Pour nos voisins turinois, c'est une vraie révolution qui est en cours depuis ce début d'année. Les 60 derniers trams historiques de la ville, célèbres pour leur couleur orange vont être peu à peu mis à la retraite. Leurs successeurs sont plus adaptés à la vie moderne. Mais beaucoup moins fascinants pour les nombreux passionnés de trams de la ville.
"Moi, de savoir qu'ils vont disparaître, ça me rend triste... Parce qu'à chaque fois que j'en vois passer un, ça me ramène 40 ans en arrière". 40 ans, pour ce retraité qui marche le long de la voie du tram avec son sac de courses à la main. 50 ou 60 ans pour d'autres : à Turin, le tramway n'est pas qu'un simple moyen de locomotion pratique qui transporte ses habitants aux 4 coins de la ville : c'est aussi, pour beaucoup, un merveilleux véhicule... à remonter le temps.
Turin : tram un jour, tram toujours
D'abord, parce que depuis sa naissance à la fin du 19è siècle, le tram n'a jamais cessé de transporter les Turinois. Tiré par des chevaux d'abord, puis profitant de la naissance de la "fée électricité", il n'a cessé de développer son réseau de voies à travers la ville.
Même lorsque dans les années 1960/1970, en France notamment, l'avènement de la voiture individuelle semblait sonner le glas du tram, poussant certains maires de grandes villes à faire démonter des voies, les Turinois continuaient de sillonner les grandes artères du centre sur rails.
"Le tram n'a pas fait que transporter des générations d'habitants", explique Marco Zanini, le responsable chargé de la mise en place des nouveaux trams pour GTT (Gruppo Torinese Trasporti, la société de mobilité qui gère le réseau pour le compte de la ville). "Il a aussi donné du travail à beaucoup de Turinois".
Turin, ville de trams et de traminots
C'est en effet, dans les grands hangars où la relève "des orange" termine sa phase de test en ce début d'année, qu'ont été construit plusieurs générations de trams par une filiale de Fiat. "L'ancêtre, si l'on peut dire, des trams orange qui vont être mis à la retraite à présent, a été construit ici", explique Roberto Cambursano, le président de l'ATTS (Associazione Torinese Tram Storici).
"Dès les années 1930, une centaine de tramways inspirés des modèles américains Peter Witt a commencé d'être fabriquée à Turin. Les trams orange qui circulent encore ne sont qu'une version rallongée et légèrement restylée datant des années 50-60".
Roberto est incollable sur tout ce qui touche de près ou de loin au tram turinois. Fort d'un petit millier d'adhérents et d'une centaine de restaurateurs de tramways passionnés, c'est lui qui, en 2006, a fédéré tout ce que la capitale piémontaise compte de ferveur "traminotte". Il y a, comme lui, des ingénieurs à la retraite ou d'anciens conducteurs de la GTT. D'autres, sont tout bonnement fascinés par le voyage à travers le temps qu'il consent à ses passagers.
"C'est ma passion pour les trams anciens qui me fait toujours apprécier un voyage dans ces trams orange", explique Michele Bordone, l'archiviste de l'association. "D'abord, parce que j'ai passé tellement d'heures, de jours à en restaurer que je m'y sens comme chez moi : c'est mon environnement naturel en quelque sorte".
Deux ans pour partir à la retraite définitive
Un environnement destiné à largement changer dans les deux années qui viennent. Et pas seulement pour Michele. Au rythme d'environ deux par mois jusqu'en 2025, GTT va peu à peu remplacer sa soixantaine de trams orange encore en circulation, contre autant de "Hitachi Rail 8000", voire davantage.
"D'ici 2025, ce sont 70 de ces nouveaux trams que nous allons mettre en service ", explique encore Marco Zanini. "C'est un tournant historique pour le réseaux turinois. Une vraie révolution en termes de confort, de capacité des voitures, d'accessibilité... et de bruit aussi. Ce qui est très important pour les riverains des voies."
Si beau, si vertueux soit-il, le nouveau tram dessiné par le grand "couturier" de l'automobile : le turinois Giugiaro, ne remplacera pas son homologue orange dans le cœur des amoureux de trams historiques.
"Oh, il est certain que ce sera un jeu d'enfant de le conduire", expliquent de concert, Roberto et Michele, après une petite visite dans la cabine de pilotage bardée d'électronique. "C'est comme un jeu vidéo : tout se commande avec un joystick...avant, arrière...avant, arrière...tac...tac... (joignant le geste à la parole). Mais nous, on préfèrera toujours nos vieilles machines", concluent-ils dans un grand sourire.
Au moins, nos deux passionnés pourront-ils se consoler en sauvant de la casse quelques exemplaires : l'association de Roberto et Michele devrait récupérer 7 "arancioni" (orange) qui viendront ajouter leur couleur "vintage" à la vingtaine de trams rouges ou verts, déjà restaurés par leurs soins... et entrés dans la légende des trams turinois.