Attaques de requins : François Sarano, océanographe, dénonce le "consommateur de loisirs, incapable d'apprendre l'océan et de respecter les écosystèmes" (PODCAST)

Né dans la Drôme, François Sarano est un grand spécialiste des océans. Ce plongeur océanographe a longtemps côtoyé le Commandant Cousteau lors de ses expéditions. Dans un livre, il explique pourquoi le requin est victime d'une fausse réputation. Rencontre fascinante dans "Vous êtes formidables" sur France 3 auvergne Rhône Alpes

Plongeur professionnel, François Sarano, océanographe et ancien conseiller du Commandant Cousteau a effectué une vingtaine d’expédition à bord de son bateau mythique « la Calypso ». Auteur du livre « Au nom des requins », dans lequel il tente de réhabiliter cet animal fascinant que le cinéma nous a appris à craindre…


Un parcours riche qui a débuté à Valence, dans la Drôme. Il vit d’ailleurs toujours, loin des océans, dans la maison familiale. « Mes parents m’ont emmené régulièrement au bord de la mer. Quand j’étais tout petit, ils m’ont offert un masque. Grâce à cela, j’ai vu, pour la première fois, un poulpe. » Il se souvient en détail. « Vous savez, le poulpe a un tout petit œil doré, fendu d’une lame noire. C’est un animal fascinant, qu’on connaît à peine. Il a l’art de se métamorphoser ! »

vous n’allez pas vous enterrer dans un musée, vous êtes trop jeune. Venez donc avec moi à bord de la Calypso


En grandissant, François s’est montré curieux de tout. « C’est toujours le cas. J’aurais pu faire de la paléoanthropologie… Mon rêve c’était de faire de la physiologie cérébrale. Et de savoir comment naissait une idée neuve. Sur quel support chimique, dans notre cerveau, apparait cette idée neuve ?», s’emballe-t-il. « Mes parents ont su susciter cette curiosité, et lui permettre de s’exprimer, en m’emmenant partout, dans les champs, voir les fourmis, les papillons, les chauve-souris… »


Il deviendra pourtant plongeur et conseiller scientifique. « Grâce, toujours à des occasions formidables, des amis, qui m’ont permis, notamment de faire mon doctorat. D’abord Fernand Voisin, un marin-pêcheur, m’a accueilli à bord de son bateau. Et un jour, j’ai rencontré le Commandant Cousteau. J’avais répondu à un appel d’offres portant sur le musée de Monaco et il n’a pas voulu que j’y reste. Il m’a dit : vous n’allez pas vous enterrer dans un musée, vous êtes trop jeune. Venez donc avec moi à bord de la Calypso !», raconte notre interlocuteur.

Le Commandant Cousteau a ouvert l’océan aux hommes


De cet homme illustre, il conserve un souvenir… exceptionnel. « C’était un homme hors-norme » insiste-t-il. « L’un des plus grands témoins de l’histoire de l’Humanité. Il a su comprendre, à un moment-charnière de l’Histoire, où l’on passe de deux milliards d’habitants sur la planète à huit milliards aujourd’hui. Le Monde est, tout d’un coup, devenu tout petit. Les communications sont devenues mondiales, avec la télévision et, surtout, les satellites qui ont, pour la première fois, vu cette planète bleue toute petite ! » Il se souvient de ses paroles « Il s’est dit : on est tous embarqués sur le même bateau. Il n’y a pas de planète de rechange, ni d’océan de secours. Il va falloir que nous changions nos comportements. »

Face à Alain Fauritte ©france tv


Pour François, le commandant Cousteau a su ouvrir le monde marin « Avant lui, l’océan, c’était 360 millions de kilomètres carrés d’un miroir au-delà duquel on ne voyait rien. Grâce au scaphandre autonome qu’il a inventé, il nous a permis d’aller sur Mars ! Un Mars peuplé de créatures formidables, innombrables, merveilleuses ! Il ouvert l’océan aux hommes !», s’enthousiasme-t-il.

Découverte de la misère et des dégâts écologiques


François Sarano a fait partie du WWF, Fonds mondial pour la nature est une organisation non gouvernementale internationale créée en 1961, vouée à la protection de l'environnement et au développement durable. Avec son épouse, il a également créé l’association « Longitude 181 » qui a pour but de préserver le milieu maritime.

Une prise de conscience écologique qui est le fruit d’un cheminement personnel. « Quand j’ai fait mon doctorat, je reconnais que je n’étais pas très soucieux de préservation, mais plutôt d’exploitation, de bonne gestion » reconnaît-il volontiers. « Et puis la première mission que Cousteau m’a confiée était à Haïti dans les Caraïbes, proches de Cuba. Tout d’un coup, je me suis retrouvé, moi petit riche, face à la misère. La vraie. Celle des gens qui vont dans les égouts pour prendre l’eau potable. Pourquoi ? Parce que le déboisement incontrôlé avait livré les sols à la pluie. Ces sols érodés ne permettaient plus aux cultures de pousser. Les récifs étaient ensevelis et les pêcheurs ne pouvaient plus pêcher. Bref, je me suis rendu compte que les dégâts écologiques conduisaient à la misère. Qu’il ne fallait pas opposer les gens et les écosystèmes. » Il résume sa pensée « L’harmonie est le seul moyen, pour que chacun d’entre nous, humains, puissions retrouver une paix durable »

L’harmonie est le seul moyen, pour que chacun d’entre nous, humains, puissions retrouver une paix durable


François Sarano est également le coscénariste en 2009, du film de Jacques Cluzaud et Jacques Perrin intitulé « Océans ». A l’occasion de ce tournage, un jour, au large des côtes du Mexique, François Sarano vit une expérience extraordinaire. « Avec ces deux réalisateurs, nous sommes près de la petite île de Guadalupe, qui est en réserve depuis une centaine d’années. Et donc l’écosystème est extrêmement riche. Il y a des éléphants de mer, des otaries… et des très grands requins blancs. » Il va ainsi nager, et être filmé, en train d’évoluer aux côtés d’une femelle de plus de 5,5 mètres. « Lady Mystery pesait plus d’une tonne et demi et m’a acceptée, pendant plus d’une minute à ses côtés. C’est ça les dents de la mer ! C’est la paix, la sérénité !», proclame le plongeur.


Il se souvient de ce qu’il a ressenti à ce moment-là. « Du bonheur ! Avant l’expédition, j’avais déjà plongé plusieurs fois avec des grands requins blancs en Afrique du sud. C’était dans les années 2000. Tout le monde m’avait envoyé « Les dents de la mer », « peur bleue » en me disant que j’allais me faire croquer. » Il s’agace « On parle de gens qui ne sont jamais allés sous l’eau ! »

Quand on va rencontrer la vie sauvage, il faut y aller nu.

Lors du tournage, sa véritable appréhension, c’était surtout que « Lady Mystery » tourne trop tôt et vienne pas près de lui, à quelques centimètres. « Des centimètres de confiance, de plénitude…», sourit-il. « Quand on va rencontrer la vie sauvage, il faut y aller nu. C’est-à-dire sans apriori, le cœur ouvert, la tête ouverte. A l’écoute de l’autre. Il faut savoir recevoir ce que l’autre va vous offrir. Et on est à sa merci. C’est comme cela que la rencontre est authentique. Il n’y a pas de contrepartie, de petite mesquinerie. C’est pur. Et puis Ça se vit avec tous ses sens…Avec ses tripes ! »


Il devient impossible de le stopper dans son récit. « Quand vous êtes là, vous avez envie de vivre ce bonheur dans tous les sens… Avec ceux que vous aimez ! j’avais envie de dire merci à tout le monde ! Un moment formidable offert par un être qui est libre ! Indompté ! Sauvage, ça veut dire libre ! Et non pas fuyant, peureux ou agressif ! On se trompe sur le mot sauvage. C’est la noblesse de la liberté », conclut François de manière solennelle.

On se trompe sur le mot sauvage. C’est la noblesse de la liberté


Dans son ouvrage « Au nom des requins », il ne nie pas les accidents. Il évoque un total de 26 personnes tuées en quarante ans. Il y précise que 75 fois plus sont mortes foudroyées et 5 fois plus… victimes de méduses. « J’insiste. Si j’avais écrit un livre sur la France en cheval, vous ne m’auriez pas parlé de ce sujet. Alors qu’il y a 6000 accidents de chevaux en France par an ! Alors que des centaines de milliers de personnes se baignent chaque jour sur le territoire des requins.»


Il tient à s'attarder sur cette aberration : « Revenons sur les faits. Je sais bien que c’est dramatique, la mort d’un être cher. Mais il n’y a pas une activité de nature qui soit moins dangereuse que d’aller nager avec les requins ! Alors arrêtons de parler des accidents ! » Au passage, il condamne toute forme de pêche punitive. « Les requins qui sont capturés ne sont jamais ceux qui ont causé l’accident. Donc c’est totalement inutile et absurde. Ce sont des êtres singuliers. Certains sont plus explorateurs, d’autres des timides… Donc on capture des requins qui n’ont rien à faire dans l’histoire » rappelle-t-il.

Aujourd’hui, on a des consommateurs, qui ont payé quelques jours de vacances. Ils ne veulent ni apprendre ni respecter les règles de l’écosystème.


Pour François, les responsables sont tout désignés. « Cela n’empêchera jamais tout être humain qui pratique une activité nautique de faire attention et d’apprendre les règles de l’écosystème. Quand je vais en ville, j’apprends qu’il ne faut pas traverser la rue quand le feu est vert pour les voitures. » Il s’explique. « La population des gens qui pratiquent des activités nautiques a changé. Autrefois, c’était des marins. Ils connaissaient la mer et ils allaient dans l’eau quand ils jugeaient que c’était bon. Ils agissaient en toute connaissance de cause. Aujourd’hui, on a des consommateurs, qui ont payé quelques jours de vacances. Ils ne veulent ni apprendre ni respecter les règles de l’écosystème. Ils demandent à l’Etat de sécuriser le lieu où ils vont pratiquer leur loisir en toute irresponsabilité. Cela n’est pas normal. »


Il classe les surfeurs dans la même catégorie. « Ce sont des très grands sportifs, qui ont décidé qu’ils devaient pratiquer toute l’année. Et que l’océan n’était qu’un générateur de vagues, coupé, encore une fois, de l’écosystème. Ils ne veulent pas s’embarrasser de quelque chose qui pourrait empêcher leur entrainement. Cela n’est pas normal. On n’a pas à détruire un écosystème au prétexte que ce serait là un lieu où l’on a décidé de s’amuser. »

il y a deux acteurs : le requin et l’humain. Ce dernier fait parfois des signes qui le présentent à l’animal comme une proie.


Dans son livre, il évoque, également, le problème que posent les moteurs électriques, notamment des scooters, qui dérangent potentiellement ces requins. Lesquels donnent alors des signes de leur agacement. « Il y sont extrêmement sensibles. Lorsqu’il y a des accidents concernant plus rarement des plongeurs, on constate que la victime avait un scooter sous-marin et n’as pas stoppé le moteur au moment où l’animal, en baissant ces ailerons, signale qu’il est agacé. » Il fait référence à une attaque récente, lorsqu’un plongeur a été mordu à la tête. « Le professionnel, qui s’en est sorti, n’a pas su lire ce que le requin lui disait. Dans ces cas-là, il y a deux acteurs : le requin et l’humain. Ce dernier fait parfois des signes qui le présentent à l’animal comme une proie. Celui, par exemple qui tape sur l’eau à la surface, appelle le requin. Il faut connaître les écosystèmes pour éviter de se mettre dans une situation qui peut conduire à l’accident. »

Les requins ont un sens qui perçoit les micro-champs électriques émanant de l’activité cellulaire


D’autant que le requin est capable, de surcroît, de distinguer des ondes que nous ignorons. « Nous imaginons toujours que, nous les hommes, pouvons percevoir le monde avec nos cinq sens. En réalité, le monde est beaucoup plus vaste. Les requins ont un sens qui perçoit les micro-champs électriques émanant de l’activité cellulaire. » Il entre dans les détails. « Si nous voulions voir l’activité de vos neurones, en ce moment, il faudrait un électro-encéphalogramme. Le requin, grâce à ses ampoules de Lorenzini, est capable de détecter ces champs électriques et donc de sentir un poisson caché sous le sable, qui ne bouge pas et qui n’a pas d’odeur ! »


Il fait un rappel : on tue chaque année 35 millions de requins pour utiliser la texture de leur aileron que l’on inclut dans les potages. Il est scandalisé : « Simplement pour satisfaire nos caprices de gourmet ! C’est inadmissible ! Chaque être vivant est un être irremplaçable ! »

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