Depuis l'apparition de la pandémie de COVID 19 dans le monde, un animal a été rapidement ciblé comme étant à l'origine de la propagation du virus qui en est responsable : la chauve-souris. On aurait trouvé chez elle un virus y ressemblant. Faut-il pour autant la désigner comme coupable ?

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Elle est mystérieuse, nocturne, et associée à de nombreux mythes qui ne donnent pas d'elle une image reluisante. Mais cela suffit-il à faire d'elle un coupable idéal, et à augmenter encore un peu plus les peurs et les préjugés que l'on a sur la chauve-souris ? De nombreuses voix s'élèvent aujourd'hui pour montrer et expliquer que les choses ne sont pas si simples. Et que l'on ne peut pas parler de la chauve-souris sans parler des chauves-souris et de leur utilité. 

Sur les 6495 mammifères répertoriés dans le monde, on compte près de 1400 espèces de chauves-souris : une extraordinaire diversité issue de plus de 50 millions d'années d'évolution. En Auvergne, 29 espèces sur les 35 que compte la France métropolitaine, ont été recensées. Et aucune d'entre elles n'est liée au coronavirus responsable de l'épidémie. Si toutes sont porteuses de virus, au même titre que l'Homme et d'autres animaux, ceux-ci ne sont pas forcément dangereux pour l'homme et ne franchissent que rarement la barrière des espèces. En particulier en Europe, comme l'explique Lilian Girard, chargé de mission à l'Association "Chauve-souris Auvergne" : "On en trouve beaucoup plus sur les chauves-souris tropicales. La raison est simple : une grande partie des virus ne supporte pas les gros changements de température. Or, sous notre climat, il peut faire très froid. Ebola, par exemple, ne supporte pas le gel. Mais quand les chauves-souris hibernent, leur corps tombe à la même température que le milieu dans lequel elles sont, et cela tue certains virus."

La chauve-souris, porteuse de virus asymptomatique 

Les chauves-souris peuvent néanmoins porter un certain nombre de virus. Certains les rendent malades, d'autres, mortels pour l'homme comme Ebola ou la rage, ne semblent pas particulièrement les toucher. Autrement dit, elles en seraient naturellement vaccinées. De nombreuses recherches scientifiques sont actuellement en cours pour expliquer cette résistance, mais l'hypothèse la plus probable est l'immunité développée par ces espèces. "L'idée, c'est qu 'elles vivent avec depuis des millions d'années", renchérit Lilian Girard. "Ils ne sont donc plus létaux pour elles. C'est une sorte de course à l'armement entre le virus et l'hôte : le virus attaque, l'hôte se protège, puis le virus mute, l'hôte se protège encore, et ainsi de suite. C'est comme un système de serrures et de clés qui n'arrêtent pas de se transformer. Et au final, après des millions d'années, la chauve-souris reconnaît forcément un certain nombre de clés, et s'en défend. Ce n'est pas le cas de l'homme, qui n'est jamais entré en contact avec eux, et qui a quand même 49,8 millions d'années de moins que la chauve-souris."

Une hypothèse avancée aussi par François Moutou, vétérinaire et responsable de la Société Française pour l'Etude et la protection des Mammifères. "Elles ont un système immunitaire extrêmement compétent qu'il faudrait étudier plus avant, car on sait finalement assez peu de choses. Mais elles vivent depuis longtemps avec ces virus et ont donc développé une immunité. Nous, les hommes, nous sommes naïfs à ces virus. Pour vous donner une image, c'est comme lorsque nous avons découvert l'Amérique. Les européens ont amené avec eux la rougeole et la variole : cela a décimé les amérindiens, pas nous. Le problème ici, c'est que nous ne sommes normalement pas en contact avec eux."

L'homme s'est très bien chargé lui-même de propager le virus 

François Moutou

De là à accuser les chauves-souris... il y a néanmoins un pas que refuse de faire François Moutou. Car en l’état actuel des connaissances, aucune chauve-souris dans le monde ne porte le virus responsable du COVID-19. "La transmission directe d’une chauve-souris aux humains est hautement improbable et nécessite souvent le passage et l’adaptation des virus au sein d’une autre espèce, un hôte intermédiaire. En Asie, comme en Europe, il existe des espèces de chauves-souris hébergeant des virus apparentés, mais qui, dans leur configuration actuelle, ne contaminent pas l’homme."

L'explication serait donc la présence d'un hôte intermédiaire. En 2002, la civette palmiste masquée avait été désignée à l'origine de l'épidémie de SARS COV1. Pour le SARS COV2, les premières études émettent l'hypothèse du pangolin, dont la vente est normalement interdite à l'international. "L'un des problèmes majeurs, c'est l’existence de marchés où l'on vend des animaux vivants. Je suis allé en Chine en 2005," confie François Moutou. "Quand vous voyez ces cages, empilées les unes sur les autres, contenant plein d'animaux vivants d'espèces différentes, vous vous dites que c'est exactement ce qu'il faut faire pour que des virus mutent et passent aux humains. Ensuite, l'homme se charge très bien tout seul de diffuser ce virus sur la planète. Si on n'a eu que deux grosses épidémies en une décennie, c'est presque un coup de chance."

Pour Lilian Girard, la diminution des zones réservées aux animaux sauvages est aussi une problématique clé. "Les zones de friction entre humains, animaux sauvages et donc virus sont de plus en plus importants. Normalement, dans un milieu sauvage, les contacts entre espèces sont faibles. Chez nous, l'homme est partout, mais notre climat aide à détruire les virus. Pas en Chine ou en Afrique : les villes s'étalent petit à petit, réduisant d'autant les habitats de différentes espèces qui peuvent se retrouver mélangées aux espaces urbains. Les barrières naturelles tombent donc. Mais pour le COVID 19, on ne sait pas encore, nous manquons de recul."

Une victime des peurs et des préjugés

Un recul nécessaire, car pour l'instant, l'origine de la pandémie reste incertain. Pourtant, dans certains pays, dont la France, les réactions ne se sont pas faites attendre. A Chauve-Souris Auvergne, les appels ont augmenté. L'une des questions récurrentes : "J'ai des chauves-souris chez moi, que dois-je faire, comment m'en débarrasser ?" D'autant que le confinement est arrivé au printemps, avec la sortie d'hibernation de ces mammifères qui ont rejoint leurs gîtes d'été pour mettre au monde leurs petits. "Il a fallu rassurer, expliquer qu'il n'y avait rien à craindre. Mais certains propriétaires de granges où se réfugient des chauves-souris ont eu des lettres de menaces pour déplacer ou détruire ces colonies... Je crois d'ailleurs qu'une grange a été incendiée. Là, il ne s'agit plus de psychose, c'est du pénal." En effet, en France, les chauves-souris mais aussi leurs habitats sont protégés par la loi : leur élimination, mais aussi l’altération ou la destruction de leurs gîtes sont illégales et peuvent être punis d'un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. 

Dans le monde, d'autres actions choc ont eu lieu contre ces animaux nocturnes. En Chine, des habitants ont déplacé des colonies de chauves-souris en pleine hibernation, au risque de les tuer, pour les éloigner de leurs habitations. Au Pérou, des paysans ont décidé de brûler un certain nombre de colonies de chauves-souris avant d'en être empêchés par le gouvernement. Ces deux réactions de peur, relayées dans la presse, ont poussé Tanguy Stoecklé à réagir. Cinéaste animalier, réalisateur et passionné de chiroptères, il a décidé de mettre son film "Une vie de grand rhinolophe" en ligne gratuitement pendant le confinement, et au moins jusqu'à septembre, pour la Nuit Européenne des chauves-souris. Ce film, il lui a fallu 4 ans pour le tourner dans le cadre d'un programme de protection des chauves-souris. Il a porté son choix sur le grand-rhinolophe, une espèce que l'on trouve en Camargue, mais aussi en Auvergne, et nous fait partager sa vie à travers l'histoire d'une femelle et de sa fille. Au final, ce documentaire plusieurs fois primé saisit par la qualité de ses images, son côté pédagogique sur des créatures trop méconnues, mais aussi par la tendresse qui s'en dégage.

"Tout ce qui se passe depuis le début de l'épidémie, cette façon de pointer du doigt les chauves-souris, ça m'a fait mal au cœur. La nature m'a toujours émerveillé. J'ai découvert la chauve-souris à 20 ans avec un ami, et c'était très loin des préjugés que j'avais, ça m'a passionné. On peut y découvrir une diversité incroyable au niveau de leur morphologie, de leurs régimes alimentaires, de leurs gîtes. Et il y a aussi l'histoire, la mythologie, les ponts que ça crée vers d'autres espèces et vers l'homme." Trente ans plus tard, sa passion est toujours intacte. Et la volonté de faire découvrir et de défendre ces espèces de l'invisible, comme il aime les appeler, est intacte. "Je me suis attaché aux chauve-souris. Derrière leur mauvaise réputation, ce sont des animaux extraordinaires au niveau biologique, social, utilisation de l'espace. Ils se déplacent énormément, se rassemblent en très grandes colonies. Mais au cœur des colonies, il existe une harmonie entre les individus, et même entre les espèces qui cohabitent. Pourtant, il semble qu'il n'y ait pas de chef, plutôt de la coopération. C'est fascinant."

Aujourd'hui, l'utilité de la chauve-souris n'est plus à démontrer

Si les chauves-souris sont jugées inquiétantes par beaucoup, c'est surtout parce qu'elles sont méconnues. Et pourtant, leur originalité et leur utilité méritent largement qu'on s'y intéresse. Seul mammifère à voler, les chauves-souris rendent de nombreux services à l'homme, sans qu'il s'en rende forcément compte. "Leur rôle est majeur dans les écosystèmes, notamment pour réguler les populations d'insectes, mais aussi pour polliniser et disséminer des graines sur de grandes surfaces", argumente Tanguy Stoecklé. Et par là-même, elles sont de précieuses alliées pour l’agriculture mais aussi pour la santé humaine, en consommant par exemple d’importantes quantités de moustiques, responsables d’environ 1 million de décès humains par an dans le monde. "En Thaïlande, je suis allé faire un reportage dans des grottes, près d'un monastère, où vivent environ 6 millions de chauves-souris. Chaque nuit, elles mangent l'équivalent de 15 tonnes d'insectes, en particulier au-dessus des rizières qui l'entourent. Et les paysans se servent de leur guano pour fertiliser leur terre. La cohabitation s'y passe très bien."

Faut-il donc avoir peur des chauves-souris, où le problème est-il ailleurs ? Pour Tanguy Stoecklé, la réponse est simple : "Des virus, il y en a des millions, partout, ça fait partie de notre écosystème. Alors qu'on cherche un responsable et qu'une lecture rapide des premières hypothèses puisse amener à détruire cette population, ça me rend très triste. Triste à la fois pour les chauve-souris, mais aussi pour la nature en général. On a beau tirer des sonnettes d'alarmes depuis 50 ans, il ne se passe pas grand chose pour enrayer le déclin de la biodiversité engendré par notre société..."

La solution viendra de la nature 

En Auvergne, l'avis est partagé par Lilian Girard. Depuis quelques années seulement, à force de communication et de protection de sites, les populations de chauves-souris semblent enfin repartir à la hausse, après 30 ans de baisse due en particulier à l'emploi de produits phytosanitaires. Cela ne concerne évidemment que les espèces qu'ils arrivent à suivre et à étudier, environ 25 % des 29 espèces auvergnates. Pour les autres, il est difficile d'avoir des données, car ce sont des espèces forestières dont les suivis de population sont pour l'instant très difficile à faire. Des espèces auxquelles il aimerait pouvoir s'intéresser avant de ne plus les trouver du tout sur notre territoire.

Si la crise du COVID19 leur a permis de communiquer un peu plus sur les chauves-souris, ce qui les inquiète vraiment, c'est la baisse des budgets environnementaux qui pourraient bien se confirmer pour résorber en partie les dépenses liées à la gestion du confinement. "J'ai bien peur qu'on ne retienne pas les leçons de tout ça", confie Lilian Girard.  "Les contextes de pandémies, on sait que ça va arriver, de plus en plus : on a déjà eu ebola, la grippe de Hong-Kong, le SRAS. Il faut donc se poser les bonnes questions, car cela va revenir quand on voit l'explosion de la circulation des biens et des personnes dans le monde. La seule clé de lutte contre ces virus est dans la biodiversité. Il n'y a qu'elle qui pourra nous apporter des solutions, en la protégeant et en l'étudiant, grâce à la recherche, mais les lois budgétaires ne sont pas de bon augure. Ça ne nous met pas en confiance." 

Des restrictions budgétaires qu'il ne faudrait pas oublier de mettre en perspective, en se demandant aussi combien pourrait coûter, tant au niveau sanitaire qu'agricole, la destruction des chauves-souris. Car elles sont uniques, et sont les seules à pouvoir chasser en plein vol les insectes nocturnes, régulant efficacement des populations souvent ravageuse des cultures ou porteuses de maladie. Elles jouent donc un rôle majeur dans nos écosystèmes. Vouloir les détruire par peur serait sans doute un désastre écologique et risquerait bien de se retourner contre l'Homme.

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