L'association Poterie Riposte est vent debout contre le projet de centre commercial géant à Ferney-Voltaire, dans le Pays de Gex. Le permis de construire a été signé en juillet 2020. Une manifestation est prévue ce samedi 29 janvier 2022 devant la mairie de Ferney-Voltaire.
Parmi les arguments des opposants : un projet surdimensionné et dépassé. Du côté de la communauté d'agglomération du Pays de Gex, on présente un projet ambitieux et "structurant" sur un territoire particulier, situé à la frontière suisse.
Des opposants au projet de centre commercial du quartier de la Poterie prévoient de manifester ce samedi 29 janvier 2022, après-midi, devant la mairie de Ferney-Voltaire, dans le Pays de Gex, tout près de Genève. C'est une première manifestation qui est organisée par l'association.
Les opposants veulent interpeller les élus locaux, dont Daniel Raphoz, maire de Ferney-Voltaire et Vincent Scattolin, vice-président de la Communauté d'agglomération du Pays de Gex.
Un projet d'envergure, inscrit dans la ZAC
Leur cheval de bataille : un projet de grand centre commercial doté de 60 000 m² de surface de planchers avec 130 commerces, 19 restaurants et un parking de 1600 places sur trois niveaux mais aussi 4 000 m² consacrés à la culture et aux loisirs. Une hérésie pour Anne Durand, présidente de "Poterie Riposte Ferney Voltaire". L'association, qui compte 120 adhérents à ce jour, est née voilà deux ans, au moment du confinement. Elle a déposé un recours devant le tribunal administratif de Lyon. La décision de justice n'a pas encore été rendue. Conséquence : le projet, remporté par Altarea Cogedim, est suspendu à ce recours.
Mais le projet du centre commercial s'inscrit dans un projet plus global, celui de la ZAC de Ferney-Genève Innovation (Zone d'aménagement concerté), piloté par la Communauté d'agglomération du Pays de Gex, via la mission confiée à la société publique locale Terrinnov. Une zone d'aménagement concertée qui s'étend sur 65 hectares de la commune de Ferney et regroupe les secteurs de Paimboeuf, de Très-La-Grange et de la Poterie. Un projet d'aménagement sur 15 ans à l'entrée du territoire français.
"Des projets surdimensionnés et dépassés"
Du côté des opposants, on proteste et on dénonce un modèle consumériste. "Val-Thoiry, Espace Candide, le futur centre commercial "Open" de Saint-Genis-Pouilly ...le pays de Gex est déjà saturé de centres commerciaux. C'est en France l'un des endroits les mieux desservi en centres commerciaux. Il y en a un grand en Suisse, le Centre Balexert. Nous n'avons pas besoin d'un centre commercial gigantesque, d'une capacité d'accueil de 14 000 personnes par jour," affirme Anne Durand. Elle souligne par ailleurs que l'Espace Candide, "deux fois moins grand", et "qui n'a que 5 ans est déjà en faillite".
On se dit : pourquoi faire? Quelle est la finalité d'un centre commercial? A Ferney-Voltaire, on avait espéré, avec la visite du président Macron et l'inauguration du château, une ambition culturelle plus importante.
Anne Durand, association Poterie Riposte
Même son de cloche du côté d'Europe Ecologie Les Verts qui critique le projet : "ce modèle de centre commercial en périphérie de ville est complètement décalé et anachronique," écrivent les Verts dans un communiqué. Ces derniers relayent sur leur site l'appel à la manifestation. Si les écologistes soutiennent les actions en faveur de l’arrêt du projet de la Poterie, d'une manière générale, ils "s’oppose(nt) à toute création et extension de centres commerciaux dans le Pays de Gex".
"Jamais aucune enquête de population n’a fait apparaître un manque en cette matière ou un besoin," affirme l'association aindinoise dans une pétition lancée sur internet. Pour sa présidente, c'est même un projet "obsolète, périmé, dépassé". Attirer la clientèle de la Suisse voisine, à fort pouvoir d'achat, reste l'objectif ? "La Suisse proche fait partie de la spécificité de notre territoire, les commerces vivent en partie avec la clientèle suisse," rappelle Vincent Scattelin.
Le maire de Ferney-Voltaire, Daniel Raphoz, explique avoir "hérité" du dossier du centre commercial. Il connait les opposants au projet. Il les a d'ailleurs déjà rencontrés. Aujourd'hui, l'élu préfère jouer la prudence. "Il faut parvenir à un équilibre, entre développement économique du territoire, et besoins de la population", explique-t-il.
Répondre aux besoins
Pour Vincent Scattolin, vice-président de la communauté d'agglomération du Pays de Gex, le centre commercial, et plus globalement le projet de la ZAC ont également vocation à répondre à des besoins de la population. Sans oublier les enjeux de la transition écologique.
Concernant les divergences sur le projet, ce sont deux visions de l'aménagement du territoire, deux visions philosophiques qui s'opposent.
Vincent Scattelin
L'objectif affiché est de réaliser "un nouveau quartier exemplaire en matière d'aménagement, desservi par les transports publics, qui doit répondre aux questions d'étalement urbain et apporter aussi une réponse aux besoins de consommation." L'élu ajoute: "on a la volonté de recréer un espace commercial densifié, d'augmenter l'offre de services. Le projet vise à renforcer l'attractivité économique." Au passage, il souligne que le futur centre commercial doit s'installer sur un secteur déjà artificialisé et déjà un secteur commercial. Un bon point en matière de transition écologique. Exit l'étalement urbain.
Menaces sur le commerce de proximité ?
Si les inquiétudes des opposants au centre commercial du quartier de la Poterie sont nombreuses, elles semblent avant tout sociales et économiques. L'argument de la création d'emplois souvent avancé laisse sceptiques les détracteurs.
Avec ce genre de projet, on spécule toujours sur les emplois potentiels mais on ne nous parle jamais des emplois qui vont être supprimés.
Anne Durand, association Poterie Riposte
A travers ces propos de la présidente de Poterie Riposte, ce qui pointe c'est le souci du maintien des commerces de centre-ville et de ses restaurants. Un nouveau centre commercial taille XL représenterait une concurrence inévitable pour les petites enseignes et le commerce de proximité. Le centre-ville risque-t-il de perdre un peu de son âme ? Certains commerçants redoutent bel et bien une dévitalisation du coeur de ville.
C'est le cas de Véronique Michon, commerçante dans le quartier du Levant depuis 20 ans. Tout près du quartier de la Poterie. Pour cette buraliste, Ferney-Voltaire devient une ville peu dynamique. Quid de l'installation des petites enseignes dans ces centres commerciaux? Ces indépendants font souvent les frais de loyers inaccessibles, selon elle. "Les loyers sont exorbitants et il n'y a pas de clientèle. Les gens travaillent toute la semaine, ils sont crevés et ils ont pris l'habitude d'acheter sur internet, de consommer depuis leur salon, c'est plus pratique," résume la commerçante. Une démarche vouée à l'échec? "Je pense à ce chocolatier artisanal indépendant, que l'on suivait un peu car on aimait ses produits: il a tenu 4 mois et il est reparti! " ajoute-t-elle.
Béranger Legrand, professionnel de l'immobilier à Ferney-Voltaire, est plus modéré. "Il y a clairement aujourd'hui un manque de services et d'infrastructures tertiaires pour les entreprises qui veulent s'implanter à Ferney. C'est toujours compliqué," explique le professionnel.
Pour cet acteur économique, le sujet est plus complexe qu'il n'y paraît. D'un point de vue écologique, pour lui, le projet est "cohérent"; notamment avec l'arrivée du tramway. Si ce dernier souligne notamment l'apport positif de l'offre culture et sport annoncée, il reste perplexe sur le plan du développement économique local. "Il y a du 'pour' et du 'contre' dans ce projet. Il va permettre à des entreprises de s'installer mais nos jeunes entreprises locales n'auront pas le budget."
Pénurie de logements accessibles
Assurément, le sujet du centre commercial de la Poterie est "sensible", cristallise et agrège beaucoup de mécontentements.
C'est ainsi la crainte d'un déséquilibre en matière de mixité sociale qui s'exprime à travers cette contestation : des petits revenus qui doivent s'exiler de plus en plus loin, un bassin de vie qui attire des gros revenus et notamment des personnes qui travaillent en Suisse. En toile de fond, la question du logement et une étiquette de "cité dortoir", ce que dénonce d'ailleurs Véronique Michon. "Avec des salaires des vendeuses, on ne peut pas habiter dans le pays de Gex où les loyers, les appartements et les biens immobiliers sont très chers. Les petits salaires ne pourront pas habiter sur Ferney-Voltaire ! Ça n'a pas de sens !" déplore de son côté Anne Durand.
Même constat pour le professionnel de l'immobilier :"Ferney est une zone frontalière soumise à une forte pression foncière. Pendant longtemps, on n'a pas construit. Aujourd'hui des programmes sont en cours." Mais son constat est sans appel : "les prix du neuf flambent et on a toujours ce problème de logement de nos salariés français". Comment va évoluer le centre-ville historique ? La question est posée.
Pour le maire, Daniel Raphoz, ce dossier d'aménagement d'autant plus épineux que le territoire est particulier. L'élu insiste en effet sur la proximité avec le voisin helvète très attractif. Il met également en avant l'incontestable "poussée démographique" enregistrée ces dernières années sur le territoire du pays de Gex. Une poussée record en France. Quand à cette situation de "ville dortoir", l'élu est a bien conscience.
Du côté de la communauté d'agglomération du Pays de Gex, on a également bien à l'esprit cette pénurie de logements abordables et cette croissance démographique galopante. "Cette poussée démographique, elle représente 3% de croissance par an depuis 15 ans", rappelle Vincent Scattolin.
Le projet ZAC Ferney-Genève Innovation apporte une réponse. Le vice-président met en avant un élément essentiel du projet "structurant" de la ZAC : un volet habitat ambitieux avec la création sur les 2500 logements, de 25% de logements sociaux et 20% de logements abordables. "L'absence de logements sociaux à proximité des sources d'emplois" relèverait du "dysfonctionnement", selon l'élu.
Axes routiers engorgés
Egalement pointée du doigt par les opposants, la circulation engendrée par la présence d'un nouveau centre commercial géant. "Il doit s'installer à l'une des entrées principales de la commune où circulent des dizaines de milliers de frontaliers chaque jour," explique la Ferneysienne. Le projet doit prendre place tout près de la "grande douane" de Ferney-Voltaire, l’un des trois passages vers la Suisse. Ce nouvel espace risque de concentrer le trafic automobile sur des axes déjà largement saturés. Anne Durand craint que la situation ne devienne rapidement "invivable" pour tous, riverains et travailleurs frontaliers.
Du côté de l'agglomération, on mise sur la proximité du centre-ville (à 500 mètres à pied) et l'arrivée du tramway, sans pour autant s'illusionner.
Santé contre centres commerciaux ?
"Ce dont la population manque, ce sont surtout des médecins et non des centres commerciaux !" assène la présidente de l'association Poterie Riposte. Sentiment largement partagé par Véronique Michon. Pour la buraliste, le centre commercial n'était pas une priorité pour la commune de Ferney-Voltaire. "Ce n'est pas un centre commercial qu'il nous faut mais des hôpitaux, des médecins, des crèches, des services. On a une pénurie de médecins en ville," déplore-t-elle. Pour les habitants du Pays de Gex, l’offre hospitalière insuffisante sur leur territoire. Le 22 janvier dernier, une manifestation a d'ailleurs rassemblé près de 250 personnes devant la communauté d'agglomération du pays de Gex pour se faire entendre.
Un manque dont les élus locaux disent prendre en compte. "Le Pays de Gex a même investi dans un centre de première urgence," explique Vincent Scattolin. En février dernier, les élus de Pays de Gex Agglo avaient d'ailleurs alerté le ministre de la Santé, et le responsable l’ARS Auvergne Rhône-Alpes sur cette question. "Mais la création d'un hôpital ne résoudra pas pour autant la pénurie de médecins généralistes," ajoute Vincent Scattolin. Il rappelle que la création d'une structure hospitalière est "une réponse à long terme".
Comme de nombreux Gessiens, Véronique Michon appelle de ses voeux la création d'un hôpital public transfrontalier. La buraliste, qui vient de céder son commerce à ses enfants, va partir s'installer, sans regrets, dans la Bresse, "plus près des médecins, des hôpitaux". La commerçante est amère et sévère à la fois: "la seule chose qui nous reste de beau, c'est le Jura. On est au pied de la montagne, c'est magnifique !"
"Mieux à faire" dans la ville de Voltaire
Pour l'association, l'aménagement du quartier de la Poterie a fait l'objet d'une réflexion collective et collaborative via des ateliers en novembre dernier. "Pour être positif, on a entrepris une réflexion avec l'architecte et urbaniste genevois Marcellin Barthassat, pour être force de proposition et pas seulement dans l'opposition," explique Anne Durand. "On voulait montrer aux élus qu'il y a moyen de faire des choses qui répondent à des besoins plus profonds que la seule consommation."
Les participants ont voulu imaginer un projet avec centre de soins, loisirs pour les jeunes, centre d'accueil pour les personnes "perdues", des ateliers d'artisans... Ils ont voulu imaginer "un projet pour vivre bien ensemble, un projet à la hauteur de l'histoire de la commune et des défis relevés par Voltaire en son temps," résume la présidente de l'association.