Viaduc de Garabit : découverte du génie de Gustave Eiffel dans le Cantal

Découvrez le viaduc de Garabit, joyau d’ingénierie de Gustave Eiffel, dans le Cantal, et son histoire fascinante.

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Il y a cent ans, le 27 décembre 1923, disparaissant Gustave Eiffel. Ce génial inventeur ne fut pas que le père de la célèbre Tour Eiffel parisienne. On lui doit aussi la réalisation du viaduc de Garabit, dans le Cantal. Avec 560 m de longueur, 120 m de hauteur, au total 3 000 tonnes de métal sont suspendues. Lorsqu’il a été achevé en 1884, il était à l’époque le plus haut viaduc du monde. Bertrand Lemoine, architecte, historien et ingénieur, explique pourquoi on a créé ce viaduc : « Il y avait un maillon manquant sur la ligne de Marjevols à Naussargues, sur une grande ligne entre Paris et Béziers. Il s’agissait du désenclavement du Massif central, pour traverser la vallée de la Truyère. La gorge était plus profonde qu’aujourd’hui ».

L'exemple du viaduc de Maria Pia au Portugal

L’histoire de ce viaduc est liée à l'empreinte de plusieurs ingénieurs. À commencer par Léon Boyer. Bertrand Lemoine raconte : « Le projet débute en 1879, quand un jeune ingénieur des ponts et chaussées en charge de cette ligne s’aperçoit que plutôt que de descendre dans la vallée, franchir la Truyère et remonter de l’autre côté, il était beaucoup plus économique de construire un viaduc, avec 165 m d’ouverture. Pour cela, il s’inspire d’un projet construit par l’entreprise Eiffel au Portugal, le viaduc Maria Pia qui franchit la rivière Douro, pour rejoindre les deux plateaux. L’ingénieur fait un avant-projet avec une esquisse et des calculs pour montrer que cette solution est viable ».

Voici une photo du viaduc portugais.

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L’architecte poursuit : « Il est question de confier le projet à l’entreprise Eiffel. Une commission se réunit à Paris pour savoir s’il est légitime de confier le marché à la société Eiffel, de gré à gré. La réponse est positive. L’entreprise se voit confier le projet de la réalisation. Un projet définitif est conçu. Une rupture intervient entre Eiffel et son associé, Théophile Seyrig. C’est lui qui avait conçu le viaduc Maria Pia à Porto. Il était légitime que dans le cadre du viaduc de Garabit, il ait sa part à une espèce de prime à la construction, compte tenu des bonnes conditions dans lequel le marché avait été passé. Eiffel refuse et les deux hommes se séparent. Seyrig va par la suite réaliser le deuxième viaduc de Porto, en gagnant un projet contre l’entreprise Eiffel. Eiffel a besoin d’un ingénieur pour faire les calculs du viaduc de Garabit et il embauche Maurice Koechlin, un très jeune ingénieur de 23 ans. Dans son entreprise, il a déjà des personnes expérimentées, comme Emile Nouguier, qui a dirigé le chantier de Porto ».

Des conditions difficiles

Le montage va s’échelonner sur 2 ans et demi. Le viaduc est inauguré en 1884. Les conditions de montage ont été difficiles. Bertrand Lemoine insiste : « C’est un grand viaduc : grosso modo, son poids fait la moitié de celui de la Tour Eiffel. Il présente une grande arche de 165 m, avec des pylônes, avec un tablier de plusieurs centaines de mètres. Il s’agit d’un gros chantier réalisé dans des conditions difficiles. Il n’y a pas de ville à proximité de Garabit, pas d’infrastructures. Il faut construire un petit village pour loger les ouvriers. Les pièces sont fabriquées à Levallois-Perret et arrivent en chemin de fer. On construit un pont provisoire sur la vallée de la Truyère. On construit d’abord les piles en pierre. En deux ans, on construit la partie métallique ».

Une construction "très audacieuse"

Le viaduc rencontre immédiatement un grand succès. Il remplit son office de franchissement pour les chemins de fer. C’était à cette époque le plus grand pont en arche construit en France. Sa construction a relevé plusieurs défis : « C’était à la fois une conception très audacieuse, certes inspirée d’un autre viaduc. Le vrai défi était de construire dans une région un peu reculée, avec peu de ressources locales. Il fallait faire venir des ouvriers sur place. Les conditions de chantier n’étaient pas faciles. Eiffel dit qu’ils y sont arrivés avec une précision presque mathématique, en parlant de la jonction des deux moitiés de l’arc. Toutes les pièces étaient très précisément calculées, dessinées, préparées en usine. On assemblait les rivets et sur place, il fallait assurer un montage, avec de petites grues, des wagonnets. Les moyens étaient très sommaires. Il y a plus d’un million de rivets sur le viaduc. Cette précision en usinage des pièces a facilité le montage ».

La vidéo de l'INA ci-dessous montre un cheminot en train de travailler en 1946 sur le viaduc de Garabit. Il était en charge de l'entretien de l'ouvrage d'art. Pendant 25 ans, "Il a ausculté les 700 000 rivets et les 50 000 boulons" du viaduc, raconte le journaliste de l'époque.

On estime que 250 ouvriers ont participé à sa construction. Bertrand Lemoine rappelle : « C’est un projet conçu par l’entreprise Eiffel. Souvent, elle réalisait des projets dessinés par d’autres ingénieurs. Il s’agit d’une production entièrement maison, comme le sera la Tour Eiffel, quelques années plus tard. La Tour Eiffel est conçue l’année où le chantier du viaduc de Garabit se termine. Les mêmes ingénieurs, les mêmes équipes vont être à la manœuvre ».

Le viaduc est reconnaissable à sa couleur rouge : « Initialement, le viaduc était rouge, car la peinture pour lutter contre la corrosion était rouge. Il a été repeint. À une époque, il était bleu. Il a ensuite été repeint en rouge. Cela le détache dans le paysage. La couleur met le viaduc en valeur dans ce paysage plutôt vert ». L’architecte est très attaché à ce viaduc : « Je le trouve toujours extraordinaire. Au pied, on est frappé par ses dimensions colossales et son ampleur. Il y a aussi cette forme d’arche, parabolique, qui est très singulière. Il n’y a pas énormément de ponts qui ont cette forme. L’arche se rétrécit à ses bases. Cela donne à la forme générale une espèce de dynamique tout à fait extraordinaire. On remarque aussi le sens de l’équilibre dans un paysage naturel. C’est un lieu magnifique ».

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En lice pour un classement UNESCO

Aujourd’hui, une campagne est en cours avec les autorités locales pour l’inclure dans une liste de 6 viaducs labellisés patrimoine mondial de l’UNESCO, en France, au Portugal, en Allemagne et en Italie : « Ce classement serait un signal fort pour dire que ce patrimoine a une valeur universelle exceptionnelle. C’est un long processus, débuté il y a 5 ans. L’Allemagne vient d’accepter de porter cette candidature transnationale. Il est très important de le préserver. C’est un témoignage de cet art de construire du XIXe siècle, lié à la révolution industrielle. Il continue à être contemporain. Ce sont des patrimoines fragiles. Il faut le repeindre régulièrement, sinon il rouillerait et risquerait de s’effondrer ».

Patricia Rochès, présidente fondatrice des Amis du viaduc de Garabit, historienne et auteure d’ouvrages sur le viaduc, est aussi passionnée par cette réalisation d’Eiffel : « Cet ouvrage d’art a été exceptionnel à l’échelle internationale. Il a marqué un tournant assez révolutionnaire dans la construction des ouvrages d’art en arche. Eiffel avait obtenu ce marché de gré à gré, ce qui est exceptionnel : il n’y a pas eu d’appel d’offres. La construction de Garabit a été présentée à l’Exposition universelle de 1889. À l’époque, on parlait beaucoup de la Tour Eiffel. Le viaduc a obtenu un prix lors de cette Exposition. Les conditions sur le chantier étaient assez exceptionnelles : Eiffel a réussi à tenir les délais et le prix annoncés ».

Il est essentiel de préserver ce qui a fait la grandeur de la France à une certaine époque

Patricia Rochès, historienne

Le viaduc de Garabit était très moderne pour l’époque : « On n’avait pas la connaissance technique pour réaliser des piles assez hautes pour franchir une gorge aussi large et aussi profonde. Il fallait trouver une autre solution. Des piles en pierre de 60 m n’étaient pas possibles. Il y avait le lit de la rivière. Pour permettre à une ligne d’être la plus plane et la plus droite possible, dans le relief tourmenté du Massif central, ce n’était pas un jeu d’enfant pour les ingénieurs de l’époque ». L’historienne rappelle la nécessité de sauvegarder cet ouvrage d’art : «  Le patrimoine industriel ne jouit pas du même prestige que d’autres patrimoines qui sont plus ancrés dans nos cultures. Il représente le savoir-faire français. S’il n’y avait pas eu le viaduc de Garabit, il aurait été plus difficile de construire la Tour Eiffel, notamment à cause de la résistance au vent. Le travail qu’ont réalisé ces ouvriers et ces ingénieurs mérite d’être conservé, car c’est un témoignage d’un moment clef du génie civil français. À l’époque, on a rayonné dans le monde entier, on a battu un record détenu par les Américains. Pour le chantier, il n’y avait pas de conditions de sécurité, quelques minces filets de sécurité, il n’y avait pas de casques ou de chaussures de sécurité ». Elle conclut : « Avant le classement UNESCO, il faut le préserver pour maintenir cette ligne de chemin de fer. Nous œuvrons pour que ce patrimoine reste un patrimoine circulé. Il ne faut pas le mettre sous cloche ».
Classé monument historique depuis 1965, le viaduc de Garabit attire de nombreux touristes. Avec un classement  à l'UNESCO, les experts estiment que sa fréquentation pourrait augmenter de 30 %. 

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