Coronavirus et enseignement à distance : malgré leurs efforts, les professeurs face au risque de décrochage scolaire

En ces temps de confinement lié à la crise du coronavirus, les professeurs en collège et lycée sont en première ligne pour assurer la continuité pédagogique avec leurs élèves. Entre outils jugés inadaptés et élèves qui décrochent, cinq d’entre eux nous ont décrit leur quotidien.

En cette période de confinement liée à l'épidémie du coronavirus, les professeurs sont en première ligne pour assurer l'enseignement à distance. « Les deux premières semaines, c’était l’horreur », confie Séverine Poyet, professeur de français et d’histoire/géographie au lycée professionnel Anna Rodier à Moulins. « Je n’arrivais pas à me connecter à l’ENT (Espace numérique de travail) donc j’ai tâtonné avant de trouver le bon outil pour faire cours ; par mail, Whatsapp, Discord et enfin Zoom », poursuit-elle. 


Des outils inadaptés au début


Nicolas Rocher, doyen du corps des inspecteurs pédagogiques régionaux pour l'Académie de Clermont-Ferrand en convient : « La première semaine, l’ENT n’était pas dimensionné pour un tel pic de connexion » mais il l’assure « désormais, celui-ci fonctionne » et en plus « les outils du CNED permettent de faire la classe à distance ». Il met en garde les professeurs qui utilisent des outils commerciaux : «  Ces outils-là posent des questions sur la sécurité des données, notamment avec des mineurs, les enseignants devraient être très prudents »

Pour Séverine qui n’arrive pas à utiliser les outils du CNED, « Cette semaine, cela se passe enfin mieux. Je donne mes cours sur Zoom, les élèves me voient et eux, peuvent intervenir, poser des questions à l’écrit et à l’oral ».  Par contre, « la correction de copies numériques c’est beaucoup plus long que sur papier surtout qu’on a plein de formats différents : word, pdf, photo, etc. ». Elle avoue travailler de 8h à 20h non-stop ainsi que les soirs et les week-ends.

Le décrochage scolaire en hausse


L’enjeu est de taille : elle a des classes qui passent le baccalauréat en fin d’année. Pourtant, elle le sent « avec le temps, ça devient compliqué pour les familles ». « Aux tensions habituelles se rajoutent des problèmes de cartouches d’imprimante, des problèmes de wifi, des ordinateurs qui manquent et qu’il faut se partager », analyse la professeur de français. Et elle fait un triste constat : « J’ai environ 2 à 3 élèves par classe qui ont lâché, ceux qu’on avait déjà du mal à rattraper avant le confinement, là on les a complètement perdus ».

« Au niveau national, le ministre de l’Education Nationale parle de 5 à 8% des élèves qui seraient en situation de décrochage scolaire », pointe  le doyen du corps des inspecteurs pédagogiques régionaux. « Il y a un peu plus de décrochage en ce moment avec le confinement car il n’y a pas cette obligation d’assiduité en cours mais dans ces cas-là il y a, selon des établissements, des protocoles. Qu’un lien par mail ou par téléphone soit établi avec les familles pour que le décrochage soit limité », décrit-il.


Des annonces du ministre de l’Éducation Nationale « plombantes » 


Une situation qui ne risque pas d’arriver pour les élèves de Tanguy, professeur de mathématiques en lycée à Villefranche-sur-Saône. « Si un élève ne m’a pas rendu l’exercice qu’il était censé faire, je l’appelle dès le lendemain », explique-t-il. Tanguy utilise l’ENT : il poste ses cours et des vidéos qui les complètent avec des exercices à rendre. En plus, il utilise WhatsApp où il a constitué cinq groupes différents : deux groupes par classe et trois groupes par niveau. « C’est un travail constant de répondre à leurs questions », pointe-t-il. Résultat, « c’est une charge mentale beaucoup plus lourde qu’en temps normal ».

Ce qu’il déplore, tout comme Séverine, ce sont les annonces du ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer la semaine dernière : un baccalauréat exclusivement en contrôle continu, pour lequel les notes en période de confinement ne sont pas prises en compte. « Je crains un relâchement des terminales », s’inquiète-t-il. Séverine comprend « que les notes ne comptent pas pendant le confinement car certains ont des problèmes de connexion », mais déplore-t-elle « ça plombe un peu, tous les efforts que j’ai fait, pour rien au final ». 

Nicolas Rocher défend la position du ministre : «  Un enfant qui n’est pas à l’école, on ne connait pas ses conditions de travail et il y a des vraies inégalités ». « Pour toutes ces raisons, on demande aux enseignants de limiter les évaluations », ajoute-t-il. 

50% de réponses en moyenne


Sébastien est professeur de mathématiques dans un collège de l’Allier. Il suit des 5e et des 3e et demande à ses élèves de lui rendre du travail toutes les semaines. « La première semaine, 80% répondait, à partir de la deuxième on est tombé à 50% », reconnait-il. Il est particulièrement inquiet pour ses 3e : « Les élèves en difficulté ou ceux qui sont moyens décrochent et ils vont arriver en seconde sans avoir les connaissances nécessaires ».

Pourtant, en plus d’utiliser l’ENT, il envoie en doublon « un mail à tous les parents avec les cours et les devoirs à faire pour la semaine ». Il confie qu’adapter ses cours de l’écrit à l’oral lui a demandé « beaucoup de travail ». « Je ne sais pas si ça leur convient, quel est leur ressenti, confesse-t-il, en cours on s’adapte mais là je ne peux pas ».

Tout est une question d’adaptation


Pour Adélaïde, professeur de sciences en collège à l’école de la Mhotte à Saint-Menoux (Allier), l’adaptation c’est la clé. « Je me suis rendue compte que les élèves n’arrivaient pas à lire mes cours donc je suis passée aux vidéos », explique-t-elle. « En parallèle, j’assure une permanence téléphonique des parents et des élèves. Je réponds aux mails, 300 en trois semaines », poursuit la jeune femme. 

« Je passe beaucoup de temps à les détendre et les rassurer au téléphone », avoue Adélaïde, « car certains n’arrivent pas à télécharger les vidéos, à rendre les exercices à temps ». « Je leur explique que ce n’est pas grave pour pas que ça devienne l’enfer à la maison », conclut-elle.

La technologie, la matière mal aimée


Quant à Pierre, professeur de technologie au collège Anne de Beaujeu à Moulins, son constat est sans appel : « La technologie en période de confinement, ce n’est clairement pas la priorité ». Sur ses 160 élèves de 5ème, à peine « une vingtaine joue le jeu » et sur ses 160 élèves de 4e, « 45 à 60 environ répondent »

Il faut dire qu’il a tâtonné avant d’arriver à enseigner sa matière à distance. La première semaine, l’ENT était inaccessible, excepté à partir de minuit. La deuxième semaine, il a essayé de faire travailler ses élèves sur des logiciels à télécharger chez eux « mais il faut qu'ils aient un ordinateur assez puissant ». Il s'est rendu compte que c’était un échec.  En troisième semaine, il est revenu à quelque chose de très basique « un cours suivi d’exercices à faire ». Il espère que ce sera la formule gagnante.

« Un travail remarquable » des enseignants


En définitive, tous ces enseignants affirment travailler plus qu’en temps normal et avoir du faire preuve d’énormément de souplesse et d’adaptation. Nicolas Rocher le reconnaît : « les enseignants sont au travail de façon remarquable ». « Ils doivent tout recréer pour une situation inédite et je leur tire mon chapeau car ils ont vraiment à coeur de bien faire ». Malgré tout, Tanguy s’inquiète : « avec ce dernier trimestre chaotique, la rentrée s’annonce compliquée »
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