Cantal : un fromage, un département, mais d'où vient son nom ?

Le Cantal évoque à la fois un massif volcanique, un fromage AOP et un département d’Auvergne. Mais quel lien existe-t-il entre ces trois ? Véritable atout culturel et économique, le fromage est devenu la vitrine de son territoire.

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Lorsque l'on parle de Cantal, on ne sait pas forcément s'il est question de fromage, d'un massif montagneux ou d'un département. En réalité, les trois sont apparus progressivement et sont étroitement liés.

À l’origine, le plus grand volcan d'Europe

Dès l’Antiquité, des écrits font état de la production de fromage dans la région. Il tire son nom de l’endroit où il est produit autour du XIIIe siècle. "Pour nommer les lieux, dans l’Antiquité, les agriculteurs qui s’installaient s’inspiraient de leur environnement : les montagnes ou les rivières par exemple, explique Jean-Marie Cassagne, linguiste et écrivain de nombreux ouvrage sur la toponymie (la façon dont sont nommés les lieux) de la région Auvergne. Le toponyme Cantal est très ancien, puisque la racine Cane ou Cante est pré-gauloise." Le Cante est une hauteur rocheuse au sommet arrondi, sans végétation. Le massif du Cantal désigne aujourd’hui les vestiges du plus grand stratovolcan d’Europe, qui s’étale sur un rayon de 50 à 70 kilomètres dans le massif central. Son sommet le plus haut, le Plomb du Cantal, culmine à 1855 mètres.

"On retrouve par exemple cette racine dans les noms des villes de Cannes ou encore Cagnes-sur-mer, toutes deux perchées sur des monts." Pour ce qui est du Plomb du Cantal, "Cela n’a rien à voir avec le métal !, relève le linguiste. Il s’appelait le Pom du Cantal autrefois. Au fil des années, les générations ont perdu ce que cela voulait dire et l’ont déformé." Le Pom signifiait aussi le sommet arrondi de la montagne. "C’est donc un toponyme tautologique, où l'on répète deux fois la même chose ! Les noms de lieu, souvent, finissent par être redondants, puisque l’on perd leur signification initiale. Et en parlant de pom(mes), saviez-vous que l’on disait autrefois “tomber dans les pâmes“ ? Cela avait plus de sens, mais les gens ont progressivement oublié le sens. Alors ils ont trouvé quelque chose qui s’en rapprochait et qui leur paraissait plus familier. C’est devenu “tomber dans les pommes“. Pour les noms de lieu, c’est la même chose ! »

Le Cantal n’est ensuite devenu un département qu’en 1790, lorsque l’Assemblée Constituante de la Révolution française divise l’Auvergne en trois : la haute-Auvergne devient le Cantal, du nom de son massif montagneux.

Un fromage emblématique de son territoire

"Le fromage Cantal porte le même nom que son territoire, c’est dans son essence même d'incarner le territoire", affirme Yves Laubert, directeur du Comité interprofessionnel des fromages d’Auvergne (CIF). Le Cantal est depuis 1956 un fromage AOP (Appellation d’origine protégée). Les labels AOP garantissent la qualité des produits, la technique de fabrication et la provenance géographique. Le CIF compte, pour la filière Cantal, environ 880 producteurs laitiers, 24 entreprises laitières privées ou coopératives, qui collectent le lait chez les producteurs, et 75 producteurs fermiers. Les producteurs fermiers produisent le lait et le transforment directement sur place. En tout, la production de fromage de Cantal AOP représente environ 2500 emplois, d'après le CIF. Le Comité "défend l’AOP des malfaçons et veille à ce que les producteurs respectent le cahier des charges donné par l’UE", explique son directeur. Pour les producteurs qui font le choix de l’AOP, l’intérêt est aussi économique. Le label est une plus-value et un gage de qualité pour le consommateur. "C’est une manière de valoriser son territoire et son savoir-faire. Les producteurs reçoivent une rémunération supérieure à des producteurs non-AOP. C’est non négligeable, on parle d’un différentiel de 15 000 euros par an pour des employés qui gagnent en moyenne à peine un smic."

Pour obtenir le label AOP, les producteurs doivent respecter plusieurs critères. "Ce ne sont pas des contraintes, assure-t-il. Quand on s’inscrit dans un club de football, on accepte de ne pas jouer avec les mains. Et bien là, c’est pareil. L’adhésion et l'investissement sont totalement volontaires." Sur les 1300 producteurs laitiers du Cantal, environ 900 ont choisi de produire du lait pour le fromage AOP. Leurs vaches doivent être nourries d’au moins 70% d’herbe et les agriculteurs doivent "optimiser la ressource herbagère" pour préserver le paysage et la pérennité des élevages. Au-delà de leur troupeau, ils doivent veiller à leur territoire. « Notre région est protégée par nos producteurs. Dans les zones où la production laitière baisse, les vallées se referment, c’est-à-dire que les fougères, les broussailles, les arbres reviennent occuper le terrain. Les producteurs contribuent à notre paysage. » Les bêtes doivent être nées et élevées sur un périmètre délimité. La zone recouvre tout le département du Cantal et s'étend sur une partie des départements limitrophes : Puy-de-Dôme, Corrèze, Haute-Loire, Aveyron.

En revanche, contrairement à certains autres AOP, aucune race de vache n'est imposée dans le cas du Cantal. "Dans le nord-Cantal, on utilisait beaucoup les vaches Ferrandaises, au centre plutôt la Salers et dans le sud-Cantal la vache Aubrac. La région Auvergne est rude pour les vaches. Mais il y a une cinquantaine d’année, le rameau laitier n’a pas été développé, c’est-à-dire que les races n’ont pas été entretenues pour produire de gros troupeaux. Donc aujourd’hui il n’y a pas assez de Salers pour produire tout le Cantal, même si on essaie de la développer. Quelle que soit la race, ce qui importe vraiment, c’est ce qu’elles mangent, c’est ça qui donne le goût au fromage, qui fait le lien au territoire.", précise Yves Laubert.

La vache Salers est emblématique de la région et reconnaissable à ses longues cornes. Aujourd’hui, la vache Montbéliarde est la race la plus utilisée pour la production du fromage dans le Cantal, avec la Hollstein.

Toutes ces caractéristiques donnent au Cantal son goût et sa texture. Yves Laubert n'en tarit pas d'éloges : "C'est un fromage que l’on ne peut comparer à un autre. C’est lié à sa technologie de fabrication. Il s’agit d’un fromage à pâte pressée non cuite. Cette méthode de fabrication lui donne une texture unique, comparable à de la meringue : une impression de fromage dur au début, mais qui une fois en bouche fond très vite. Il a aussi une texture de petits morceaux tout à fait singulière." Selon lui, l'aspect gastronomique du fromage est un atout : "Le Cantal sert à cuisiner l’aligot et la truffade. Et puis au fil des mois, les goûts évoluent. Ils passent du lait, beurre, crème pour le Cantal jeune aux épices et au poivre pour le vieux. C’est un fromage intéressant pour les amateurs." En fonction de la durée de son affinage, le Cantal sera vendu jeune (1 à 2 mois d'affinage), entre-deux (3 à 7 mois) ou vieux (plus de 8 mois).

"Un département touristique, avant tout grâce à son fromage"

"Le Cantal est une chance pour notre département, confie Bruno Avignon, directeur du Comité départemental du tourisme du Cantal. C'est un des fromages les plus connus en France. Si le Cantal est un département touristique, c'est avant tout grâce à son fromage." Selon lui, "même sans avoir mis les pieds dans le coin, le Cantal parle aux gens." Ce "binôme" fromage et département ferait donc la force du tourisme. "Il y a toute une économie qui tourne autour, ajoute-t-il. Le réseau Bienvenue à la ferme par exemple, accueille des touristes directement sur les lieux de production pour leur faire découvrir les processus de fabrication et leur faire goûter le produit." Depuis quelques années, une fête du Cantal se développe au pied du Puy Mary, à Mandailles-Saint-Julien. "C'est un événement en devenir, mais qui reste à développer. Pour l'instant, nous n'avons pas de fête de l'AOP Cantal à proprement parler", reconnaît le directeur. Jusqu'à 500 000 visiteurs se rendent chaque année au Puy Mary. Un projet de maison de l'AOP Cantal est en gestation à l'Office du tourisme et au CIF, dans le bassin d'Aurillac. D'ici deux à trois ans, les porteurs du projet espèrent inaugurer "bien plus qu'un musée, une expérience ludique et interactive autour de toutes les dimensions du fromage, de sa fabrication à la dégustation". Après tout, "la France est le pays du fromage mais le Cantal est le seul département à en porter un nom ! C'est presque normal que l'on puisse proposer à nos touristes de le découvrir", assure Bruno Avignon. Le tourisme représente 180 millions d'euros de recettes pour le département et a connu une augmentation l'été dernier, malgré la crise sanitaire. "Les touristes voulaient se retrouver, dans des grands espaces, où le Covid était peu présent", avance-t-il pour expliquer ce succès.

"On a beaucoup pâti de la fermeture des restaurants"

"En 2020, la filière du Cantal a produit 12 millions de kilos, soit 12 000 tonnes de Cantal. A l’échelle du marché français, c’est infinitésimal, mais à l’échelle de notre territoire, c’est énorme !", nuance le directeur du CIF. Entre 400 et 450 000 meules sont produites chaque année.

Mais avec la crise de Covid-19 et les restrictions sanitaires successives, la vente de Cantal a drastiquement diminué. "En mars, avril et mai 2020, on a beaucoup pâti de la fermeture des restaurants, de la restauration collective, en cantine ou en restaurants d’entreprise, et de l’hôtellerie." En mars 2020, la filière enregistrait une chute de 50% des ventes de Cantal. Au début du printemps, la filière déplorait encore une perte d'au moins 10% de ses ventes. La filière du Cantal est très peu présente à l’étranger et ne peut compter sur ces marchés pour compenser, contrairement à certains autres fromages AOP comme le Bleu d’Auvergne : "L’AOP Cantal s’est construit sur des PME qui n’avaient pas les moyens d’aller sur les marchés étrangers."

Un autre Cantal a fait l'histoire

Pour l’anecdote, Cantal a aussi été le nom d’un des chevaux de Napoléon Ier lors de la bataille de Moskowa en 1812. C’était un cheval originaire d’Auvergne, de couleur gris truité, élevé près de Mauriac (Cantal). Le peintre Géricault en a fait un tableau, conservé au musée des beaux-arts de Rouen et dont une copie séjourne au musée d’Aurillac.
 

 

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