Ce 29 novembre 2024, Netflix lance une mini-série en 6 épisodes sur le destin fulgurant du pilote brésilien de F1 Ayrton Senna, trente ans après sa mort sur le circuit d'Imola. En février 1994, Jeanne Damerot, une ancienne religieuse octogénaire, avait quitté pour quelques heures sa maison de retraite de l'Ain pour s'en aller rencontrer Ayrton, son idole. Une rencontre incroyable, quelques semaines avant l'accident qui coûta la vie au pilote brésilien.
Elle s'appelle Jeanne. Dans le vacarme d'un stand du circuit du Castellet, elle se bouche parfois les oreilles quand le hurlement d'un moteur se fait trop déchirant. Elle est toute petite, toute fluette, dans son fauteuil roulant. Un gilet de laine rose sur un chemisier bleu, ses bouclettes blanches impeccables, elle semble s'être pomponnée comme une adolescente qui a rendez-vous avec son amoureux...
L'un des plus grands pilotes de tous les temps
Et c'est un peu le cas, ce 28 février 1994, dans les hangars du circuit Paul Ricard, où l'écurie Williams-Renault mène des essais privés, quelques jours avant le lancement de la saison de F1, en Australie.
Au volant de la monoplace qui tourne à toute berzingue sur le ruban d'asphalte, Ayrton Senna. L'un des meilleurs pilotes de tous les temps, sans nul doute l'un des plus célèbres aussi, déjà trois fois champion du monde. Ses duels féroces avec le Français Alain Prost ont passionné les fous de F1. Et les autres. Quelques mois plus tôt Prost a pris sa retraite, Senna a quitté Mc Laren pour Williams, une page s'est tournée.
Le Castellet, 1994.
— Senna (@sennatheking) December 23, 2020
82 year old Jeanne Damerot with her hero, Formula One driver Ayrton Senna.
After he gave her his F1 racing cap. pic.twitter.com/FDWPX5yugh
Ce 28 février 94, Jeanne est bien loin de la maison de retraite où elle vit près de Bourg-en-Bresse dans l'Ain. À presque 82 ans, elle a un peu de mal à marcher mais c'est surtout la lenteur de l'âge qui ne lui plaît pas du tout.
Réveillée aux aurores pour suivre les Grands Prix
Jeanne, ce qu'elle aime, c'est la vitesse. La vitesse la plus folle, celle des circuits, celle de la Formule 1. Elle ne loupe pas un Grand Prix. À la fin de la saison précédente, en 93, elle avait demandé au personnel soignant de sa maison de retraite de la réveiller à 4 heures du matin pour suivre les deux derniers Grands Prix, celui du Japon et celui d'Adélaïde en Australie.
La vitesse, c'est son truc, la Formule 1 sa passion ultime, et son idole absolue s'appelle Ayrton Senna. Elle a des posters du pilote brésilien sur tous les murs de sa chambre. Mais la santé de Jeanne décline et à la maison de retraite de l'Hôtel-Dieu à Bourg-en-Bresse, les infirmiers et le directeur ont décidé de faire un cadeau à la vieille dame. Ils écrivent donc une lettre au service presse de Renault Sport, dont le moteur équipe la Williams, pour demander une photo dédicacée d'Ayrton.
Rendez-vous au Castellet
Le résultat va dépasser toutes leurs espérances. Touché par la demande, Jean-Jacques Delaruwière, le responsable du service presse de Renault invite Jeanne à assister à une séance d'essais privés sur le circuit Paul-Ricard dans le Var ! Les responsables de la maison de retraite n’en croient pas leurs oreilles.
Manu militari, le voyage entre Bourg-en-Bresse et le circuit du Castellet est organisé en véhicule (Renault !) médicalisé et au jour et à l'heure dite, Jeanne se retrouve sur son fauteuil roulant dans l’atelier Renault, attendant sagement qu'Ayrton Senna ait terminé les essais.
Il y a quelques années, Jean-Jacques Delaruwière a raconté la suite. "Elle me pose mille et une questions. Quelques minutes plus tard – suivant le programme établi – Ayrton quitte le baquet de sa monoplace et discute avec les ingénieurs. Discrètement je lui rappelle son rendez-vous en lui montrant la vieille demoiselle. L’entretien devait durer 5 minutes. Il durera près d’une demi-heure. Je traduis. Jeanne explique à Ayrton qu’il est le meilleur pilote du monde. Puis la conversation glisse sur leur foi commune en Dieu. Jeanne offre à Ayrton une médaille de la Vierge Marie pour qu’elle veille sur lui. Ayrton lui tient les mains puis signe pour elle casquettes et photos... Un moment exceptionnel !"
Interrogé peu après par une télévision brésilienne, Ayrton Senna confirmera le caractère émouvant de cette rencontre improbable avec son amoureuse octogénaire française en précisant "qu'ils s'étaient bien embrassés mais pas sur la bouche..."
Le 1er mai 1994 à Imola...
Deux mois plus tard, presque jour pour jour, le 1er mai 1994, Ayrton Senna percutera à plus de 200 km heure le mur du virage de Tamburello, sur le circuit d'Imola en Italie. Son décès sera annoncé quelques heures plus tard.
Une dévastation pour Jeanne, qui répétait que c’était à elle de partir et pas à lui... A la maison de retraite de Bourg-en-Bresse, les dimanches de Grand Prix n'ont plus jamais eu la même intensité. Le 31 mai 1996, à 83 ans, Jeanne Damerot s'en est allée rejoindre son idole. Au paradis des amoureux de la vitesse pure, là où résonnent les hurlements hypnotiques des moteurs, stridents et graves comme la mort.