Nés et portés par la tradition orale, les dictons et proverbes auvergnats se nourrissent du bon sens, de l’humour, des observations ou préoccupations populaires. Ils nous en disent un peu plus sur nos aïeux. Petit tour d’horizon non exhaustif avec le Cantalien Daniel Brugès.
 

Instituteur en Margeride aujourd’hui retraité, auteur et illustrateur, fils de paysan revendiqué, le cantalien Daniel Brugès est un compilateur de traditions orales et populaires épris du monde rural. C’est ainsi que, parmi ses nombreux ouvrages, il en a publié deux consacrés aux dictons d’Auvergne et de nos campagnes. Il nous livre un aperçu de ces petites phrases qui ont longtemps ponctué les conversations des anciens. A méditer, sans doute, avec l’arrivée des beaux jours…
 

« Comme un petit enfant d’Auvergne,
il couperait un sou avec ses dents »


Il y a des clichés qui ont la dent dure ! Pour preuve, ce dicton qui nous vient de nos proches voisins, et spontanément cité par Daniel Brugès, au début de notre entretien : « le premier qui me vient à l’esprit, c’est un dicton que disaient les gens du Limousin à propos des Auvergnats qui partaient en colportage : "comme un petit enfant d’Auvergne, il couperait un sou avec ses dents". Pour en faire deux, donc… C’est peut-être de là aussi qu’est venue cette réputation des Auvergnats qu’on dit souvent avares alors que nous, nous disons plutôt que nous sommes des économes », commente un brin amusé ce Cantalien. Avant d’ajouter : « en Auvergne, notamment dans le Cantal, on disait plutôt ‘riche qui peut, aisé qui sait, sage qui veut ». 

« Quand le diable entre dans la danse,
l’Auvergnate a déjà pris cent pas d’avance »


Autre sujet qui a inspiré bien des commentaires, l’Auvergnate. Et mesdames, ne vous réjouissez pas trop vite car le propos est rarement flatteur. Il invite plutôt à la méfiance vis-à-vis d’une gent féminine présentée comme peu fiable.
« Il y en a un que je trouve plutôt humoristique, c’est les hommes qui disaient surtout ça : "le feu, l’eau et l’Auvergnate amoureuse sont trois choses dangereuses". Un autre dit : "quand le diable entre dans la danse, l’Auvergnate a déjà pris cent pas d’avance", c’est quand même moins sympa. C’est assez typique, je le vois sur tout le travail d’enquête que j’ai pu faire sur une trentaine d’années autour des dictons et proverbes, il y a un côté misogyne parfois terrible », observe Daniel Brugès avant d’élargir la liste : "l’Auvergnate voit quand son mari est saoul, jamais quand il a soif", "mieux vaut garder 100 brebis près d’un champ de blé qu’une fille d’Auvergne quand son cœur a parlé".
De là à privilégier les valeurs terriennes et le labeur, il n’y a qu’un pas… d'Auvergnat !
 

« Jamais il n’y a de samedi sans soleil,
jamais il n’y a d’Auvergnate sans conseil »


« Ce qu’on attendait de l’épouse,  c’est qu’elle soit amoureuse, mais surtout travailleuse. Tout ce qui était frivolité et autres, ça intéressait moins », confirme Daniel Brugès tout en relativisant : « à côté de ça, il y avait ce côté écoute des femmes maîtresses de maison. Je sais qu’il y a un dicton que j’avais recueilli en Haute-Loire qui disait : "jamais il n’y a de samedi sans soleil, jamais il n’y a d’Auvergnate sans conseil". Je pense qu’il y a ce respect quand même pour l’épouse, la femme, la mère de famille à cette époque-là ».
Selon notre auteur, les dictons et proverbes remonteraient au Moyen-Age et ils se seraient répandus jusqu’au 19e siècle, une période faste avant le déclin progressif de la tradition orale. Une manière de mettre en garde, de moquer ou de transmettre bon sens et sagesse populaire tirés de l'expérience ou des observations environnantes. Beaucoup de dictons auvergnats se rapportent à la météo, au jardinage et aux travaux de la ferme.
 

« Mai pluvieux rend le paysan heureux »


« Les dictons sont campagnards et on en trouvait pour les différents mois, selon les saisons. Au mois de mai, un dicton que disaient énormément de gens d’Auvergne, c’était : "mai pluvieux rend le paysan heureux". On a aussi l’habitude de parler des fameux Saints de glace qui ont lieu les 11, 12 et 13 mai. On avait coutume de dire en Auvergne : "les Saints Servais, Pancrace et Mamert, à eux seuls un petit hiver", parce que c’est à cette période de l’année qu’on a les dernières gelées qui sont vraiment craintes par les jardiniers et les paysans », relate Daniel Brugès.
« On disait aussi : "jamais pied de jardinier, le jardin n’a abîmé". Il y en a un qui est dans l’humour et qui recoupe un peu ce que j’évoquais précédemment : "si la femme connaissait les vertus de l’oignon pour l’homme, elle en planterait de Saint-Flour jusqu’à Rome". Ca fait référence au côté aphrodisiaque de l’oignon, après scientifiquement ça n’a pas été prouvé a priori… » s’amuse l’auteur cantalien.
Voilà qui nous amène aux dictons associant productions locales et santé… Un thème redevenu d’actualité, à l'ère des circuits courts et de la traçabilité. 

« Qui fait de son ventre un jardin
n’a pas besoin de médecin »


« Selon cette tradition, tout ce qui peut être produit à la ferme ne peut être que bien. Un autre dicton disait : "qui fait de son ventre un jardin n’a pas besoin de médecin". Autrement dit, celui qui se nourrit énormément avec les légumes n’a pas besoin d’aller consulter puisqu’il trouve la santé dans ses productions. Dans le même esprit : "ail le soir, oignon le matin est le malheur du médecin". Ou encore : "une bonne soupe au choux, au médecin ôte 5 sous". Je pense que c’était des observations liées au quotidien. Les paysans de chez nous s’étaient aperçus qu’en consommant de la nourriture de proximité, ça permettait d’éviter ou de guérir certaines maladies et il y avait quand même de la défiance par rapport à l’homme de science, c’est certain, qui était d’un autre niveau social », analyse Daniel Brugès.
 

« Quand le coq chante à la veillée,
il a déjà la queue mouillée »


Autre source d’inspiration : les animaux. « Chien qui aboie n’est pas à craindre, celui-là je l’ai retrouvé en Bretagne, bizarrement, ce n’était pas propre à l’Auvergne. On disait aussi : "quand le coq chante à la veillée, il a déjà la queue mouillée". Autrement dit, c’est le signe qu’il risque de pleuvoir. D’autres, qui relèvent moins du dicton et plus du proverbe, disent : "le renard qui a la queue coupée est obligé de montrer son cul", une manière d’affirmer qu’on ne peut pas tout cacher. Dans le même esprit : "à cause d’un agneau chétif, on ne tue pas tout le troupeau". Avec le proverbe, on est plus sur des sentences moralisatrices et avec les dictons, on est plus sur le bon sens du quotidien », explique au passage Daniel Brugès.
 

« La Croix-Morand veut un homme par an »


« On en a quelques uns qui sont liés à des lieux auvergnats. Le grand classique, que j’ai entendu énormément de fois quand j’allais dans le Puy-de-Dôme, parle de l’importance passée de la commune de Châteldon : "Châteldon, petite ville et grand renom". Un autre dit : "la Croix Morand veut un homme par an". En effet, pour passer au col de la Croix-Morand, c’était très dangereux et on a assisté à plusieurs décès de personnes qui se perdaient dans la tempête. On disait aussi : "à Issoire, bon vin à boire, bon pain à manger et belles filles à voir". C’est les gens d’Issoire qui disaient ça bien sûr. Venant d’une ville voisine, l’esprit était parfois à la moquerie jalouse. En Haute-Loire, j’avais trouvé un dicton qui disait : "il est de l’académie de Sainte-Florine, il est de l’académie des ânes", raconte Daniel Brugès, décidément intarissable.

Né à Neuvéglise, dans le Cantal où il demeure toujours, Daniel Brugès qui a collecté ces dictons et proverbes dans la région explique vouloir laisser une trace de cette tradition fragile et éphémère. « Je sentais que c’était quelque chose en train de disparaître ». Une richesse qui vit encore tant que dure le plaisir de transmettre…
 
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