Ils ne se connaissaient pas il y a un mois mais disent aujourd'hui former "une famille". Au péage de Tossiat, dans l'Ain, ou au rond-point de Feyzin, en banlieue lyonnaise, des "gilets jaunes" "mangent, discutent, vivent ensemble", tissant des liens nouveaux dans leur quotidien précaire.
Que ce soit au pied de la raffinerie de Feyzin ou en contrebas d'un péage autoroutier à Tossiat, les témoignages recueillis sont toujours les mêmes. Les "gilets jaunes" évoquent la famille qu'ils ont trouvé dans la lutte.
Francis, 49 ans, et Yacine, 29 ans, sont deux figures d'un campement de bois et de bâches installé depuis le 21 novembre en bordure de l'autoroute A7, face aux réservoirs de la raffinerie. Au début, il a fallu "s'apprivoiser" car les horizons, les opinions étaient multiples et la confiance pas immédiate, racontent-ils. Il a fallu aussi surmonter "la gêne et la honte" engendrées par les difficultés financières.
Pour Yacine, ancien chef de vente chez Darty reconverti dans l'aide à domicile, "c'est venu par la discussion", qui "a fait tomber les barrières érigées entre les gens depuis des années".
"Sur les réseaux sociaux, on croit avoir des amis mais c'est du virtuel ! Ici, on passe beaucoup de temps à parler de nos vies, de nos parcours. Certains vident leur sac. Macron voulait réunir les Français et ils l'ont fait, mais sans lui", renchérit Francis, intérimaire dans la pétrochimie.
Autour d'un brasero, en contrebas de l'accès autoroutier à l'A42, les "gilets" de Tossiat sont une poignée à se relayer nuit et jour dans leur campement. Après avoir été délogés du péage, ils se sont installés dans une emprise appartenant à l'Etat. Une photocopie du cadastre est affichée à l'entrée de leur campement, comme pour justifier que ce lieu est aussi le leur, celui de citoyens. Depuis la route, on les devine à peine, mais les routiers, -haut perchés dans leurs cabine-, klaxonnent leur soutien.
Chaque jour, Sophie, -qui travaille dans l'industrie plastique à Oyonnax-, passe deux ou trois heures ici, une fois le boulot terminé. "On a trouvé une famille, c'est ma famille!", explique-t-elle. Cette "aventure" lui a permis de constater "une grande misère". "On sait que ça existe mais de la voir, ça vous retourne".
Odessa vient aussi après son travail de serveuse. Originaire de Haute-Marne, elle vient de s'installer dans l'Ain avec son compagnon au chômage. Désormais, elle connaît beaucoup de monde en Bresse. "On n'est pas là pour se faire des amis, n'oublions pas qu'on s'oppose à Macron, mais on a rencontré des gens supers", témoigne la jeune femme.
Reportage Franck Grassaud et Dideir Bert
Ils ne se connaissaient pas il y a un mois mais disent aujourd'hui former "une famille". A Tossiat, en banlieue de Bourg-en-Bresse, des "gilets jaunes" "mangent, discutent, vivent ensemble", tissant des liens nouveaux dans leur quotidien précaire.
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"Un avenir meilleur"
A Feyzin, le campement sert aussi de refuge à des SDF et des maraudes sont organisées, jusqu'au centre de Lyon, pour distribuer le surplus des dons alimentaires, nombreux. "Y a un type en costume-cravate qui passe tous les jours en Range Rover avec un gros sac de croissants chauds", apprécie Tony, 46 ans, ancien chauffeur reconverti dans le commerce.
Solidarité, encore, quand deux voitures de "gilets jaunes" mal garées, lors d'une visite impromptue à l'Hôtel de Région, ont fini à la fourrière et qu'il a fallu payer l'amende: en deux heures, 330 euros ont été récoltés au rond-point.
Même les policiers ont mis la main à la poche... Caroline, 28 ans, femme de ménage à son compte, ne les portait pas dans son coeur mais a fini par discuter avec eux, partageant même son goûter.
"La fraternité, l'entraide, voilà ce qu'on a retrouvé. On accueille des gens auxquels plus personne ne parlait. Des anonymes, des handicapés, des malades, des qui ne mangeaient plus, ou alors une fois sur deux. Des oubliés qui trouvent ici une écoute, pas juste dix minutes comme au guichet. Ce gilet jaune, on peut en être fier, on devrait le porter tout le temps dans la rue", estime Francis.
"Comme moi", assure Avelino, 63 ans, qui touche 1.245,78 euros nets par mois, mémorisés au centime près, avec sa retraite d'électricien. Sans voiture, il vient chaque jour de La Mulatière, plus haut sur l'A7, en prenant le train.
"Tout ça s'est fait tout seul et c'est ça qui est beau", confie Sarah, 28 ans, ex-salariée de Carrefour au chômage, mobilisée depuis le début.
Pour elle comme pour les autres, le mouvement ne s'essouffle pas et va perdurer quoi qu'il arrive: s'ils sont délogés par les forces de l'ordre, les "gilets jaunes" s'installeront ailleurs.
Déterminés dans leur élan. "Aux jeunes avant, je leur disais: 'cassez-vous de ce pays'. Aujourd'hui, je me dis qu'on est peut-être en train de leur construire un avenir meilleur", glisse l'un d'eux.