Dans l'Allier, un Bourbonnais voyage partout en France pour tourner un documentaire sur les fans de l'émission de France 2 "N'oubliez pas les paroles!". Il a découvert un univers de passionnés qui consacrent des heures à la révision des chansons. Une passion qui mène parfois jusqu'à l'addiction.
En ce dimanche matin de début août 2021, Jonathan Verrier a posé sa caméra dans un petit village de Lorraine : Ville-au-Montois en Meurthe-et-Moselle. Dans une salle des fêtes, huit personnes révisent. Des paroles de chansons françaises. Et chantent. Des fans inconditionnels de l’émission de France 2 « N’oubliez pas les paroles ! » Jonathan Verrier va les filmer toute la matinée avant de filer vers la Seine-et-Marne où l’attendent d’autres passionnés. Puis direction l’ouest de la France. Enfin le sud. Ce Bourbonnais, animateur radio à Ebreuil dans l'Allier, vient de se lancer dans le tournage d’un documentaire sur cette communauté si particulière. « Moi-même, je tente les castings de l’émission depuis 2014 », confie-t-il. « J’en suis à mon quatrième casting physique. » Mais sans succès. « La production de l’émission est très exigeante. Il n y a que 2 à 3 % des candidats qui sont pris. Il faut avoir une bonne connaissance des paroles, une solidité musicale et surtout de la prestance et du charisme car cela reste une émission télé. »
Ce jeune homme de 27 ans vivait sa passion de la chanson française en solitaire, jusqu’à ce qu’arrivent les confinements. « En novembre 2020, j’étais au chômage partiel, j’étais cloîtré chez moi et j’ai regardé sur les réseaux sociaux pour voir si d’autres personnes partageaient cette passion et voulaient réviser aussi », se souvient-il. « Et j’ai découvert de dizaines de groupes Facebook avec des milliers de personnes qui jouent ensemble, qui se partagent des informations sur les castings, qui corrigent des paroles. »
Il intègre cette communauté. Face à l’engouement et la ferveur qu’il découvre, l’idée du documentaire apparaît. « Il y a un sujet sociologique à creuser », analyse-t-il. « Ce sont des personnes qui parfois mettent leur vie entre parenthèses pour cette émission, qui pourraient presque sacrifier vie familiale et vie sociale pour réviser. » Et de citer l’histoire d’un grand champion de l’émission qui a pris un an de congé sans solde pour ses révisions. Jonathan Verrier veut explorer pourquoi on devient aussi fanatique de cette émission, à quel moment on bascule et quels en sont les impacts. Positifs : des amitiés se créent, des amours aussi. On voyage. Et négatifs : l’addiction, l’isolement, l’envie oppressante de notoriété. Il a prévu d’interviewer une vingtaine de personnes. Et réfléchit à contacter un sociologue et un addictologue pour enrichir le documentaire.
Le succès presque compulsif de l’émission « N’Oubliez pas les paroles » s’explique par son côté grand public, accessible à tous. « Ce n’est pas une émission élitiste », raconte Jonathan Verrier. « Tout le monde a au moins un lien avec la chanson française. Nous avons tous dansé sur « Les démons de minuit » ou « Nuit de folie ». Nous avons tous pleuré sur « Quelque chose de Tennessee » de Johnny Halliday. »
Kévin Lobjois a fait le déplacement depuis Cambrai dans le nord de la France pour venir réviser et chanter en Lorraine, le temps d’un week-end. Il a fait son premier casting en 2013. Depuis, il est devenu très actif sur les réseaux sociaux. Il est administrateur d’un groupe de fans. Il s’est lié d’amitié avec Jonathan Verrier. Il a accepté d’être interviewé pour le documentaire. « Cela fait plus de deux ans que je suis accro à l’émission », reconnaît-il, avec un grand sourire amusé. « Par amour de la chanson française et pour la communauté derrière. On se crée des liens qui passent du virtuel au réel grâce aux week-ends de révision. Je passe des heures et des heures, voire des nuits à jouer. C’est un challenge avec soi-même d’essayer d’aller comme d’autres sur le plateau télé. »
Un entraînement comme un sportif avant une compétition. Un entraînement de haut niveau qui l’a transformé. « Il y a deux ou trois ans, je n’aurais pas accepté d’être filmé pour le documentaire car je suis assez timide à la base. En fait, grâce à l’émission, on se découvre, la scène nous plaît de plus en plus. Chanter en public nous fait prendre confiance en nous. »
Jonathan Verrier espère sortir le film au printemps 2022. Il porte le titre provisoire de « Paroles Paroles ». Il sera diffusé sur internet, via Youtube et les réseaux sociaux. Il s’agira de son premier documentaire.