Les entreprises qui rencontrent des difficultés en raison de la crise du coronavirus peuvent bénéficier du prêt garanti par l’Etat (PGE). Les sociétés qui allaient mal avant cette crise semblent s'être engouffrées dans la faille. Le réveil risque d'être douloureux à l'heure du remboursement.
Depuis plusieurs semaines, les entreprises en difficulté de la métropole de Lyon ont disparu des écrans radar du tribunal de commerce. Alors que le 20 mars dernier, au démarrage de la crise sanitaire, Thierry Gardon, le président du tribunal évoquait une situation inédite et croulait sous les demandes de redressement judiciaire ou mesures de sauvegarde, aujourd’hui plus rien. Pratiquement plus aucun dossier n'arrive entre les mains des juges. Que sont devenues ces entreprises vulnérables? Ont-elles toutes été happées par les mesures de protection mises en place par le gouvernement, et notamment le fameux PGE, le prêt garanti par l’Etat? Faut-il s'attendre à un effet boomerang au moment du déconfinement? La situation interroge.
"Grâce à la crise, je n’ai plus d’entreprises en difficulté"
Ces mots, prononcés sur le ton de l'humour, sont ceux du président du tribunal de commerce de Lyon. Thierry Gardon ironise mais ne cache pas son inquiétude.Avant la crise, j'avais sur mon bureau une centaine de dossiers d'entreprises en difficulté chaque mois. Par audience, nous traitions 12 assignations, des sociétés qui ne parvenaient plus à payer leurs créanciers et autant de déclarations de cessations de paiement. Aujourd’hui, plus rien. Depuis le début du mois (avril), seules 7 sont venues nous demander de l'aide.
Le tribunal de commerce s'inquiète de cette absence soudaine de visibilité sur ces entreprises en grande difficulté, pour la plupart des PME et des TPE. Et Thierry Gardon de pointer les aides gouvernementales et notamment le PGE, le prêt garanti par l'Etat. Des structures vulnérables profiteraient de l'effet d'aubaine, sans avoir elles auront "la santé" économique nécessaire pour repartir après la crise.
"Les entreprises pourront-elles rembourser ce prêt? Car de toute façon, il faudra le faire", s'alarme le président du tribunal. Il pose la question du bon usage des fonds disponibles couverts par la garantie de l’Etat et des conditions qui les encadrent. Pour lui, les utiliser à mauvais escient reviendrait à poser un pansement sur une jambe de bois.
Un prêt "pour se mettre à l'abri"
Un avis que ne partage pas l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) du Rhône. Le secteur est particulièrement touché par la crise sanitaire. Laurent Jaume, le président de l'UMIH 69, reconnaît qu'à peine une poignée des 270 hôtels de la métropole de Lyon est en grande difficulté suite au Covid-19. Pourtant, plus du tiers des établissements ont fait une demande de Prêt garanti par l'Etat.Avec l'annulation des salons, l'incertitude qui pèse sur le tourisme dans les mois qui viennent, les hôteliers anticipent car il faut payer salaires et frais fixes (80% des hôtels de la métropole ont fait des demandes de chômage partiel).
"C'est le moyen d'être à l’abri. Ce n'est pas quand on est dans la tempête qu'on va faire la demande. On prend cette trésorerie pas forcément parce qu'il y a urgence mais parce que c'est à disposition."
Le représentants des hôteliers et restaurateurs du Rhône reconnaît que, depuis quelques semaines, "les banques sont beaucoup moins regardantes qu'avant".
"On va se prendre une grosse vague dans la figure"
Des banques moins regardantes qu'avant et qui donneraient facilement leur feu vert, c'est aussi ce que pense Thierry Gardon. Pour lui, cela expliquerait, en partie, l'arrêt des redressements judiciaires et autres mesures de sauvegarde. S'il reconnaît l'action bienveillante de l'Etat dans la mise en place du prêt garanti, son constat est amer."On a l'impression que la mer se retire et qu'on va se prendre une grosse vague dans la figure dans quelques mois."
Pour rappel, une entreprise qui souhaite bénéficier de ce prêt doit obtenir l'aval de sa banque, ce qui déclenche presque automatiquement la garantie de l'Etat, à hauteur de 90%, via Bpifrance, la banque publique d'investissement. Depuis le 25 mars, l'octroi du prêt aux entreprises est "extrêmement massif", constaste Bpi.
En Auvergne Rhône-Alpes, 2 milliards d'euros ont été alloués au titre du PGE. 15.600 entreprises en ont bénéficié. Si Bpifrance reconnaît quelques petits ratés, au début de la mise en place du dispositif, et un temps de latence pour que les informations reviennent correctement dans les agences bancaires, elle évoque un dispositif en forte dynamique et parfaitement encadré.
La règle serait simple: les entreprises doivent avoir une cote satisfaisante auprès de la Banque de France pour se voir accorder le prêt. Si c'est le cas, c'est quasi-automatique. Pour celles qui n'auraient pas une bonne santé financière reconnue, l'étude se ferait au cas par cas.
Mais le système s'est considérablement assoupli ces dernières semaines.
"Pour les entreprises qui étaient en cessation de paiements fin 2019 mais qui n'avaient pas encore été jugées par le tribunal de commerce ou celles qui avaient perdu la moitié de leurs fonds propres, l'Europe nous empêchait de financer ce type d'entreprise. Ce n'est plus le cas."
De même, il y aurait un relâchement des règles pour que les entreprises en procédure collective, mais dont le plan de continuation n'a pas été validé par un tribunal de commerce, aient droit au PGE.
En conclusion, seules les entreprises très fragiles avant la crise et identifiées comme telles risquent de se voir refuser le prêt.
Des services dépassés, un cadre inadapté
En réponse à nos questions, la Banque de France confirme que les conditions d'octroi du PGE sont "en cours d'examen" mais vont bien dans le sens d'un assouplissement.Christian Berret, directeur régional AURA de la Banque de France reconnaît que "l'appréciation est délicate entre des sociétés qui avaient des problèmes anciens et celles fragilisées par la crise actuelle".
Dans ces conditions, difficile de savoir si l'entreprise est éligible au PGE, difficile de le refuser aussi. A cela s'ajoute des questions juridiques, et même de réglementation comptable internationale. Maîtriser la distribution de cette manne financière semble donc relever du tour de force.
La Banque de France reconnaît la difficulté. "Si la grande majorité des demandeurs et des prêteurs est de bonne foi… les règles de départ de ce prêt semblent moins adaptées à l'ampleur de la crise", explique-ton. Une manière élégante de dire que le système bancaire et les services de l'Etat sont un peu dépassés par les événements, et qu'un recadrage est en cours. Ceci expliquerait-il le nombre de sollicitations pour des médiations de crédit en forte hausse dans la région?
Lors d'une demande de PGE, une entreprises déboutée par sa banque peut saisir la Banque de France, qui joue le rôle de médiateur de crédit. Ces 4 dernières semaines, le nombre de recours auprès de l'institution avoisine presque le double des saisines de toute l'année 2019.
Dans ces conditions, il ne serait pas surprenant de voir, à nouveau, dans les semaines qui viennent, des PME s'adresser au tribunal de commerce.
>>> Site de la banque de France - Covid-19 et économie : les clés pour comprendre
Info + : le chômage partiel dans la région
Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième région la plus importante en matière de demande de chômage partiel. 13% du total des demandes concernaient des établissements de la région soit 117.645 dossiers.La région concentre ainsi 12,9% des salariés en chômage partiel soit 1.122.200 personnes et 11,8% du volume d'heures.
Source Dares, ministère du travail 14 avril 2020