Nouvelle déception pour les pilotes rhônalpins détenus en République Dominicaine. Suspectés de trafic de drogue, ils clament leur innocence. l'audience préliminaire, déjà plusieurs fois reportée, devait se tenir le 19 février mais a une nouvelle fois été annulée.
Pascal Fauret et Bruno Odos, les deux pilotes français, emprisonnés en République dominicaine depuis le 23 mars 2013, devaient s'expliquer pour la première fois, sur les circonstances qui les ont conduits sous les verrous dans l'exercice de leurs fonctions. Ces anciens de l'Aéronavale sont soupçonnés d'avoir volontairement pris part à une opération de transport de drogue vers la France.
A l'issue de cette audience préliminaire, la première depuis leur incarcération, la justice dominicaine devait décider si les charges qui pèsent sur eux justifient ou non la tenue d'un procès.
Mais, pour la troisième fois l'audience a été reportée sans véritable explication et surtout sans nouvelle date fixée.
Les deux pilotes ont été interpellés alors qu'ils s'apprêtaient à faire décoller leur Falcon 50 de l'aéroport international de Punta Cana. Un avion d'affaires, propriété d'Alain Afflelou, l'homme d'affaire a été rapidement mis hors de cause. Lorsqu'il ne l'utilisait pas, le lunetier en avait confié l'exploitation à la Société nouvelle trans-hélicoptère services (SNTHS), basée à Lyon.
Le jour du coup de filet, mené par la brigade dominicaine des stupéfiants, deux autres hommes se trouvaient à bord : Nicolas Pisapia, client de SNTHS, et Alain Castany, connu dans le milieu de l'aviation d'affaires pour son carnet d'adresses « glamour », qui aurait servi d'intermédiaire entre l'unique passager du vol et l'employeur de Pascal Fauret et Bruno Odos.
L'affaire
Dans les soutes de l'appareil, 25 valises dont les autorités locales extrait 682 kilogrammes de cocaïne. « Je suis tombé du quatrième étage, a déclaré Bruno Odos aux enquêteurs. On s'est fait couillonner. Pour nous, le responsable, c'est Nicolas Pisapia. On est des pères de famille. » Des arguments qui n'ont pas convaincu la justice dominicaine. Les quatre hommes, qui clament leur innocence, ont été immédiatement placés en détention provisoire.
Depuis, la procédure traîne en longueur. Une quarantaine de personnes, majoritairement dominicaines et employées sur l'aéroport, ont été arrêtées, environ la moitié a été placée en liberté sous contrôle judiciaire.
depuis de demandes de récusations en dessaisissements, d'incidents de procédure en annulations d'audiences, une poignée de juges dominicains a, tour à tour, été chargée de ce dossier apparemment brûlant.
Rebondissement en France
La justice française a ouvert une instruction début 2013, sur dénonciations anonymes, concernant trois allers-retours jugés suspects du même Falcon 50, avec le duo Fauret-Odos aux commandes et M. Pisapia comme client. Frank Colin, un ancien garde du corps ayant fait fortune en Roumanie, a également été mis en examen et écroué en avril 2013. Il est soupçonné d'être au centre d'un réseau de trafic de drogue. A la recherche d'un avion pour des vols transatlantiques, il aurait contacté Alain Castany, qui l'aurait présenté aux dirigeants de SNTHS. Nicolas Pisapia, lui, ne serait que l'homme de paille d'un autre Roumain, encore non identifié.
Pour la juge française chargée du dossier, à la juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Marseille, Pascal Fauret et Brunos Odos « ne pouvaient pas ne pas savoir ce qu'ils transportaient ». Ce que les deux mis en cause réfutent avec véhémence… « Ce n'est pas mon problème, les valises. Je suis pilote, on n'est pas bagagiste, on n'est pas douanier, on n'est pas policier », a déclaré Pascal Fauret, interviewé dans la prison d'Higüey sur France 2, dimanche 2 janvier. « Les valises sont checkées, et quand elles arrivent à l'avion, je n'ai pas à refaire un check. C'est pas du tout dans mes prérogatives. Si je les ouvre, le client peut porter plainte. »
Des pilotes solidaires
Philippe Heneman, 51 ans, commandant de bord pour Air France, à la tête d'un comité de soutien qui regroupe 1 500 personnes, défend ses deux collègues : « Nous avons commencé nos carrières ensemble dans l'Aéronavale il y a trente ans. Pascal comme Bruno ont été habilités au transport et à la délivrance de l'arme nucléaire. On ne peut balayer tout cela d'un revers de main en les accusant de faits aussi graves. Ils n'ont fait que leur travail. Punta Cana est un aéroport international, pas un aérodrome désaffecté au fin fond de la brousse. »
L'affaire inquiète tous les pilotes officiant dans l'aviation commerciale ou d'affaires. Elle suscite d'ailleurs l'émoi du SNPL (Syndicat National des Pilotes de Ligne), qui soutient les deux détenus. « Les autorités dominicaines font d'eux des complices, or, lorsqu'on transporte une star du show-bizz ou un riche industriel européen, il y a toujours énormément de bagages sur lesquels nous n'avons aucune autorité de contrôle. Les pilotes ne sont responsables que de la sécurité des passagers et de l'appareil, ainsi que de la masse de bagages et de sa répartition pour le bon équilibrage de l'avion », souligne Yves Deshayes, président du SNPL.
M. Deshayes précise que le contrôle des bagages et de leur contenu est du ressort des autorités douanières et de sécurité locales pour lesquelles les compagnies règlent des prestations.
Mi-décembre 2013, agacé par les « dysfonctionnements de la justice dominicaine », le SNPL a menacé d'appeler au refus de desservir la République dominicaine.
Pour Maîtres Jean Reinhart et Eric Le François, leurs clients, Pascal Fauret et Bruno Odos, sont des « victimes collatérales de la sensibilité qui entoure les affaires de stupéfiants en République dominicaine ». D'autant que cette affaire démontre, à les entendre, « l'implication d'administrations publiques ». Selon eux, « il est urgent que MM. Fauret et Odos bénéficient du droit fondamental de tout prévenu : la parole, qui aboutira nécessairement à leur liberté»