Les sales gosses sont presque toujours des garçons. Ils ont entre 6 et 14 ans et arrivent à l'Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ITEP) des Aubrys de Champagné (72), parce qu'ils ont été mis à l'écart du système éducatif. Un documentaire inédit à voir le lundi 29 février 2016.
La réalisatrice a suivi durant une année, dans ce lieu de vie, des sales gosses et les adultes qui les encadrent afin de saisir la vitalité et l’humour de ces enfants sortis du rang et les paradoxes de ces destins mal engagés.
Entretien avec la réalisatrice Céline Thiou :
Quel a été le déclic pour faire ce film ?
Ça a vraiment été le fait de me rendre sur place. Louis Cabaret, un ami qui travaille à l’ITEP, m’avait proposé de venir. Il pensait que cela pourrait m’intéresser mais j’ai un peu traîné avant d’y aller. Lors de la phase de repérage, j’ai pris en photo les enfants avec mon téléphone. Sur lemoment ce qui m’a touché, ça fait un peu tarte mais c’est leurs regards. Le regard d’enfants qui ont traversé des épreuves prématurément.
Même si j’avais vraiment adoré faire Figures d’Enfancehttps://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/2014/03/10/quest-ce-quetre-un-enfant-quelques-reponses-dans-un-documentaire-inedit-figures-denfance-426735.html, je n’avais pas envie de devenir une spécialiste du film documentaire sur l’enfance. Plus que l’enfance, la continuité avec mes autres films, c’est pour moi la question de la résistance. J’ai réalisé deux documentaires qui mettent en scène des sourds (Des mots plein les mains, Signer la vie). Dans toutes ces situations, c’est le rapport à la norme qui m’intéresse. Et ces enfants de l’ITEP sont vraiment à cet endroit-là : ce sont des enfants qui résistent à l’école qui est un lieu très formaté. Beaucoup de ces enfants sont révoltés et certains sont super futés. Et l’intelligence quand ça ne passe pas socialement, quand ils n’arrivent pas à se conformer à ce que la société leur demande, ce sont vraiment comme des mouches qui se cognent contre une vitre.
Comment se vit le rapport à la norme dans une institution comme les Aubrys ?
Ces enfants sont repérés à l’école parce qu’ils sont insupportables et envoyés dans l’institution qu’est l’ITEP. Comme le dit un enfant dans une des scènes d’exposition du film : « Ici, on nous dresse ». Alors les professionnels bondissent quand ils entendent ça. Évidemment, ce n’est pas ça. Mais l’objectif, c’est quand même de les remettre dans la norme, de faire en sorte qu’ils soient capables de se tenir dans une classe, de lever la main pour prendre la parole et d’acquérir tous les comportements nécessaires à la vie collective. Et quand ils s’assagissent, ils peuvent progressivement retourner à l’école extérieure. Au début une heure, puis deux heures, puis une matinée… Les enfants formulent cette attente du retour à l’école normale dans le film. Quand ils arrivent à retourner un peu dans le système ordinaire, ils disent : « ça y est, je me sens un enfant normal ». Parce qu’évidemment, on a beau leur dire que ce n’est pas une punition d’être à l’ITEP, il ne faut pas les prendre pour des imbéciles. Être mis à l’écart des autres, ils le vivent comme une punition.
Quel regard porte ces enfants sur eux-mêmes ?
Un trait très caractéristique, c’est la toute petite estime qu’ils ont souvent d’eux-mêmes. Ils véhiculent un peu tous ça. C’est quand même une relégation sociale que vivent ces enfants. Et ça personne n’en a envie. À 10 ans, les enfants font très attention à la manière dont ils se coiffent, à bien avoir le gel au même endroit que les autres, le même jogging, etc. On a un grand besoin de conformité pour pouvoir se rassurer. Un des enfants disait tout le temps: « moi, je veux être comme les autres. Les autres, ils rentrent chez eux le soir, ils sont chez leurs parents. Ils sont dans leurs lits et tous les jours ils voient leur maman ». Sauf qu’évidemment pour beaucoup d’entre eux, s’ils sont là, c’est que ce qu’ils vivent chez eux n’est pas « normal ».
Quels sont les parcours de ces enfants que vous avez rencontrés ?
Les situations et les problématiques sont très diverses, donc on ne peut pas trop généraliser. Mais en tous cas, nombre d’entre eux ont traversé des épreuves. Ils sont souvent issus de milieux sociaux pauvres à la fois économiquement et culturellement. Comme me le disait un éducateur : « ces enfants-là ont vécu à l’âge de 10 ans ou à 12 ans des épreuves dont je ne suis pas sûr, même en les ayant vécues adulte, que j’aurais été capable de les endurer ».
« Ce qui est incroyable chez eux, c’est leur capacité de résistance »
Entre Figures d’Enfance et Sales Gosses, y a-t-il eu des questions communes que vous avez posées aux enfants ?
Dans Figures d’Enfance, la question c’était « comment est-ce d’être un enfant ? ». Le film proposait d’entendre leurs réponses à la fois sous la forme d’entretiens : je leur posais des questions existentielles du type : « est-ce que tu te sens libre en tant qu’enfant ? » mais aussi « en action » sous la forme d’improvisations de l’enfance en leur proposant des terrains de jeu, des situations comme partir dans une forêt ou en mettant à leur disposition un théâtre pour jouer au sens propre du terme. Si j’ai conservé l’exercice de l’entretien dans Sales gosses, leur situation « captive » au sein d’une institution emmenait le film ailleurs vers plus de réalisme. Leurs histoires sont déterminées par leur présence au sein de l’institution. Cela dit, la question de la liberté est forcément et fortement présente. Ce sont des enfants qui sont bien plus contraints que les enfants de Figures d’Enfance.
Dans cet ITEP, il semble qu’il y ait principalement des garçons ?
Normalement c’est un établissement mixte. Mais en fait, et ce que j’ai découvert en faisant des recherches pour le film, c’est que les Troubles du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) touchent très majoritairement des garçons. Certains pédopsychiatres font remarquer qu’avant on ne disait pas qu’un enfant avait des troubles du comportement. On disait juste que c’était un garçon. C’est une façon de dire que qualifier, quantifier, répertorier, c’est aussi participer du symptôme. Évidemment tous les garçons ne souffrent pas de troubles du comportement. Ce sont des comportements qui ont toujours existé, sauf que maintenant on a mis un nom dessus. C’est devenu un symptôme auquel on a trouvé des traitements par médication. Il semble qu’une petite fille qui vit des choses difficiles ne va pas s’en prendre aussi souvent à l’École que pourra le faire un garçon. C’est encore très connoté culturellement. Un garçon va plus souvent cogner, se rebeller quand une fille va se renfermer, voire retourner la violence contre elle-même. Ce sont des apprentissages culturels qui se font très tôt.
Comment avez-vous trouvé votre place dans ce lieu ?
Avec les enfants, ça a été plutôt très facile. C’est intriguant pour eux un adulte qui n’est ni enseignant, ni éducateur ni soignant, sans posture d’autorité et qui plus est avec une caméra. Même si paradoxalement, le contrat que j’ai passé avec eux comportait beaucoup de règles comme ne pas regarder la caméra, ne pas venir me dire bonjour quand je suis en train de tourner, ne pas toucher mon matériel sans autorisation…
Vis-à-vis des adultes, il y a eu un gros ratage de communication de la part de la direction qui avait évidemment validé le projet. Je pense qu’ils n’avaient pas mesuré ce que représentait un tournage et la nécessité d’en discuter avec tous sans mettre les gens devant le fait accompli. J’ai été très bien reçue à l’école parce que j’étais présentée par Louis, un ami qui y travaillait, ce qui change tout. Mais la communication sur ma présence était très défaillante auprès des éducateurs. Et leur réaction était légitime « Avant, on ne disait pas qu’un enfant avait des troubles du comportement » car leur rôle est de protéger les enfants. C’est pourquoi, j’ai très vite écrit une lettre à tout le personnel pour expliquer le projet, ma démarche et qui j’étais. À partir de ce moment-là, tout a changé.
La filmeuse et les sales gosses
Les enfants vous appelaient la « filmeuse » ?
Dès le deux ou troisième jour de tournage, il y a un enfant qui a dit : « Tiens, voilà la filmeuse ! ». Et j’aimais bien qu’il m’appelle comme ça. Alors je leur ai dit : « les gars, la filmeuse, ça me plaît. » Alors c’est devenu mon surnom quand j’avais la caméra. Après, tout le monde disait : « voilà la filmeuse ». Quand j’envoyais des mails aux enfants et aux éducateurs, je signais la « filmeuse ».
Comment ont-ils réagi quand vous leur avez dit que le film s’appellerait les Sales Gosses ?
Dès le début, c’était le titre envisagé. On a eu une grosse discussion à ce sujet. Ils m’ont dit : « non, n’appelle pas ça comme ça ! ». Alors je leur ai proposé de me donner des idées. Certains ont proposé des trucs comme « Mi-anges, Mi-démons ». C’était bien vu mais je n’étais pas convaincue. Et puis je me suis dit, ça s’appellera « Sortis du rang ». Ce n’était pas terrible non plus. Et puis comme j’aimais bien « Sales Gosses », j’en ai reparlé avec eux. Au début « sales gosses » dans leurs têtes, c’était un titre méchant. Mais comme je n’arrêtais pas de les appeler comme ça affectueusement, en rigolant, ils ont finalement été d’accord. Et puis sur la photo de l’affiche où ils jouent au rugby, ils sont beaux et souriants. Donc c’est avec un sourire que le titre doit être prononcé, suivi d’un clin d’oeil.Fiche technique
Un film réalisé par Céline Thiou,
Une coproduction les films du Balibari - France Télévisions - France 3 Pays de la Loire
Avec le soutien de la Région des Pays de le Loire, du CNC, de la PROCIREP.
Durée : 52 minutes
Diffusions :
Lundi 29 février 2016 après le Grand Soir 3
sur France 3 Pays de la Loire et Centre-Val de Loire
Mardi 7 mars 2016 à 8h50
sur France 3 Pays de la Loire, Bretagne, Normandie, Paris Ile-de-France et Centre-Val de Loire
en replay sur francetvpluzz.fr durant 7 jours
et sur notre site internet durant un mois .