Le son, ce grand oublié du cinéma

Raconter un film, s'en souvenir, c'est souvent se rappeler une image, un geste, une photo, une lumière, une ambiance. Beaucoup plus rarement se souvenir d'un bruit, d'un son... Daniel Deshays est ingénieur du son, professeur et compositeur, et défend bec et ongle cet injuste oublié.

Un oiseau qui chante, une tasse que l'on pose, des pas sur l'asphalte ou le parquet, une portière que l'on claque ... Sans son, un film ne serait rien, ou si peu. Même le cinéma muet se servait de musique pour donner une couleur, une émotion ou une ambiance à son film. C'est lui qui peut lui insuffler la vie, ou la lui enlever. Le son comme élément central du film, c'était donc le thème de la conférence donnée mardi matin par Daniel Deshays à la Jetée.

En ce qui concerne le monde, que dis-je ? l'univers du son, Daniel Deshays n'est pas un débutant. Pour preuve, ce petit extrait de son oeuvre qui résume assez bien l'homme. Daniel Deshays a réalisé la conception sonore de nombreuses créations théâtrales (172 pièces dont 34 avec Alain Françon) et musicales (255 disques). Au cinéma, il a travaillé sur le son direct et sur l'enregistrement de la musique de 101 films, en particulier avec Chantal Akerman, Xavier Beauvois, Denis Berry,  Robert Bober, François Caillat, Jean-Michel Carré, Robert Doisneau, Philippe Garrel, Agnès Jaoui... Nous nous arrêterons là, mais le fait de l'avoir devant nous en ce matin froid pour nous expliquer sa passion et ses subtilités est tout à fait ... formidable!

Tati, le maître du son

Son exemple type pour démontrer à n'importe quel néophyte le côté tout à fait essentiel du son ? Les films de Jacques Tati, qu'il s'agisse de Mon oncle ou des Vacances de Monsieur Hulot, dans lesquels chaque son, chaque bruit joue un rôle à part entière. Au début du film Mon oncle, lorsqu'on arrive dans l’univers des Arpel, le spectateur est accueilli par un bourdonnement : l’aspirateur. Dans toute cette séquence, les sons sont amplifiés et artificiels. Les bruits de pas donnent une sensation minérale et froide. Il n’y a aucun dialogue. Tati utilise le gros plan sonore plus que visuel. On y entend, plus qu’on ne le voit, M. Arpel poser sa tasse dans la soucoupe. Puis viennent les sons de l'étui à cigarette, du briquet. Le bruit de la blouse de Mme Arpel suggère un tissu synthétique. On est dans le monde des matériaux modernes. C’est aussi par le son que Tati nous montre en M. Arpel un homme à la fois pressé et important, par sa façon de faire vrombir le moteur de sa voiture. Avec Tati, pas besoin de dire, il suffit d'écouter.

Le son donne vie à l'oeuvre, comme il peut la tuer

Mais comme le son peut être vie et imagination, trop de sons peuvent, à contrario, tuer l'oeuvre. Exemple : un film de Tarkovski intitulé Stalker. "En DVD, le menu propose en 1er choix une version russe en 5.1, explique Daniel Deshays. Cela veut dire qu'ils ont refait toute la bande son du film, puisqu'en principe, ce film est en mono, il n'y a qu'une piste. Le film commence par un silence, puis on entend une tasse, puis un enfant, puis le train ... Sur cette version 5.1, dès le début, il y a le vent, la pluie, la Marseillaise repiquée dans un autre film ... C'est l'enfer !!!"

Le son doit être juste, dosé, présent mais pas revendicatif. Il a un rôle à part entière et ne se limite pas juste à un bruit qui vient rompre le silence ou le cacher. "Aujourd'hui, beaucoup de cinéastes font du son pour faire du son, par défaut, parce qu'on n'est plus au temps du muet !", s'insurge Daniel Deshays. Or, le son est signifiant et peut devenir l'outil principal du film, si ce n'est le thème. Sélectionné dans la série F4, un film a pour sujet le son. Son nom ne s'invente pas, "Son seul", et sa réalisatrice Nina Maïni est avant tout directrice artistique son sur d'autres courts-métrages... Comme quoi le son est un véritable univers en soi, auquel il serait bon de tendre une oreille, voire les deux, histoire de ne plus passer à côté.

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