A cause de la sécheresse et des fortes chaleurs, les étangs de la Dombes n'offrent plus de conditions satisfaisantes à la survie des poissons. Les pisciculteurs, eux, tentent coûte que coûte de limiter la casse.
Pierre La Rocca a cinq étangs, soit 25 hectares d'eau. Mais cette année, il a dû renoncer à l'un d'eux pour que ses poissons aient des chances de survivre. "J'ai sacrifié complètement un étang qui fait un hectare pour remettre de l'eau dans un autre. Et, je sais que j'ai un autre étang de quatre hectares qui ne va probablement pas passer l'été."
Cette situation, ce pisciculteur basé à Marlieux (Ain) est loin d'être le seul à la vivre. Ici, tous les professionnels du secteur la connaissent selon lui. Et pour cause : en raison du manque de pluie et des températures élevées, les conditions de vie dans les étangs se détériorent, et les poissons peinent à survivre. "Sur l'ensemble de la Dombes, on a près de 60% de surface d'étangs en moins, car ils ne se sont pas remplis pendant l'hiver. Et la très grosse chaleur fait qu'on n'a pas d'oxygène dans les étangs", déplore Pierre La Rocca, qui est aussi président de l'association de promotion du poisson des étangs de la Dombes (APPED). "Les étangs ne captent plus d'oxygène, donc durant la nuit ou les orages, souvent les poissons n'ont plus d'oxygène, et ils meurent."
"Adapter les itinéraires piscicoles"
Certains poissons, comme la carpe, résistent mieux à la chaleur, mais les carnassiers comme les sandres par exemple, sont particulièrement touchés. "Pour les étangs où on arrive à garder de l'eau, où on aère, la perte sera peut-être de 15 à 20%, estime le pisciculteur. Pour des étangs qui avaient déjà très peu d'eau, et qui ne vont plus du tout en avoir, la perte sera de 100%".
Actuellement, l'APPED, compte 150 pisciculteurs adhérents, qui représentent selon Pierre La Rocca la grande majorité des professionnels de la Dombes. Et alors que ces derniers pêchent environ 1100 tonnes de poissons par an, l'urgence est de trouver des solutions alternatives pour limiter la casse. À court terme, certains professionnels utilisent des appareils pour brasser l'eau, ou injectent de l'air comprimé dans les étangs pour qu'ils soient mieux oxygénés. Beaucoup choisissent aussi de pêcher les poissons plus tôt, ou de faire de la pêche de sauvegarde, qui consiste à privilégier certains étangs par rapport à d'autres et à déplacer les poissons.
Des pistes pour des solutions sur le long terme
Mais, ils réfléchissent aussi à des solutions plus durables. "On essaye d'avoir d'autres espèces comme le black bass ou le silure, qui résistent mieux à la chaleur, d'adapter nos itinéraires piscicoles au réchauffement climatique", témoigne Pierre La Rocca.
Autres pistes : favoriser la pêche en pleine eau, moins consommatrice en ressource. "Plutôt que de vider nos étangs tous les ans, on essaye de les vider un peu moins et de pêcher presque en pleine eau, continue-t-il. Ça nous permettrait de gérer l'eau différemment." Un système qui s'avère toutefois contraignant. "On est obligé de pêcher avec des filets beaucoup plus longs, et plus hauts. Ils sont plus difficiles à tirer, et il faut des fonds d'étangs très propres. S'il y a des branches, des souches ou des déchets comme dans les étangs au bord de route, c'est problématique pour nous."
Actuellement, "le cycle classique des étangs de la Dombes est de trois années en eau et une année à sec", explique Pierre La Rocca. Mais, le rythme devra sûrement changer à l'avenir afin d'assurer la survie des poissons sur la durée et le renouvellement des espèces. "Chaque fois qu'on pêche notre poisson, il y a une partie qui est arrivée à la taille commerciale, qu'on va pouvoir vendre, et il y a une partie qui est encore trop petite qu'on va laisser dans l'étang. Cette année, si on perd tout, on perd aussi pour l'année prochaine", s'inquiète le professionnel.
Désormais, la filière compte sur un soutien de la part de l'État pour ne pas s'écrouler. "Pour l'instant, il n'y a rien, regrette Pierre La Rocca. Le Département est derrière nous et nous soutient, mais aujourd'hui, il nous manque le soutien de la Région. Sur le très long terme, on sait qu'on pourra adapter des choses, mais il faut absolument que les pouvoirs publics nous aident à passer ce cap de deux années très difficiles."
Une sécheresse qui va se prolonger
Dans l'Ain, "les débits des cours d'eau sont très faibles sur la partie ouest du département", explique la préfecture. "La canicule du début de semaine dernière a fait drastiquement chuter les débits. Les eaux des rivières se sont également fortement réchauffées, ce qui est très préjudiciable à la vie piscicole." Plusieurs zones d'eaux superficielles (rivières de Bresse, rivières du Bugey, Saône aval) ont été placées en situation d'alerte, de vigilance ou d'alerte renforcée. Idem pour les eaux souterraines Dombes-Sud et Dombes-Certines-Nord, Saône aval et Plaine de l'Ain. En outre, la préfecture assure que "la sécheresse dans le département est préoccupante", et que "les prévisions météorologiques à 15 jours sont orientées sans véritable pluie intéressante pour les sols."
"C'est très difficile pour la filière en ce moment", conclut Pierre La Rocca. "On sait s'adapter à la chaleur. Mais ce qu'on ne sait pas faire, c'est s'adapter quand il n'y a pas d'eau."