Témoignage. "Je n’ai jamais oublié", Pierre Durand, l'un des derniers témoins de la rafle des enfants d’Izieu

Publié le Écrit par Blandine Lavignon

Pierre Durand était enfant lorsqu’il assiste, depuis la cour de son école, au passage des soldats allemands qui raflent les enfants d’Izieu, le 6 avril 1944. Le souvenir l’a marqué toute sa vie.

"Je n’ai jamais oublié cette image" confie Pierre Durand, 87 ans. Il a huit ans lorsqu’il voit passer les camions allemands raflant les enfants d’Izieu, à Saint Benoît, son village de l'Ain. Le 6 avril 1944, 44 enfants juifs âgés de 4 à 17 ans ainsi que 7 de leurs éducateurs sont arrêtés au petit matin dans la maison d’Izieu, colonie où ils avaient trouvé refuge. Sur ordre de Klaus Barbie, le chef de la Gestapo de Lyon, ils sont ensuite déportés dans les camps de concentration, où tous les enfants seront assassinés.

C’était une vision terrifiante. Les enfants étaient dans ces deux grands camions, cachés par des bâches. Des soldats allemands étaient assis à l’arrière, en armes.

Pierre Durand, l’un des derniers témoins de la rafle des enfants d'Izieu.

Le jeune Pierre était alors dans la cour de récréation de son école. Là où, se disait-il, auraient dû être aussi ces autres enfants pourtant conduits vers la mort.

"Les enfants d’Izieu chantaient la Marseillaise. C'est un souvenir qui m’a marqué, car à chaque fois que j’entends l’hymne français je pense à eux". Mais comme l’affirme le retraité, il est parfois difficile de distinguer le fait historique du souvenir d’enfant dans les méandres de la mémoire. D’autres habitants ont ainsi témoigné avoir entendu d’autres chants, comme "vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine".

"Ce que vous venez de voir, il ne faudra jamais l’oublier"

"Mon instituteur a réuni les écoliers et nous a dit : "ce que vous venez de voir, il ne faudra jamais l’oublier". Une phrase qui n’a jamais quitté Pierre Durand. "À l’époque, les gens vivaient dans la crainte. Mon maître avait eu beaucoup de courage de nous dire ça" souligne-t-il. Le petit garçon de l'époque raconte tout à ses parents en rentrant de l'école, mais on ne reparlera plus jamais de l'épisode dans le village. "Aujourd’hui, bien sûr, il est facile de parler de cette mémoire mais aux moments des faits, les gens avaient peur" affirme l'octogénaire. 

S'il n'avait jamais oublié ce qu'il a vu ce jour tragique, Pierre Durand confie n’en avoir pris toute la mesure que bien plus tard dans sa vie : "à l’époque, je n’avais pas pris conscience de la profondeur de ce drame". Car bien des années après, Pierre Durand connaît à nouveau la guerre lorsqu’il est mobilisé en Algérie.

C’est là, à des milliers de kilomètres de ses paysages natals de l’Ain, que le souvenir des enfants d’Izieu devient encore plus prégnant. "Comment ne pas penser aux enfants d’Izieu lorsqu’on traversait des Djebels avec des enfants affamés. Partout, dans toutes les guerres, le sang est toujours rouge et les larmes des mères amères" soupire le retraité. 

Être un passeur de mémoire

À son retour en France, profondément marqué, il lui est nécessaire d’être un passeur de la mémoire de la rafle des enfants d’Izieu. Pour Pierre Durand, la transmission est avant tout familiale : il a notamment écrit un poème pour ses petits-enfants, afin de mettre en mots l'irracontable. "J’en ai distribué un exemplaire à chacun de mes 11 petits-enfants. J’ai le sentiment que ça les a touchés, car ils m’en ont reparlé" témoigne-t-il.

Faire vivre le souvenir passe aussi par la visite du lieu qui fut le théâtre de la rafle. Pierre Durand s’est ainsi rendu de nombreuses fois au mémorial des enfants d’Izieu, en famille mais aussi avec des amis. Lors de sa première venue en 1955, il en ressort totalement bouleversé, "quand on est dans ce lieu, il n’y a pas besoin d’en dire beaucoup plus, tout nous submerge".

Pierre Durand a vécu toute sa vie avec l’image des camions nazis raflant les enfants d'Izieu. Ce souvenir, douloureusement vivace, a modelé sa vision de la vie. "Ça m’a obligé à comprendre très tôt que le refus de la différence conduisait aux pires horreurs de l’humanité. C’est pour cela que je ne peux comprendre la haine de l’autre, le racisme, l'antisémitisme" confie-t-il. Comme une pierre à l'édifice de la mémoire de la rafle des enfants d'Izieu, le retraité continue de raconter cette histoire, inlassablement, pour ne jamais oublier.

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