Toutes les librairies ont dû fermer leurs portes avec le covid. Avec le déconfinement qui approche, certains magasins proposent déjà un service de livraison "à la porte". D'autres préparent les conditions physiques d'accueil de leurs clients. Tous s'interrogent sur leur avenir.
Epuisées et heureuses…mais toujours inquiètes !
Les libraires du Rameau d’Or à Lyon avaient lancé il y a trois semaines une campagne de financement participatif sur une plateforme dédiée. Elles ont récolté 35 000 euros. Mais ces soutiens, il a fallu aller les chercher."
« Très clairement, si nous avions ouvert la librairie il y a peu, ça n’aurait sans doute pas marché », explique Maya Soudan. « Mais cela fait 20 ans qu’on connaît nos clients. Alors on fait un travail énorme : envoi de 1000 SMS, 1000 mails…Et ça a marché. On a rendu compte sur le site de la progression à nos donateurs avec des vidéos d’écrivains. Et c’est un lien magnifique »
De son côté, l'Archipel librairie, dans le 1er arondissement de Lyon, a choisi la même plateforme pour lancer elle aussi une campagne de financement participatif. Spécialisée dans le ouvrages d'architecture et d'urbanisme, elle cherche elle aussi à combler le manque créé par deux mois de fermeture. Depuis janvier dernier en effet, un tout jeune collectif a repris le flambeau, et la mission culturelle portée l'équipe créatrice depuis 2009.
Un premier palier a été franchi mais elle espère pouvoir continuer à porposer son modèle trés particulier "ouvert et transversal, collégial et pluridisciplinaire".
Autre idée originale pour récupérer un peu de trésorerie et impliquer les lecteurs. Celle lancée il y a trois semaines par la librairie l'Astragale à Lyon : des bons-cadeaux!
"On recevait beaucoup de mails de nos clients pour nous demander comment ils pouvaient nous soutenir, plus encore que pour acquérir des livres, " raconte Marianne Betinas, co-gérante de la librairie. "On a eu cette idée de bons-cadeaux, qu'une amie nous a dessinés avec le logo de la librarie. Concrètement, les gens nous téléphonent pour nous dire combien ils veulent dépenser. Ils payent en carte bancaire et ils viendront récupérer leurs bons et acheter des livres quand la librairie sera rouverte."
9000 euros ont ainsi déjà été récoltés! De quoi "payer nos charges fixes de deux mois mais pas de compenser la perte de chiffres d'affaires qu'on estime à environ 70 000 euros. Mais cela nous a fait du bien de nous savoir soutenues à ce point", conclut Marianne Betinas.
De timides points de vente avant le grand jour
Des initiatives qui ne couvriront pas ces pertes sèches. Si le dépôt de bilan du Rameau d’Or par exemple a pour l’instant pu être évité, l’avenir de la librairie est encore incertain. Comme quelques autres libraires de la région, Maya Soudan a décidé après le feu vert du ministre de la culture, de se lancer dans la vente « à la porte ». Trois fois par semaine, entre 10h et 12h, elle vend des livres commandés, préparés dans des sacs et que les clients payent en chèque.
« C’est très fatigant car il faut sans arrêt se laver les mains et porter un masque ». Un avant-goût de la réouverture.
A Montélimar la grande librairie Baume a démarré aussi son « click and collect » mercredi 22 avril. « Les gens avaient commandé sur notre site internet parmi nos 30 000 références en stock, raconte François Veyrié, son directeur. «Nous avons réaménagé notre entrée pour limiter cet endroit à deux personnes et faire entrer et sortir nos clients par deux portes différentes. Nous n’avons aucun contact physique avec eux malgré tout ce premier moment a été très fort. 300 personnes sont venues et nous dû ouvrir aussi le jeudi. Les gens sont venus pour nous dire qu’ils nous aiment !"
Une fan de la librairie a même improvisé une danse
A Tassin près de Lyon, Maritsa Boghossian, elle aussi s’est décidée très vite. « Je me suis dit, allez, je m’engage moi ! » Devant l’entrée de sa librairie, Pleine Lune, elle a installé une petite table et prépare elle aussi à l’avance chaque commande.
"C’est impressionnant. Les gens voient le rideau de fer à moitié ouvert et ils nous témoignent leur joie. Pour ceux qui ont commandé, ils patientent et sont très compréhensifs, très patients". Cette pré- réouverture permet selon elle, de pouvoir dès le 11 mai accueillir en toute sécurité. Mais elle sait que « la reprise sera longue et difficile »
Les conditions de réouverture
L’Association des Libraires en Auvergne-Rhône-Alpes a tenu un conseil d’administration extraordinaire en tout début de semaine et relancé sa plateforme de commande « Chez Mon Libraire » lancée en novembre 2014 pour contrer Amazon. Pour l’instant quelques maisons d’édition seulement, surtout parisiennes, ont relancé leurs distributeurs. Et l’heure est plutôt à la réflexion sur les conditions de réouverture.
Le secrétaire de l’Association des libraires en AURA, Ivan Berton, également propriétaire de la librairie L’Esprit Livre à Lyon prépare un guide de conseils à destination des 160 libraires adhérents : de la réception des cartons, à la réorganisation à l’accueil des clients, très peu, jusqu’à la manipulation des livres. Parmi les incontournables : du liquide hydro-alcoolique à l’entrée, des masques ou des visières pour les libraires et des panneaux en plexiglass devant les caisses.
« On reprend les mêmes directives que pour d’autres commerces en l’absence de conseils spécifiques à nos enseignes », explique Ivan Berton. « Pour le reste on laisse chaque libraire décider de comment il peut gérer les distanciations. Pour certains cela va être très compliqué. Mais on a hâte de pouvoir de nouveau échanger. Nous sommes généralement des gens très passionnés et il ne faut pas que ce virus vienne entacher cette passion. Mais malgré tout il faut que cela puisse se passer dans les meilleures conditions sanitaires possibles. Mais je ronge mon frein ! »
D’autres comme lui ont choisi de ne pas faire de ventes avant la réouverture.
C’est le cas de Romain Cabane de la librairie des Danaïdes à Aix-Les-Bains.
On s’est pas mal interrogés mais on s’est dit que ce n’était pas jouable. Trop compliqué à mettre en place. On s’interroge plutôt sur l’après. Nous avons une clientèle d’habitués. On ne craint pas qu’ils ne reviennent pas. Mais plutôt que leur pouvoir d’achat ait baissé. Ou qu’ils ne soient rebutés par les restrictions. Nous avons surtout du monde les fins de matinée ou les fins d’après-midi, si les gens doivent attendre, auront-ils la patience ?
Des réouvertures pour quoi faire ?
De même pour Romain Cabane, les rencontres annulées avant le confinement, vont être, selon lui difficiles à organiser dans un premier temps avec les mesures barrière toujours en vigueur.
Même ressenti pour Martine Lebeau de la librairie des Volcans à Clermont-Ferrand.
« Nous avons été très sollicités par nos clients pour faire de la vente avant le 11 mai mais je préfère rouvrir une bonne fois », dit-t-elle. « Je leur fait un courrier et ils sont prêts à attendre encore ».
Pour sa réouverture, l’immense librairie de 1700 M2, qui avait entrepris des travaux pour agrandir son « coin rencontres », n’envisage pas de reprendre ces échanges auteurs lecteurs tout de suite ou du moins dans les mêmes proportions. « Trop compliqué de gérer de fortes affluences », explique Martine Lebeau. « Et puis nous sommes plutôt dans l’optique de défendre nos auteurs et nos éditeurs régionaux. On va jouer notre rôle de passeur. Mais même comme ça, est ce que les gens vont venir à d’éventuelles rencontres ? Est-ce qu’ils ne vont pas plutôt avoir envie dans un premier temps de déambuler dans nos librairies et de discuter avec leurs libraires ? On ne sait pas. »
Un avenir encore très incertain
Tous se disent en tous cas inquiets pour leur avenir. Certains se sont endettés en contractant un prêt garanti par l’Etat. D’autres savent que les traites repoussées en avril et mai, ne le seront probablement pas pour juin. Avec des conséquences sur leur pérennité économique :
« J’avais prévu une embauche », raconte Romain Cabane "que j’ai été obligé de repousser au moins à l’automne. Notre librairie existe depuis 2003 et on la gère « au cordeau ! Et il faut beaucoup de temps pour ce commerce très particulier pour créer un fonds de roulement. Ce qui est énervant c’est que du coup, on va perdre 5 ans de travail ! »
« Je n’ai pas de trésorerie », renchérit Maya Soudan la Lyonnaise. « Je me suis endettée, j’ai des échéances à sortir avant fin juillet. J’ai rempli des dossiers pour des aides. Mais pour l’instant, je n’ai rien reçu ».
Tous s'attendent à de voir vivre une page difficile avant de pouvoir entamer un nouveau chapitre.