Depuis le début de l’épidémie de coronavirus COVID 19, des tensions sur des médicaments anesthésiants sont apparues. La région Auvergne-Rhône-Alpes n’échappe pas à la règle. Les médecins redoutent de déprogrammer certaines opérations, leurs stocks fondant comme neige au soleil.
Depuis quelques jours, les médecins anesthésistes ne cachent pas leur inquiétude. Les stocks en produits anesthésiants diminuent à vue d’œil en Auvergne-Rhône-Alpes comme partout en France. Cinq molécules sont très recherchées, des hypnotiques et des curares.
Le Dr Etienne Fourquet exerce près de Lyon à Ecully et il est le vice-président du SNARF, Syndicat national des anesthésistes réanimateurs de France. Il raconte : « Sur les 5 médicaments qui ont été réquisitionnés, qui sont utilisés en réanimation, on n’a plus le contrôle au niveau des établissements de santé. Du coup, un état des lieux a été fait. Actuellement, depuis le 11 mai, date de reprise, les stocks diminuent. On n'a pas été réapprovisionné sur notre établissement. Sur les 5 médicaments bloqués, on a eu 25 ampoules alors que notre consommation quotidienne est de 25 ampoules. On s’est adapté, à la fois sur nos indications, sur notre consommation, en essayant d’utiliser des produits qui ne sont pas sur la liste des 5 médicaments. Sur un certain nombre de produits, on risque potentiellement d’en avoir besoin et ce sont des produits anesthésiques qui sont les meilleurs. Les dérivés utilisés à la place sont moins bons ».On s’est adapté
Si ces 5 molécules viennent à manquer, c’est à mettre directement en relation avec la crise sanitaire du coronavirus COVID 19. Luc Foroni est pharmacien hospitalier et coordonnateur de l’OMEDIT en Auvergne-Rhône-Alpes, Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et des innovations thérapeutiques. Il explique : « Comme sur l’ensemble du territoire français, européen voire mondial, nous avons des problèmes de tensions d’approvisionnement en produits anesthésiants et en produits utilisés en réanimation dans la région. Ces tensions existent depuis que les industries pharmaceutiques se sont regroupées au niveau mondial, ont délocalisé leurs sites, notamment en Chine, en Inde et aux USA. Dans le cas précis du COVID 19, on a eu un afflux de patients dans des services de réanimation qui nécessitaient une ventilation assistée très consommatrice d’hypnotiques et de curares. Cela a complètement asséché les stocks et cela a été combiné à un effet de surstockage de certains établissements ».Des problèmes de tensions d’approvisionnement
Un approvisionnement d'Etat
Une plateforme a été créée pour que les établissements indiquent leur niveau de stock en médicaments, pas seulement en produits anesthésiants. Cela se fait quotidiennement ou 2 à 3 fois par semaine. Ils indiquent aussi leurs besoins en médicaments. Ce dispositif, mis en place en Ile-de-France, est appliqué à toutes les régions depuis début avril. Il permet notamment à l’ANSM, Agence nationale de sécurité du médicament, d’avoir une connaissance du niveau des stocks. Luc Foroni ajoute : « Le ministère gère au niveau national l’approvisionnement sur ces 5 médicaments. C’est un approvisionnement d’Etat, les établissements n’ont plus la possibilité de commander directement auprès de leurs fournisseurs depuis le 27 avril, afin de garantir la sécurisation de l’approvisionnement. L’ANSM nous informe de la quantité de produits affectée à la région pour ces 5 médicaments et à partir de la connaissance de l’activité, elle propose un plan de répartition pour les établissements ».Malgré ce contingentement, les directeurs d’établissements sont inquiets. Olivier Lejeune est le directeur de la clinique de La Plaine à Clermont-Ferrand. Il indique : « Si on est pas livrés dans les prochains jours, avec des stocks qui sont faibles sur ces produits en tension, on pourrait être amenés, dans certains cas, pour certaines interventions, à envisager des déprogrammations. Pour le moment, on n’a rien déprogrammé. Depuis le 11 mai, on est actuellement en activité réduite, compte tenu des dispositions prises et des plans blancs qui sont déployés. On a sélectionné les activités. Les anesthésistes ont mis en place des plans d’épargne des produits en tension, pour épargner les doses et éventuellement avoir recours à des techniques alternatives. On attend une évolution de la situation. Pour le moment, on n’a pas reçu de livraison qui permettait de renouveler nos stocks, qui sont peu importants ».Pour le moment, on n’a rien déprogrammé
Des anesthésies locales ou régionales
Il précise : « Parmi les solutions alternatives, il y a les anesthésies locales ou régionales plutôt que générales. Si cela ne suffit pas, on pourra être en difficulté à l’horizon de 10 ou 15 jours et envisager, si la situation ne s’améliore pas, des reports d’intervention. Mais pour le moment, aucune décision n’a été prise à ce stade ». Même son de cloche dans le Cantal. Romain Auriac est le directeur du CMC de Tronquières à Aurillac. Il indique : « Dans notre programmation, aujourd’hui, on maintient un niveau de vigilance accrue en planifiant uniquement les opérations qui nous paraissent non reportables, pour limiter la consommation de ces molécules, et en parallèle les médecins établissent des protocoles anesthésiques de substitution pour éviter la consommation de ces molécules. Cela signifie de favoriser les anesthésies locales ou régionales et d’éviter les anesthésies générales consommatrices de curare ». Romain Auriac souligne : « Il y a toujours une inquiétude, notamment en cas de résurgence de l’épidémie, et les stocks pourraient être amenés à être reventilés sur d’autres établissements à l’échelle du département ou de la région. On a très peu de visibilité sur la possibilité d’utiliser ces stocks à plus court terme ».Une rétention de stocks ?
Etienne Fourquet, médecin anesthésiste, va plus loin et se demande s’il n’y a pas des stocks qui sont constitués en prévision d’une deuxième vague : « On est très inquiets car on fait remonter l’information et on ne voit rien redescendre, on a aucun retour sur la façon dont s’est piloté. On n’arrive pas à savoir ce qu’ils entendent garder, pour une deuxième vague éventuelle. On n’est pas partie prenante dans le pilotage. On ne sait pas s’ils font de la rétention car ils n’ont pas de produits ou car ils les gardent pour un autre usage. On ne sait pas si des commandes ont été faites et quand elles seront honorées. Il y a une incertitude totale. On navigue à vue ».L’Agence régionale de Santé, par la voix de Luc Foroni, lui répond ainsi : « En ce qui concerne la constitution d’un stock au niveau national, nous avons entendu parler de cela, en cas de récidive épidémique. On peut penser que le niveau national n’approvisionne pas tous les territoires parce qu’il en garde une partie. Mais je n’ai aucun élément probant pour vous dire où en est la constitution de ce stock ». Ce dernier se veut rassurant et espère une amélioration rapide de la situation : « Jusqu’à présent aucun établissement n’a été en rupture de médicament, si ce n’est un curare. Aucun malade n’a fait les frais d’une interruption thérapeutique en lien avec une rupture de médicaments. On ne sait pas la durée de cet approvisionnement contingenté. On reçoit par exemple 25 à 50 % du propofol dont on a besoin habituellement en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous avons peu d’informations mais cette rupture de propofol devrait durer au moins jusqu’à fin juin. Les établissements s’adaptent. On espère une embellie d’ici fin juin ».