C'est la double peine pour l'écrevisse française. Après avoir été décimée par sa cousine américaine, introduite accidentellement par l'homme, l'espèce à pattes blanches souffre du réchauffement climatique. Elle est menacée de disparition. Reportage dans l'Ain.
Torche à la main, les techniciens de la Fédération de la pêche mènent l'enquête. En pleine nuit, ils recherchent des écrevisses à pattes blanches dans les cours d'eau. Ils sont chargés de les compter, c'est un grand inventaire. Ils savent que le crustacé aime l'eau fraîche, pure, sans pollution. Le département de l'Ain a longtemps coché toutes les cases, et sa population d'écrevisses participait à sa réputation.
Aujourd'hui, il n'y a plus aucune trace de l'espèce dans le lac de Nantua par exemple, alors que dans les années 1980, les écrevisses françaises y pullulaient. C'était même l'emblème gastronomique du secteur, ingrédient majeur de la sauce Nantua qui accompagne les quenelles lyonnaises.
Un concurrence venue d'outre-Atlantique
Bastien Gadaud, l'un des techniciens, nous emmène dans un ruisseau voisin du lac pour nous présenter celle qui a eu la peau de l'écrevisse française. Il ne met pas longtemps à la trouver. Il soulève quelques rochers et saisit une écrevisse américaine. Une californienne plus exactement. Elle peut atteindre 18 cm quand une française en mesure 12 au maximum. Le dessous de ses pinces est bien rouge. Elle a été importée pour sa chair, recherchée par les restaurateurs. Quelques spécimens se sont échappés des élevages et ont colonisé l'habitat de l'espèce à pattes blanches. "Le problème, c'est surtout que c'est un animal qui est porteur sain d'une maladie, l'aphanomycose ou peste de l'écrevisse, contagieuse pour l'espèce française. Ce champignon peut décimer une population entière en même pas une semaine", détaille Bastien.
Des zones à préserver
Ce fléau a placé l’écrevisse à pattes blanches en rouge sur la liste des espèces menacées. On trouve les dernières sur les secteurs coupés des autres cours d'eau. Chaque inventaire a donc une valeur patrimoniale pour identifier ces zones et éviter toute contamination. Les techniciens interviennent d'ailleurs après désinfection de leurs bottes et de leurs mains.
Au cours de la prospection estivale, 3000 individus ont été comptabilisés sur une dizaine de cours d’eau du département de l’Ain. "Même si les populations ont pu décroître ces dernières années, il en reste. À nous de les suivre et de comprendre les mécanismes qui font qu'elles régressent, pour mieux les protéger à l'avenir", explique Pierre Bompard, directeur de la Fédération de la pêche de l'Ain.
Des opérations de translocation sont parfois entreprises. Il s'agit de transferts réalisés avec parcimonie afin de réimplanter des spécimens dans des zones préservées, qui en accueillaient autrefois. "On fait surtout ce choix quand les écrevisses sont dans des endroits qui manquent d'eau, c'est alors urgent", précise Pierre Bompard. L'écrevisse se déplace peu, est très sensible à la qualité et la température de l'eau. Le réchauffement climatique est un facteur aggravant.
Les habitants qui vivent aux abords des zones refuges sont sensibilisés pour que ces dernières écrevisses françaises vivent en paix.