En Norvège, pays à la pointe en matière de congé parental, Tristan Champion a eu la possibilité de passer cinq mois à s'occuper de son bébé, en conservant son salaire. Pour ce père, l'allongement du congé de paternité à 28 jours en France est donc une "belle évolution, mais pas une révolution".
En 2014, à l 'arrivée d’Emile, son premier enfant, Tristan prend trois jours de congé de naissance et les deux semaines de congé de paternité autorisées alors en France. Ce trentenaire travaille dans le marketing. Il lui tient à coeur d’être présent à la naissance de son fils : "je voulais accompagner ma femme pour les premiers soins."
Mais Tristan n'envisage alors pas d'aller plus loin dans cette démarche : "entre le loyer parisien à payer et le risque de pénaliser ma carrière, je n’ai pas envisagé de m’impliquer davantage. Car les congés parentaux sont très peu rémunérés. Et j'estimais que j’avais fait tout ce que je pouvais."
"Tu feras comme toutes les femmes du monde"
L’histoire de Tristan bascule en 2014. Emile a six mois, quand toute sa petite famille s’expatrie en Norvège, le pays de sa maman. Trois ans plus tard, un deuxième enfant est en route : pour Louise, la femme de Tristan, pas question de s'éloigner trop longtemps de son travail. "Je souhaite vraiment que tu prennes cinq mois de congé de paternité", déclare-t-elle à son mari.
Tristan est pris de court. Il ne se sent pas prêt à se transformer en "nounou viking". Il tente : "je suis distrait et étourdi. Comment peux-tu me faire confiance pour m’occuper seul aussi longtemps de notre futur bébé ?"
Réponse d'une Louise ironique et impassible : "Ici, on est en Norvège. Tu es un super papa avec Emile. Et tu t'adapteras. Tu feras comme toutes les femmes du monde !"
Un système très égalitaire
En France, le congé de maternité dure trois mois, et le congé paternité est désormais de 28 jours, contre 14 seulement avant ce 1er juillet.
En Norvège, les deux parents se partagent un congé alterné de dix mois indemnisé par l’Etat à 100 % du salaire. Avec un quota de trois mois pour la mère. Idem pour le père. Plus quatre mois à se répartir entre les deux parents.
La mère commence souvent, pour pouvoir allaiter son bébé : "je trouve que c’est un système très égalitaire et plus flexible, qui s’adapte aux volontés des parents de s'impliquer dans l'éducation des enfants, aux opportunités professionnelles et aux envies de chacun.e", explique Tristan.
Au pays des Vikings, 70% des pères interrompent leur travail au moins trois mois, pour s’occuper de leur bébé : "un père qui ne prend pas de congé de paternité est mal vu. Il donne l’image d’un macho qui ne va pas s’occuper de son enfant. Dans la plupart des cas, les Norvégiens se débrouillent pour le prendre, même les grands chirurgiens !"
Epuisé et débordé par la charge mentale
Plutôt inquiet au début à l’idée de lâcher son travail si longtemps, changer de couche à longueur de journée, accepter cette inversion des rôles dans le foyer, Tristan plonge très vite dans le grand bain. Et en ressort avec des paillettes dans les yeux : "c’est enrichissant et gratifiant. C’est une source d’épanouissement au quotidien. Nourrir ma fille, l’aider à apprendre à marcher, la voir se développer, s'occuper de son éducation. Pour moi ça a été une révélation".
Il l’avoue sans complexe, s’occuper seul d’un enfant est une charge mentale immense : "Débordé ? oui, sans arrêt. Un jour, j'ai perdu son sac avec le pull tricoté par la grand-mère. Une autre fois, j’ai même oublié d’aller chercher mon fils aîné à l'école."
Pour Tristan, impossible d’atteindre le niveau d’organisation de sa femme : "le soir, quand elle rentrait, c'était le bazar, les petits pots n'étaient pas rangés. Les bodies sales étaient dans la salle de bain.". Même s'il ne devient pas expert en rangement ou en purée maison, le papa prend sa mission très à coeur : "Pour moi, le plus important était de donner le plus d’amour possible à ma fille. Qu'elle fasse des d’activités enrichissantes à l'extérieur. Et surtout, m’assurer qu'elle dorme et mange bien."
Une révélation
En Norvège, tout est fait pour créer une période d’épanouissement pour les parents. Quand la maman commence son congé de maternité, elle intègre un groupe de mères avec lesquelles elles partagent vécus et activités. Et quand elles retournent au travail, après quatre ou cinq mois, le groupe de mères se transforment en groupes de pères.
Balades en poussette dans la forêt, ou au musée, bébés nageurs, ou bébés yoga : de nombreuses activités sont organisées pour les papas en herbe. "Il existe aussi des crèches ouvertes, où les enfants jouent ensemble, se socialisent. Pendant ce temps-là, on peut échanger avec d'autres papas, et avec un spécialiste qui répond à nos questions et inquiétudes. C’est très rassurant."
Un père engagé en faveur du congé de paternité
Pour Tristan, "le lien qu’on tisse avec son enfant se mesure avec le temps qu’on passe avec lui". Depuis la naissance de sa fille, c’est toujours lui qui accomplit le rituel des histoires du soir, du bain : "et quand elle a une égratignure, ma fille se dirige de préférence vers moi", raconte-t-il, fier d’être une figure d’attachement pour sa fille.
Louise, la femme de Tristan, en a profité pour plus s’investir dans son travail de professeure dans un collège, et sortir avec ses copines. Fini les craintes sur la virilité et les stéréotypes autour du rôle du père de famille.
Porté par son expérience au pays des Vikings,Tristan décide de s’engager en faveur du congé de paternité en France, à travers son blog Barbapapa. Puis avec un livre dans lequel il relate son expérience,“la barbe et le biberon” : "il était important pour moi d’écrire ce livre. A travers mes émotions, mes interrogations, mes inquiétudes, je voulais montrer un modèle nordique en avance. Et faire évoluer les mentalités en France."
28 jours au lieu de 14 : une belle évolution
L’allongement du congé de paternité en France représente, pour lui, une belle évolution. A partir de ce 1er juillet, les pères pourront désormais s’occuper de leur bébé pendant 28 jours. Sur les 28 jours, sept sont obligatoires (les trois jours de congés naissance et quatre jours du congé paternité). L'employeur a l'interdiction de faire travailler un père pendant cette période.
Pour Tristan, cette loi envoie un message clair à la société : "l'homme a désormais sa place dans l'éducation de l’enfant. Le père va être en soutien de la mère, dans la période délicate, lors des premiers jours de la naissance."
En France, le congé de paternité est désormais fractionnable, comme en Norvège. Sept jours obligatoires à la naissance de l’enfant pour accompagner la mère. Les vingt et un jours restants peuvent être pris après le congé de maternité, au cours de la première année. Une nouveauté qui l’enthousiasme : "les mères vont pouvoir se reposer, lâcher prise, choisir leurs priorités. Et les pères seront responsabilisés."
Pour ce papa expérimenté, l’allongement du congé de paternité diminuera probablement un peu la discrimination dans le travail : "le fameux 'risque maternité' qui stigmatise les femmes peut désormais aussi concerner les hommes : maintenant un papa peut s’absenter un mois pour s’occuper de son bébé."
Pas une révolution pour autant
Mais pour Tristan Champion, on est encore très loin des modèles nordiques : "28 jours, c’est trop court. Et comme il n’y a toujours pas de système d’alternance entre les deux parents, le père restera toujours un copilote, dans une démarche de soutien de la mère. Et il n’y aura donc pas de meilleure répartition des tâches dans le couple."
Il regrette aussi que le gouvernement ne se soit pas inspiré du modèle nordique pour aller plus loin. En réfléchissant notamment à la méthode de garde collective des jeunes enfants : "une fois le congé maternité terminé, il y a un énorme investissement à faire pour les parents la première année de vie, car il n’y a pas assez de places en crèche."
En Norvège, les parents perçoivent 100% de leur salaire pour pouvoir s'occuper de leurs enfants pendant leur première année. Et ils ont la garantie d’avoir une place en crèche ensuite : "la nouvelle loi est une belle évolution pour les pères. Mais je pense qu’elle ne garantira pas, pour autant, l'égalité des sexes pendant la parentalité. Je ne suis pas sûr non plus que cela permette une plus grande implication des pères dans l'éducation des enfants, à long terme."
Après trois ans de militantisme, cette annonce du doublement du congé paternité en France sonne donc pour Tristan, comme une victoire un peu amère... Avant son prochain congé de paternité avec sa petite dernière, Ella.