. Je crois que lorsque l’on dessine sur le long terme des personnages, il est dur de ne pas les aimer un peu…  Et puis les Verron ont des qualités quand même non ?

P.R. Oui je les aime, et je crois que pour moi c’est nécessaire d’apprécier un minimum ses personnages, ça évite de tomber dans le cynisme ou le manichéisme.

Le monde des Verron est celui du Sporting Bar, des Renault Fuego, du p’tit jaune au comptoir, de Johnny Hallyday... N'est-ce pas un peu caricatural tout ça ?

S.G. On part souvent de stéréotypes lors de la construction d’une histoire. Après c’est ce que vous en faites. Et je trouve que Pascal donne une vie, une vérité aux personnages, sans cynisme justement, qui modère ensuite ce côté « caricatural ».

P.R. Caricatural… je n’espère pas, je charge en effet le portrait mais j’espère que malgré la force du trait ( je ne parle pas de dessin) l’humanité transpire.

On sent une touche audiardesque dans les dialogues, du Dardenne pour le côté peinture sociale, du Davodeau pour cette description pointilleuse de l'ordinaire. Quelles sont ou quelles ont été vos grandes influences réciproques ?

S.G. Côté dessin, je pense à Dupuy & Berberian, Tardi, Davodeau, Rabaté, Pourquié, un jour j’y arriverai peut être !…

P.R. Mes influences sont multiples, ça va du cinéma italien à Macherot et entre les deux il y a des centaines d’écrivains, de cinéastes, d’auteurs de bd, de Calvino en passant par Berroyer, par Martin Veyron , Joël Séria, Alberto Breccia… on peut y coucher si je continue.

Pourquoi ne pas avoir signé l'album chez Futuropolis ?

S.G. Parce que j’ai toujours essayé de ne pas mélanger les métiers. Et avoir le retour d’un éditeur extérieur est intéressant.

P.R. Et puis "Les Pieds dedans" a été édité chez Vents d’ouest.

Quel(s) livre(s) avez-vous emmené cet été en vacances ?

S.G. Je fais toujours des piles énormes (car je ne pars pas avec une tablette mais avec des livres « papiers »), un mélange de livres que j’ai toujours eu envie de lire (Don Quichotte de Cervantés…), de romans qui stagnent dans la pile à côté du lit (Confiteor de Jaume Cabre, Expo 58 de Jonathan Coe…), de polars (Azazel de Boris Akounine)…

P.R. Je ne pars pas en vacances et je n’aime pas qu’il y ait du sable entre les pages de mes bouquins.

Quels sont vos projets respectifs ?

S.G. Continuer mon métier de directeur éditorial chez Futuropolis et j’attends une nouvelle histoire de Philippe Thirault !

P.R. Deux projets bd, un avec David Prudhomme sur les vacances, à quatre mains au dessin et à l’écriture, un tout seul sur la débâcle de 40 et deux projets de films… pour l’instant.

Merci Sébastien, merci Pascal

Interview réalisée le 30 juillet 2014

Retrouvez la chronique de l'album sur notre blog BD


 
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