Pour le centenaire de la 1e guerre mondiale, les Archives Françaises du Film du CNC mènent un travail de restauration et de numérisation de films tournés à cette période, qu'il s'agisse d'actualités, de films de propagande ou de fictions. Laurent Véray, historien du cinéma, les décrypte pour nous.
"Non, cette guerre, même nous les mères,
nous n'avons pas le droit de la maudire ! " Cette exclamation vient de la divine Sarah Bernhardt, qui joua en 1917 dans le film de René Hervil et Louis Mercanton Mères Françaises. Un film extrêmement patriotique qui donne une représentation très théorique, voire caricaturale de la grande guerre. Un film qui n'est pourtant pas le résultat d'une commande officielle, qui n'est pas non plus un film de propagande pure et dure. Un film qui est finalement dans l'air du temps, qui montre l'acceptation du sacrifice pour la Mère Patrie, la seule solution finalement pour essayer d'en sortir un jour vainqueur.
Dans la salle de projection de la Jetée, les visages sont concentrés. Impossible d'être passif pendant ces 3 heures d'explications, de décryptage, de découvertes, d'extraits inédits ... Après Mères Françaises, c'est au tour de Gloire Rouge d'Albert Dieudonné (1917) d'être passé au crible. L'importance des personnages féminins ne s'amenuise pas. Puis vient le moment du film monument. Pas vraiment un court celui-là, puisqu'il approche les 3h40, mais quelle intensité ! Son réalisateur : Abel Gance. Un pionnier du cinéma moderne, un jeune alors plein d'avenir, avec ce film qui le propulse immédiatement sur le devant de la scène : "J'accuse". Entrepris dès 1917, tourné en 1918 avec 3 caméras dont 2 américaines ramenées des Etat-Unis par Charles Pathé et qui vont apporter dynamisme et mouvements aux prises de vues. Autre grande première, Abel Gance choisit comme conseiller sur le film Blaise Cendrars qui a vécu la grande guerre après s'être engagé comme volontaire étranger et y avoir perdu le bras droit.
"J'accuse" n'est ni un film pacifique, ni un film pacifiste. Il mêle mythe et réalisme, humanisme et nationalisme, ferveurs religieuse et patriotique. C'est un film charnière, un film monument (aux morts). Une des scènes les plus frappantes du film, la levée des morts. Une scène qui existe dans d'autres films, où les morts au combat se relèvent et retournent à la bataille vaillamment. Ici, pas du tout, les morts viennent à leur rythme (il leur faudra près de 10 minutes) délivrer leurs messages aux vivants. Au niveau de l'esthétique, on peut noter un énorme travail sur la lumière, le clair-obscur, les angles de prise de vue, le mouvement, le montage. Pour en profiter vous-même, voici un extrait ci-dessous.